L’édito de Fabrice Grosfilley : les chiffres d’une préoccupante pauvreté
Dans son édito de ce lundi 11 mars, Fabrice Grosfilley revient sur l’étude Vivalis.
C’est une étude parue jeudi dernier, mais qui mérite qu’on y revienne ce lundi matin : 28% des Bruxellois vivent sous le seuil de risque de pauvreté. Pour mieux appréhender ce pourcentage, 28%, c’est plus d’un Bruxellois sur 4. Le seuil du risque de pauvreté est atteint lorsque vos revenus vous amènent à renoncer à des biens ou des services considérés comme nécessaires. Ce seuil est fixé à 1.450 euros de revenus mensuels pour un isolé, un peu plus de 3.000 euros pour un ménage de deux adultes avec deux enfants.
28%, ce chiffre apparait dans le dernier baromètre social publié par l’observatoire de la santé et du social de Vivalis. Vivalis, c’est le nouveau nom de l’administration de la COCOM (la Commission Communautaire Commune) qui gère les politiques sociales et de santé en Région bruxelloise.
Ce ne sont que des chiffres, me direz-vous. On peut se sentir en grande précarité ou relativement à l’aise avec 1.450 euros. Suivant qu’on est propriétaire ou pas de son logement, en fonction de son mode de vie, de ses besoins de socialisation, de son état de santé. C’est vrai, mais il y a des chiffres qui, malgré tout, ne mentent pas. Le nombre de bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale a ainsi augmenté de 58% en dix ans (pour atteindre plus de 45.000 personnes). Par ailleurs, le nombre de personnes sans-logement a quadruplé depuis 2008 : plus de 7.000 personnes, selon un comptage par Bruss’help la nuit du 8 novembre 2022. Des chiffres, rien que des chiffres, qui ne sont que la partie visible de l’iceberg.
On dit parfois qu’il y a deux Bruxelles. C’est de plus en plus vrai. Les inégalités sociales sont de plus en plus marquées, confirme cette étude : les 10% de la population avec les plus bas revenus disposent d’un revenu par personne de moins de 985€/mois en Région bruxelloise (contre moins de 1.250 €/mois en Belgique). À l’autre extrême, les 10% des personnes les plus aisées disposent d’un revenu supérieur à 4.120 €/mois (oui, c’est toujours par personne). Le poids des dépenses de logement dans le budget des Bruxellois exacerbe encore les inégalités : après payement des dépenses de logement, les revenus disponibles par personne varient de 9€ par jour pour les moins nantis à 100€ par jour pour les plus favorisés.
Si ces chiffres doivent particulièrement nous interpeler, c’est parce qu’ils concernent en grande partie la jeunesse bruxelloise. Enfants, ou adolescents, ils sont l’avenir de Bruxelles, et ils vivent pour beaucoup d’entre eux en situation de précarité. Les familles nombreuses et monoparentales sont plus à risque de pauvreté que les autres. Six enfants sur dix ouvrent le droit à un supplément social pour les allocations familiales en Région bruxelloise. Ces proportions d’enfants ouvrant le droit à un supplément social atteignent jusqu’à 80% des enfants à Saint-Josse-ten-Noode et 77% à Molenbeek-Saint-Jean. Dit autrement, 60% des jeunes Bruxellois grandissent dans une famille qui connait des difficultés financières. Cette hypothèse sur l’avenir dit sans doute beaucoup des difficultés bruxelloises. La pauvreté infantile est une inégalité qui en entraîne d’autres. Les inégalités scolaires, les loisirs réservés à certains, le sentiment de relégation dans des quartiers perçus comme des ghettos, la culture à deux vitesses, etc. Au moment où le trafic de drogue et la violence font les gros titres jour après jour, on ne peut pas s’interroger sur ce fossé grandissant qui sépare les Bruxellois et sur le manque de perspective qui bouche le futur de nos jeunes.
Au moment où la campagne électorale entre dans le vif du sujet (on vote dans 90 jours), on doit bien garder ces chiffres en mémoire. On peut parler sécurité, mobilité, qualité de vie, environnement, emploi des langues ou réforme de l’État. On ne doit pas oublier la précarité. Parce que ce chiffre de 28% des Bruxellois sous le seuil de risque de pauvreté dit beaucoup de l’état de notre région, et surtout du décalage entre nous et nos voisins. Ce seuil ne concerne que 8% des habitants de la Région flamande et 15% des Wallons. Il y a bien en matière de pauvreté une spécificité bruxelloise. Elle est préoccupante.
Fabrice Grosfilley