L’éditorial de Fabrice Grosfilley : le Maroc, si proche et si loin de nous

Dans son édito de ce lundi 11 septembre, Fabrice Grosfilley revenait sur le séisme ayant eu lieu au Maroc.

Des maisons qui s’effondrent, des quartiers entiers qui disparaissent, des corps qui restent coincés sous les gravats. La recherche des survivants, parfois avec les moyens du bord, quand les voisins doivent retirer les débris à la main, parfois plus spectaculaire, avec des équipes spécialisées qui viennent de l’étranger. Le renfort de l’armée. Les télécommunications coupées, l’attente et l’angoisse. Le manque d’eau. Les routes ou les chemins de fer coupés. Les secours qui n’arrivent pas. Les zones montagneuses qui doivent se débrouiller par elles-mêmes. Les blessés qu’il faut prendre en charge. Les traumatisés qu’il faudra soigner. Les sans-abris qu’il faut reloger.

Ces images qui nous viennent du Maroc, nous avons le sentiment de les avoir déjà vues. Ces scènes de détresse et de désolation, de les avoir déjà connues. Ces hommes et ces femmes qui perdent un proche. Ces enfants qui se retrouvent sans parents, ou l’inverse. Ces regards vides. Ces expressions de colère. Ces miraculés sur lesquels les médias s’attardent, et qui masquent mal tous ceux qu’on n’arrivera pas à sortir des décombres à temps. C’est aujourd’hui le Maroc, c’était en févier la Syrie et la Turquie, avec un bilan de 51.000 morts. Haïti en 2010, 300.000 morts. Le Japon en 2011, 18.000 morts. Le tremblement de terre de Sumatra et le tsunami qui avait suivi en 2004, 230.000 morts.

Les chiffres s’égrènent, ils rendent très peu compte de la détresse des populations, des drames humains qui se jouent dans les familles, des difficultés traversées, a fortiori quand le tremblement de terre frappe des territoires déjà ravagés par la misère ou par des conflits armés. Les tremblements de terre révèlent la fragilité des États, la faiblesse des systèmes de santé, l’inefficacité des services publics, le sentiment d’abandon des victimes éloignées des centres de décision.

Depuis vendredi, les signes de solidarité se multiplient à Bruxelles. Les liens entre la Belgique et le Maroc sont évidents. Avec une immigration qui en est à sa troisième génération. On ne dira jamais assez ce que le métro ou les routes bruxelloises doivent à cette main d’œuvre marocaine sans laquelle la ville ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. La Stib, le secteur de la construction, Bruxelles-Propreté : on pourrait faire une longue liste d’entreprises et de secteurs qui ne tourneraient pas sans les travailleurs qui sont venus du Maroc pour gagner leur vie, ou qui descendent d’un père, d’une mère, d’un grand-père et d’une grand-mère qui ont voyagé pour s’assurer d’une existence meilleure et ont finalement pris racine et fondé une famille dans ce pays. Et on rappellera que ce pays est aussi le leur, être binational, avoir de la famille de l’autre côté de la Méditerranée, ça ne vous empêche pas d’être Belge à part entière. D’aimer les Diables rouges et d’avoir le droit de se sentir chez soi, puisqu’on est né ici.

Ce dimanche, le Roi Philippe a donc écrit au Roi Mohammed VI pour lui présenter les condoléances du peuple belge : “Nos pensées vont aux victimes de cette catastrophe, à leurs proches et à l’ensemble du peuple marocain (…) Cette catastrophe naturelle est durement ressentie en Belgique, que tant de liens humains unissent au Royaume du Maroc aux jours heureux et dans les moments de tristesse”, écrit notamment le souverain.

La proximité est évidente. C’est ce qui rend d’autant plus difficile la décision des autorités marocaines de ne pas activer l’aide proposée par la Belgique, en tout cas jusqu’à présent. La ministre a mis les équipes de B-Fast en stand-by, mais le feu vert pour le décollage n’est toujours pas tombé à l’heure d’écrire cet édito. Seule l’aide proposé par l’Espagne, la Grande-Bretagne, le Qatar et les Émirats Arabes Unis sont pour l’instant acceptés par le Maroc. On ajoutera un pont aérien mis en place par l’Arabie saoudite. On ne tirera pas de conclusions trop rapides de cette décision qui est à la fois politique et pratique. Le  Maroc va probablement au plus simple et au plus efficace, avec une volonté de garder le contrôle. Mais il indique aussi par ce choix que ce Maroc qui nous parait si proche ne l’est peut-être pas tant que cela. Et que la force d’attraction, la puissance financière de pays comme l’Arabie saoudite, le Qatar ou les Émirats, et leur appartenance au monde musulman, sont des arguments de poids lorsqu’on doit obtenir de l’aide ou tisser des relations politiques ou économiques. Une démonstration par l’urgence humanitaire que les regards marocains ne se tournent pas toujours vers les pays de l’Union européenne. Qu’il y ait une volonté affichée de garder une forme d’équilibre entre l’aide qui provient des pays musulmans et celle des États occidentaux, où la diaspora marocaine est nombreuse (on rappelle que l’aide espagnole et britannique a été acceptée, on est bien dans la recherche d’une équidistance et pas d’un éloignement). Et pour les pays membres de l’Union européenne, la Belgique, mais aussi la France ou l’Allemagne, c’est un rappel à la réalité des relations commerciales et diplomatiques d’aujourd’hui , et à une certaine forme de modestie.

Fabrice Grosfilley