L’édito de Fabrice Grosfilley : regarder les sans-abri et agir
Comment venir en aide aux sans-abri ? Vous vous êtes peut-être posé cette question, une fois, plusieurs fois, souvent. Elle est difficile à éviter cette question en tout cas quand on se déplace dans Bruxelles. Le phénomène du sans-abrisme est visible, clairement visible, comme dans toutes les grandes villes européennes. Ce sont ces sans-papiers qui dorment sous tente, sous un porche d’entrée le long du canal, à proximité du futur musée, ou du parc Maximilien. Ce sont ces familles Roms qui s’instillent rue Neuve quand l’Inno a fermé ses portes, ou à Schaerbeek sur les talus boisés qui bordent l’autoroute E40. Ce sont ces personnes alcoolisées ou sous stupéfiant qui déambulent sur le parvis de Saint-Gilles. Ces mendiants aux feux rouges. Ces dizaines de personnes qui s’allongent sur des cartons à la station de métro Madou. Ou ce vieux monsieur à Stockel qui se promène avec ses sacs plastiques depuis des années. La diversité des situations est évidente mais la présence croissante des sans-abri est une réalité que chacun peut constater. Il est impossible de la nier, ou alors il faudrait être de très mauvaise foi.
Comment aider les sans-abri, la réponse n’est pas évidente. Il n’y a pas de baguette magique, pas de remède miracle. C’est tout le mérite de ce “manuel d’accompagnement de la personne sans-abri” publié par l’asbl Infirmiers de rue. Sortir de la rue (titre de cet ouvrage) est bien un manuel d’abord destiné aux professionnels : comment prendre contact, quel lien entretenir, comment évaluer la consommation d’alcool d’une personne sans abri, comment réagir lorsqu’on a affaire à une personne dépressive ou souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques, la paranoïa par exemple… Quelle attitude adopter, quel discours tenir ? Comment soigner une plaie, comment traiter les poux, les puces, un ulcère, un panaris… une allergie au pollen, mais aussi une overdose, un coma éthylique, les blessures liées à une bagarre ? Les explications sont précises, pratiques, pédagogiques.
Lire cet ouvrage c’est se plonger dans le quotidien des infirmiers de rues et de tout ceux qui apportent leur soutien aux sans-abri. Et c’est édifiant. C’est prendre conscience de la difficulté de la tâche. Derrière le problème de la santé, découvrir la difficulté de communiquer, comprendre les mécanismes de repli sur soi, avec des sans-abri qui préfèrent rompre tout lien avec leur famille pour ne pas avoir à exposer leur situation. Savoir ne pas brusquer son interlocuteur. Apprendre à mériter sa confiance. Savoir qu’il va falloir du temps… pour le soigner, le guider, l’accompagner. Quand on est sans-abri on cumule une série de difficultés : des problèmes relationnels, une forte dépendance à l’alcool ou à la drogue, un rejet de la société et des institutions, des pathologies. Il ne suffit pas de proposer un logement pour sortir du sans-abrisme. Ce serait même un échec quasi-assuré. Il faut un processus d’accompagnement long et délicat. Mettre un sans-abri dans un appartement c’est lui donner l’impression d’entrer dans une prison. Pourtant Infirmiers de rue, l’Ilot, Pierre d’angle et d’autres organismes sortent chaque année des dizaines de personnes de la rue. Nous ne devons pas, par confort ou paresse, fermer les yeux et nous désintéresser de leur travail. Parce que le nombre de sans-abri est en augmentation constante à Bruxelles. Une personne sur deux cent. C’est énorme. Et surtout parce que vivre dans la rue c’est perdre 30 ans d’espérance de vie.