Procès des attentats : questions des avocats de Bayingana Muhirwa et de Farisi dans des styles différents

Le procès des attentats de Bruxelles se poursuit ce jeudi avec les questions des avocats de la défense à destination des enquêteurs et des juges d’instruction. Après la défense de Mohamed Abrini et celle d’Osama Krayem, puis celle de Salah Abdeslam, de Sofien Ayari et d’Ali El Haddad Asufi, l’audience de ce jeudi a débuté avec les questions de la défense d’Hervé Bayingana Muhirwa, puis celle des frères Farisi. Cette audience devrait mettre fin à la séance de questions-réponses.

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11h00 – Une ligne du temps au centre des questions des avocats d’Hervé Bayingana Muhirwa

Me Vincent Lurquin l’un des avocats d’Hervé Bayingana Muhirwa a longuement interrogé jeudi les enquêteurs et juges d’instruction sur une ligne du temps utilisée pour illustrer le portrait de l’accusé lors de leur présentation devant la cour d’assises chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles.

Pourquoi avoir placé les dates des premiers départs de Bruxellois en Syrie dans cette ligne du temps?“, a demandé le pénaliste. “Il s’agit d’un point de repère pour la bonne compréhension du jury et M. Bayingana Muhirwa a des connaissances qui sont parties en Syrie“, ont justifié les enquêteurs.

Me Lurquin a alors enchainé avec une série de questions concernant le départ de Belges vers la Syrie. Les réponses des témoins ont confirmé que plusieurs centaines de personnes avaient fait le voyage et que la Belgique était première du classement européen du nombre de départs au prorata de la population. Ils ont également fait état de la difficulté d’empêcher ces départs en raison notamment de la liberté de mouvement intrinsèque à un État de droit. Sur une autre interrogation, la juge d’instruction Berta Bernardo Mendez a affirmé que Hérvé Bayingana Muhirwa ne s’était lui-même jamais rendu en Syrie.


12h09 – Des éléments dans un ordinateur

Se penchant ensuite sur la proclamation du Califat de l’État Islamique (EI), l’exécution du pilote jordanien, les attentats de Charlie Hebdo et la prise d’otage de l’hyper cacher à Paris, l’avocat a questionné les témoins sur la pertinence de la présence de ses éléments dans la ligne du temps concernant son client. “Ce sont également des éléments de contextes et l’ordinateur retrouvé chez M. Bayingana Muhirwa contenait des images de ces événements“, ont-ils expliqué.

L’avez-vous interrogé sur ce qu’il en pensait?“, a enchainé Me Lurquin. Réponse des témoins: “sur l’exécution du pilote jordanien, il nous a dit qu’il voulait savoir si c’était conforme à ce qu’on racontait et comparer avec les autres médias“. L’avocat a ajouté que le rapport psychologique de son client montrait que celui-ci n’est pas en accord avec les attentats et qu’il rejette la violence comme moyen d’atteindre ses objectifs.

Je trouve qu’il y a une image et un mot qui viennent en tête lorsqu’on voit cette ligne du temps“, a terminé le pénaliste, sans toutefois préciser de quoi il s’agissait.


13h02 – Bayingana Muhirwa aurait pu être le 2e “frère” évoqué par Laachraoui, suggère son avocat

La défense de Hervé Bayingana Muhirwa a ensuite suggéré que son client pourrait être le deuxième “frère” évoqué par Najim Laachraoui dans un audio destiné à Oussama Atar. On y entend le kamikaze de Zaventem parler d’un “frère” qu’il connaissait et qui n’a pas encore accepté d’aider la cellule.

L’avocat a demandé aux enquêteurs de présenter l’entièreté de la retranscription de ce fichier audio, dont ils avaient montré un extrait dans leur présentation. Dans cette partie d’enregistrement, Najim Laachraoui explique avoir rencontré un nouveau “frère”, ramené par “Abou Imrane”, soit l’accusé Bilal El Makhoukhi, qui a prêté allégeance et promis d’aider la cellule. Le message complet fait toutefois mention d’un second “frère”, une connaissance de Najim Laachraoui également contactée par Bilal El Makhoukhi, mais qui n’a pas encore accepté d’aider.

Me Lurquin a alors demandé aux témoins si Najim Laachraoui connaissait effectivement Hervé Bayingana Muhirwa. “C’est ce qu’il a déclaré lui-même”, ont-ils répondu. Le pénaliste a alors suggéré qu’il était plus probable que son client soit le deuxième “frère”, soit celui qui n’a pas encore accepté d’aider, puisque le kamikaze affirme le connaitre. Il a ensuite demandé aux enquêteurs sur quels éléments ils se basaient pour désigner Hervé Bayingana Muhirwa comme étant le 1er “frère”, si ce n’est que son surnom aurait été “Amine”.

La juge d’instruction Berta Bernardo Mendez a répliqué en se basant sur un second fichier audio où Najim Laachraoui parle du premier “frère”, qu’il appelle Amine, et indique que ce dernier avait déjà apporté son aide à la cellule terroriste. “On a tenu compte du fait qu’à cette époque M. Bayingana Muhirwa avait déjà hébergé Mohamed Abrini et Osama Krayem. La juge d’instruction Sophie Grégoire a ensuite précisé, suite aux sous-entendus de l’avocat, que les enquêteurs n’avaient en aucun cas cherché à cacher le fichier complet et que celui-ci avait été diffusé dans son entièreté durant la présentation. Les témoins ont ensuite confirmé, à la suite de questions de Me Lurquin, que Mohamed Abrini avait déclaré que Hervé Bayingana Muhirwa n’avait rien à voir avec la cellule terroriste et que “l’homme au chapeau” avait répondu aux enquêteurs : “c’est vous qui l’appelez Amine, moi je l’appelle Hervé“.

Enfin, le pénaliste a demandé à l’islamologue Mohamed Fahmi si on pouvait considérer que son client était radicalisé. “Les éléments ne permettent pas de confirmer une radicalisation“, a répondu l’intéressé. “Les enquêteurs parlent d’un intérêt évolutif pour la religion et les frères de l’accusé n’évoquent aucun signe notable de radicalisation“.

Les avocats Juliette et Vincent Lurquin et leur client Herve Bayingana Muhirwa. Belga/Jonathan De Cesare

13h31 – Me Juliette Lurquin tente de couper les liens entre son client et la rue Max Roos

Me Juliette Lurquin, qui représente l’accusé Hervé Bayingana Muhirwa aux côtés de son père, a tenté pour sa part de remettre en cause les quelques liens entre son client et l’appartement “conspiratif” de la rue Max Roos à Schaerbeek.

En préambule, l’avocate a demandé aux enquêteurs et juges d’instruction de confirmer que le domicile de Hervé Bayingana Muhirwa n’était pas considéré comme une planque. “C’est juste, c’était plus une sorte de collocation dans la mesure où il a hébergé Osama Krayem et Mohamed Abrini“, ont-ils répondu.

Me Lurquin est ensuite revenue sur le coton-tige découvert dans un sac poubelle dans l’appartement de la rue Max Roos et qui portait l’ADN mélangé de son client et de Mohamed Abrini. “On est d’accord que l’ADN peut voyager s’il se trouve sur un élément transportable?“, a demandé la pénaliste. “C’est exact“, ont répondu les interrogés. Et l’avocate de rappeler que l’ADN retrouvé sur le coton-tige était la seule trace de son client retrouvée à la rue Max Roos et que celle-ci portait également l’ADN de Mohamed Abrini, qui avait été hébergé à la rue du Tivoli, au domicile de Hervé Bayingana Muhirwa.

Me Lurquin est également revenue sur la téléphonie, faisant confirmer aux témoins que le bornage sur une antenne téléphonique ne permettait pas d’établir la position précise de l’utilisateur d’un GSM. “L’antenne qui est à proximité de la rue Max Roos aurait-elle pu être utilisée par quelqu’un qui se trouvait à la gare de Schaerbeek, par exemple“, a-t-elle demandé. “C’est possible” ont répondu les enquêteurs.

Enfin, l’avocate s’est vue confirmer le fait que tous les accusés passés par la rue Max Roos affirment n’avoir jamais vu Hervé Bayingana Muhirwa dans l’appartement. Selon eux, l’accusé serait simplement venu les chercher une fois au coin de la rue.


14h47 – Les gesticulations de Me Sébastien Courtoy pour blanchir Smail Farisi

L’avocat de Smail Farisi, Sébastien Courtoy, s’est lui escrimé à blanchir son clien. Il est notamment revenu sur une audition au cours de laquelle le policier présent déclare que Smail Farisi n’a pas participé aux attentats.

Avec son frère Ibrahim, Smail Farisi est le seul à comparaître libre au procès. Au même titre que les sept accusés détenus, il est pourtant accusé de participation aux activités d’un groupe terroriste et d’assassinats terroristes sur 32 personnes. On lui reproche d’avoir prêté son appartement (de l’avenue des Casernes à Etterbeek) à la cellule terroriste.

Posant à son tour ses questions aux enquêteurs et juges d’instruction, Me Courtoy a fait appel à une audition de son client datant de septembre 2017, lors de laquelle le policier présent déclare : “Je ne pense pas que ce qu’il lui est reproché c’est d’avoir participé à la confection des bombes. C’est autre chose, notamment d’avoir donné son appartement.” Dans son style flamboyant, Me Courtoy a souligné que cette “phrase capitale pour l’innocence de mon client” ne figurait pas au dossier “dans l’optique de cacher cette information aux magistrats“.

C’est un raccourci rapide“, a rétorqué l’enquêteur en question. “Avant chaque audition filmée, il est mentionné que tout son contenu est récupérable.” Il a soutenu ne pas se souvenir d’avoir refusé d’ajouter l’audition au dossier. Quoi qu’il en soit, le passage en question devait être retranscrit par Me Courtoy pendant la pause de mi-journée en vue d’être homologué.

L’accusé Smail Farisi aux procès des attentats de Bruxelles. Belga/Jonathan De Cesare

Les questions de Sébastien Courtoy se sont ensuite orientées vers (l’absence) de signes de radicalisation de son client. Les enquêteurs ont confirmé que Smail Farisi ne présentait pas de signes de radicalisation. Lors des perquisitions au domicile de ses parents, aucun signe de rattachement à l’État Islamique (EI) -comme un drapeau, un coran ou même un tapis de prière – n’a été trouvé. M. Farisi ne présente pas de casier judiciaire. “Est-ce que ‘Fumier’ (surnom de l’accusé, NDLR) peut être utilisé comme kounia (nom de guerre djihadiste, NDLR)?“, a demandé le pénaliste d’un ton provocateur. “Non“, ont répondu les interrogés.

L’avocat a par ailleurs souligné que les individus qui se trouvaient dans l’appartement de Smail Farisi avant les attentats n’osaient pas suspendre de drapeau de l’État islamique par peur “d’énerver” le locataire des lieux. “Cela n’a-t-il pas troublé les juges d’instruction au moment de le placer sous mandat d’arrêt“, a-t-il lancé, faisant référence à la période de deux ans durant laquelle son client séjournait en détention préventive.

Les enquêteurs ont alors rappelé les motivations de ce mandat d’arrêt : Ils le soupçonnaient d’avoir participé aux faits ; d’avoir occupé un appartement que les suspects ont occupé peu avant les faits ; l’inculpé se serait trouvé à l’appartement le jour des faits ; et il ne pouvait ignorer que les personnes étaient recherchées pour terrorisme.

Belga, image Belga