La culture asphyxiée par les mesures sanitaires
Le concert d’Ibrahim Maalouf au Cirque Royal, le DJ set de Cumulet à La Cabane, le concert de River Into Lake au Théâtre National… À Bruxelles, nombre d’événements culturels sont reportés ou annulés depuis l’annonce des dernières mesures sanitaires. Pendant que les clubs restent portes closes, les grandes salles de concerts ou de spectacle sont touchées par la jauge maximale de 200 personnes assises. Dans la capitale, la quatrième vague ravage déjà le secteur de l’événementiel.
Depuis ce lundi 6 décembre, tous les événements du pays sont limités à 200 personnes assises. À cela s’ajoute le Covid Safe Ticket (CST), le port du masque obligatoire et le fameux 1,5 mètre de distanciation sociale. De quoi refroidir l’ambiance dans un secteur culturel déjà exsangue après des mois de fermeture suivis d’une lente reprise.
C’est la douche froide pour la culture qui subit de plein fouet chaque nouveau Codeco. Pour les événements extérieurs, le gouvernement fédéral se contente de rappeler la responsabilité des organisateurs quant à la gestion de la foule, faute de quoi ils seront tenus d’annuler. Mais autant dire qu’en plein mois de décembre, les festivités se font rarement dehors.
Les clubs trinquent une nouvelle fois
Sept semaines d’ouverture en près de deux ans. Un triste record pour les discothèques belges qui, depuis le dernier Codeco du 27 novembre, doivent fermer leurs portes. Une mesure destinée à enrayer la propagation du virus dont la quatrième vague frappe durement le pays. Fuse, C12, Zodiak, La Cabane, Mirano… Tous les clubs bruxellois ont été contraints d’annuler leurs événements, et ce jusqu’au 20 décembre au moins.
« Une nouvelle fois, la nuit est sacrifiée sur un autel dont personne ne comprend les contours », regrette Lorenzo Serra, responsable de la fédération Brussels By Night. Et d’ajouter : « Quelle erreur d’appréciation de croire que la fête va s’arrêter. Les jeunes la poursuivront, comme toujours, mais de leur côté, dans des apparts, maisons, garages ou entrepôts. Et c’est évidemment dans ce non-cadre festif que les contaminations vont se poursuivre. » Moroses, les discothèques accusent le coup.
Les établissements Horeca, quant à eux, doivent faire plier bagage à leurs clients à 23 heures maximum. Nombre de bars dansants et autres lieux propices à la fête tardive ont donc été contraints de revoir leur formule. Au revoir, par exemple, les soirées DJ du samedi soir au Bar du Matin, café emblématique de la place Albert. Plus de concerts non plus à la microbrasserie de La Source où l’esprit rock s’accommode mal à l’obligation de rester assis. On parle en fait de centaines d’événements reportés ou annulés dans d’innombrables lieux festifs de la capitale.
Les grandes salles voient noir
L’incertitude est de mise pour nombre de lieux culturels qui n’ont pas encore décidé comment réagir sur le long terme face à de telles contraintes. C’est particulièrement le cas pour les plus grands établissements tels que le Théâtre National. Avec une salle principale capable d’accueillir jusqu’à 750 places assises, le respect de la jauge s’avère difficile. « Dans les faits, il ne suffit pas de bloquer à 200 personnes. Pour les événements déjà prévus avant les mesures, comment décider maintenant qui vient ou qui ne vient pas ? », se questionne l’équipe.
Le Théâtre National s’est déjà vu contraint d’annuler le concert du groupe indie pop bruxellois, River Into Lake, prévu le 27 novembre dernier. À l’heure où l’on écrit ces lignes, son conseil d’administration se réunit pour analyser la situation et choisir quelle réponse apporter pour la suite. « Plutôt que de décider chacun pour sa chapelle, nous souhaitons apporter une réponse commune à faire remonter aux gouvernements face à l’ineptie de certaines mesures », confie l’équipe du Théâtre National.
Après le dernier Codeco, les maisons de la culture – réunissant La Monnaie, Bozar, L’Orchestre National, le Théâtre National et KVS – ont poussé un grand coup de gueule en ligne. Vu les investissements en jeu, il paraît impossible pour des établissements d’une telle envergure d’ouvrir leurs salles pour un maximum de 200 spectateurs. Une jauge qui représente un sixième de la capacité totale de certaines salles. « Cette mesure est insensée mais également économiquement irréalisable après une année de perte de revenu continue », peut-on lire dans le communiqué. Les maisons de la culture plaident pour « une approche individuelle du problème qui tienne compte de la situation réelle, laquelle est différente pour chaque maison culturelle. »
À La Monnaie, le monumental opéra Norma de Vincenzo Bellini, prévu du 12 au 31 décembre, risque bien de pâtir des nouvelles mesures. L’équipe dit évaluer « l’incidence des mesures sur les représentations » pour décider si, oui ou non, le spectacle se déroulera aux dates convenues. À l’Orchestre National, il est toujours possible d’acheter des tickets pour le concert du chef d’orchestre Hartmut Haenchen, mais sans certitude que l’événement aura bel et bien lieu.
On l’a compris : incertitude est le mot d’ordre. Il vaut donc mieux se renseigner avant d’aller sur le lieu d’un événement durant les prochaines semaines. Bien souvent, toutes les informations sont disponibles sur les sites internet des lieux en question.
Des conséquences différentes pour chacun
Du côté d’Etterbeek, l’Atelier 210 n’est pas en reste. Les organisateurs ont notamment dû annuler le festival A decade of lost civilizations, prévu les 3 et 4 décembre. Par ailleurs, la jauge de la « science & cocktails » a été réduite, « alors que nous sommes toujours sold-out pour ces événements », regrette Alice Vanwindekens, attachée de presse du 210. Elle tempère tout de même : « Pour le mois de décembre, l’impact n’est pas très important car nous avons principalement du théâtre pour le jeune public. Les jauges sont donc déjà inférieure à 200 places et les spectateur.rices sont de toute façon assis. »
Plus les salles sont grandes, plus la limitation de la jauge s’avère contraignante. Logique. Au Théâtre Marni, à Ixelles, la situation est nettement moins préoccupante. « Nous avons la chance d’être une petite structure avec des petites salles, donc nous ne sommes pas touchés par les nouvelles mesures », se réjouit la directrice Joëlle Keppenne. Elle tient toutefois à manifester sa « profonde solidarité » avec les grandes salles.
Jusqu’à quand les mesures sanitaires vont-elles durer ? C’est la grande question à laquelle personne ne sait répondre. En tout cas, rien avant au moins deux semaines. Le Comité de Concertation prévoit une nouvelle réunion le lundi 20 décembre pour évaluer les mesures prises le 3 décembre. Dans le secteur culturel, les plus pessimistes s’attendent à une, voire plusieurs prolongations. « Il faudra également voir si le public est prêt à continuer à venir avec toutes ces contraintes », s’inquiète Alice Vanwindekens du 210.
Reports et annulations à la pelle
Batibouw, le salon de l’Auto, Agribex… reports ou annulations s’enchaînent aussi dans les foires et salons de Brussels Expo. Côté concerts et spectacles, ce n’est pas non plus la joie. Miossec à La Madeleine reporté, l’événement Music For Bricks au Palais 12 annulé, le spectacle de l’humoriste GuiHome repoussé… On ne peut tous les citer tant la liste est longue, mais toutes les informations sont disponibles sur le site de Brussels Expo.
Le Botanique accuse le coup : « entre 10 et 20% des événements de décembre sont pour l’instant reportés », estime Paul-Henri Wauters, directeur général. Un taux néanmoins raisonnable parce que l’équipe du Bota préfère trouver des solutions pour maintenir les concerts, quitte à s’adapter. Ainsi, en décembre, Barbara Carlotti, Bombataz et Terrenoire joueront devant un public assis dans la petite salle de La Rotonde. « Il y a encore beaucoup d’incertitudes et on décide actuellement concert par concert si on réadapte la formule ou si on reporte », poursuit, lucide, le directeur. On peut donc encore s’attendre à de mauvaises nouvelles.
Pour ceux qui avaient acheté leur ticket pour le concert d’Ibrahim Maalouf, initialement programmé le 30 mai 2020 et déjà trois fois repoussé, il va falloir être encore patient… Alors qu’il devait jouer ce lundi 6 décembre au Cirque Royal, le compositeur franco-libanais ne donnera pas de concert en Belgique avant mai 2022. Ce n’est pas tout. Le Cirque Royal suspend en fait toutes ses activités jusqu’à nouvel ordre. Les concerts de Cœur de pirate, Jane Birkin et Heilung subissent donc le même sort.
Depuis ce week-end, même son de cloche pour les salles du Sportpaleis Group, dont Forest National. Celles-ci resteront totalement fermées au public jusqu’au prochain allègement des mesures. Pas de concert de Vitaa et Slimane le jeudi 16 décembre, donc.
L’Ancienne Belgique (AB) compte aussi son lot de déconvenues. En décembre, les artistes Zwangere Guy, Therpay, Dans Dans, Meshuggah, Sttellla et Whispering Sons verront leur show reporté. Les concerts de Nathan Gray, Yong Yello et Kapitein Winokio sont, quant à eux, carrément annulés.
En ce début d’hiver, le temps est maussade pour la culture. Le secteur vit une nouvelle période d’ombre dont chacun espère sortir le plus rapidement possible. Vivement le printemps, saison culturelle par excellence, durant laquelle se multiplient concerts, spectacles, festivals et open-air. On a déjà hâte des éditions 2022 des Listen Festival, BSF, Couleur Café et autres festivités pour enflammer la capitale. Enfin, si le covid nous le permet bien sûr…
Pour y voir plus clair, retrouvez l’agenda de BX1 de tous les événements à venir dans la capitale, réalisé avec visit.brussels.
Ondine Werres – Photo : Belga/James Arthuer Gekiere