Dangerosité, efficacité et fonctionnement des vaccins Covid-19: réponses aux 10 questions que vous vous posez
L’ULB organisait jeudi une conférence en ligne sur la réponse “vaccination” du Covid-19. Durant quatre heures, six chercheurs ont notamment expliqué comment il était possible que des vaccins puissent arriver si rapidement sur le marché.
► Voir notre reportage : Stratégie de vaccination : le personnel et les résidents des maisons de repos seront prioritaires
L’actualité de cette semaine est particulièrement liée aux vaccins contre le Covid-19. Le premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a d’abord donné la date du lancement de la vaccination en Belgique. Il s’agit du 5 janvier prochain. Ensuite, la population connaît, depuis jeudi, les différents groupes prioritaires. Les résidents et le personnel des maisons de retraite et des institutions collectives de soins recevront ainsi la primauté.
L’inquiétude reste toutefois forte au sein de la population. N’est-ce pas suspect après tout que des vaccins puissent arriver sur le marché en un temps record? De nombreux Belges se demandent si nos dirigeants ne font pas preuve de précipitation face à l’urgence de la crise sanitaire et économique. Ces questions du grand public de la vaccination sont légitimes et c’est le rôle des scientifiques d’informer et de donner des clés de compréhension.
Voilà pourquoi l’ULB a organisé ce jeudi, entre 9 et 13h, une conférence sur la vaccination. Six spécialistes en épidémiologie, immunobiologie et maladies infectieuses ont abordé le sujet “vaccination” sous toutes ses coutures. Le verdict: les raisons d’être optimistes sont réelles. L’efficacité devrait être relativement élevée et la dangerosité relativement faible.
Voici les réponses aux 10 questions que vous vous posez sur le sujet:
1) Quelle utilité en santé publique?
Directrice de recherche FNRS en Faculté des Sciences à l’ULB, Muriel Moser est l’autrice d’un livre sur la vaccination sorti ce jeudi 3 décembre (voir notre interview : Vaccin: livre scientifique pour le grand public) . Son constat est sans appel: celle-ci a eu des effets bénéfiques immenses pour l’espèce humaine. “Environ une trentaine ont fortement modifié l’évolution des maladies dans le monde entier”, explique-t-elle. Parmi les plus connues, citons la pneumonie, les hépatites A et B, la polio, la diphtérie ou encore le tétanos.
La chercheuse livre deux chiffres clés pour mieux comprendre: 2 à 3 millions de vies sont sauvées chaque année dans le monde par la vaccination et 26 millions de cas de maladies d’enfants ont été aussi ainsi évités en 10 ans aux Etats-Unis.
2) A quand remontent les débuts de la vaccination ?
Les premiers exemples remontent déjà aux 18 et 19e siècles avec la variole. “Il avait été observé que les fermières ayant contracté la vaccine, c’est-à-dire la variole de la vache, étaient protégées contre la variole. C’est ce qui a conduit Edward Jenner à injecter en 1796 cette vaccine dans un jeune garçon à qui il a ensuite inoculé le virus de la variole virulente. Il n’a pas été malade. C’était donc la première preuve de la vaccination”.
Cet épisode a donné son nom au terme vaccin. “Ça vient de “vacca” qui signifie vache. Le nom a été donné par Louis Pasteur”, précise Muriel Moser.
3) Les vaccins ont-ils beaucoup évolué depuis lors?
Enormément! De nouvelles techniques ont été développées et améliorées aux 20 et 21e siècle. Rien que ces 20 dernières années, la recherche a fait des progrès à pas de géant. Et ce n’est pas encore fini! “Au 20e siècle, le développement des vaccins s’est poursuivi, en particulier la diversification de la composition des vaccins”, indique Muriel Moser.
Chercheur FNRS en Faculté de Médecine à l’ULB, le biologiste et immunologiste Eric Muraille cite ainsi cinq types de vaccins différents: les vivants atténués, les inactivés, les sous-unitaires, les vectorisés, les à ARN. “Le vaccin contre la maladie du charbon chez le chien et le mouton date de 1880. C’est un vaccin inactivé. Beaucoup de gens s’étonnent qu’on ait pu développer si vite un vaccin pour le Covid. Ici, Toussaint a fait le boulot en six mois avec des moyens tout à fait dérisoires”.
4) Comment fonctionne concrètement un vaccin?
Pour comprendre le processus de vaccination, il faut s’attarder quelques minutes sur notre système immunitaire. “On fait face à 1.407 agents pathogènes qui peuvent infecter l’humain. Là-dedans, il y a les helminthes qui peuvent mesurer plus d’un mètre, des protozoaires, des champignons, des bactéries et des virus. Pour faire face à cette diversité d’agents pathogènes, le système immunitaire a une réponse en deux temps. La première est très stéréotypée et rapide. C’est l’immunité innée qui peut se développer dans les minutes qui suivent la rencontre avec l’agent. La seconde, l’immunité adaptative, est plus spécifique et se développe plus lentement. C’est cette immunité-là qui est exploitée par la vaccination”, explique Eric Muraille.
Le chercheur FNRS utilise la métaphore policière pour expliquer le fonctionnement de notre immunité. “On abrite 10.000 milliards de bactéries, soit autant que les cellules qui nous composent. Cette flore est indispensable au fonctionnement de notre organisme. Les agents pathogènes se distinguent par le fait qu’ils causent des dégâts. Notre système immunitaire n’est pas une force armée qui agit de manière stéréotypée dès qu’elle voit quelque chose de non-conforme. C’est plus une force de police qui va juger des comportements et, sur base de ces comportements, va prendre la décision de réagir ou non”.
5) Quels sont les différents vaccins contre le Covid-19?
Avec les contrats passés avec plusieurs firmes pharmaceutiques, la Belgique et l’UE possèdent un portefeuille de six vaccins:
1) Pfizer/ BioNtech (ARN)
2) Moderna (ARN)
3) CureVac (ARN)
4) AstraZeneca (vecteur viral)
5) Janssen / Johnson & Johnson (vecteur viral)
6) Sanofi-GSK (sous-unitaire adjuvanté)
La Chine a investi dans deux vaccins:
1) Sinovac (inactivé)
2) Sinopharm (inactivé)
La Russie en possède un:
1) Gamaleïa (Sputnik V) (vecteur viral)
Comme expliqué plus haut dans l’article, les techniques pour développer un vaccin peuvent donc différer. Tel est d’ailleurs le cas pour les différents vaccins développés actuellement contre le Covid-19. Les firmes ou les Etats n’ont ainsi pas opté pour les mêmes stratégies. Cela ne veut pas dire qu’un vaccin sera moins bon qu’un autre pour autant.
Eric Muraille décrypte:“Les vaccins vectorisés et à ARN sont safe, ils induisent relativement une bonne immunité, mais il leur reste quelques défauts. Les vectorisés, c’est le fait qu’on développe une immunité contre un vecteur et qu’on ne peut pas utiliser le même vecteur plus d’une fois. Ca pose donc pose un problème pour les rappels de vaccination. Les vaccins à ARN, le principal problème, c’est le stockage à – 70 degrés”.
Le biologiste et immunologiste poursuit: “D’autres pays n’ont pas du tout opté pour ces stratégies-là. La Chine, c’est principalement des vaccins dit inactivés, une très ancienne technologie, mais sur laquelle on a aussi beaucoup plus de recul”.
6) L’immunité collective sans vaccin, c’est possible?
L’immunité collective est un concept selon lequel une population est protégée contre un virus donné une fois franchi un certain seuil de vaccination. Puisque la majorité des personnes infectées au Covid-19 ont conservé des anticorps, faut-il vraiment passer par un vaccin après tout? Pour les chercheurs de l’ULB, la réponse ne souffre aucune discussion: oui et encore oui. “A l’échelle mondiale, on ne pense pas qu’il y ait d’exemple d’immunité collective sans vaccin et l’OMS, qui a analysé cette question, dit qu’essayer de parvenir à l’immunité collective en laissant se propager un virus dangereux serait problématique du point de vue scientifique et contraire à l’éthique”, insiste Muriel Moser.
La chercheuse a sorti la calculette: atteindre en Belgique l’immunité collective sans vaccins nécessiterait la mort de 57.300 à 76.800 personnes. “Ce n’est bien sûr pas acceptable dans notre société”. Eric Muraille enfonce le clou: “Dans la situation où nous nous trouvons, c’est-à-dire une croissance quasi continue du nombre de cas, la seule solution pour s’en sortir c’est un ou des vaccins contre le Covid-19. Ils sont indispensables à court terme”.
Combien de Belges devraient être vaccinés pour atteindre cette immunité collective? Entre 50- 67%, estime Muriel Moser.
7) Quelle efficacité pour ces vaccins Covid-19?
Les chercheurs de la conférence de jeudi sont unanimement optimistes. Bien sûr, ils ne disposent pas de tous les informations finales. Ils doivent ainsi se contenter des communiqués de presse des firmes pharmaceutiques pour les informations concernant la phase de développement la plus récente. Il y a toutefois des raisons objectives d’être optimiste et espérer, estime Arnaud Marchant, chercheur FNRS en Faculté de Médecine de l’ULB. “Une excellente efficacité est annoncée”, se réjouit l’immunologiste. Eric Muraille insiste: “Sur les six vaccins réservés par la Belgique, on peut s’attendre qu’un ou plusieurs fassent le job”.
8) Oui, mais pourquoi un vaccin aussi rapide?
Comment est-ce possible de rendre un vaccin en moins d’un an? Est-ce qu’on n’aurait pas brûlé les étapes? La question s’avère évidemment centrale. Arnaud Marchant se veut rassurant et explique: “Il faut réaliser que les choses ont été faites de manière extrêmement inhabituelle au niveau de ce qu’on a mis en œuvre pour y arriver. L’élément-clé, c’est l’anticipation des quatre phases de développement et d’évaluation d’un vaccin. Pendant que les firmes travaillaient sur leurs modèles animaux, elles étaient déjà occupées à écrire les protocoles pour la phase 1. Pendant la phase 1, elles travaillaient déjà à la phase 2, etc. Chaque phase suivante était déjà anticipée”.
C’est ainsi que pendant la phase 3, la production de centaines de millions de doses était déjà en préparation. En prenant de gros risques financiers. “Précédemment, il se passait quoi? On développait des modèles et on générait des résultats, puis les gens s’asseyaient et discutaient, présentaient leurs résultats lors de conférences internationales. Ici, l’anticipation des phases suivantes est un élément majeur dans l’accélération du processus. Et puis, on a travaillé 24h sur 24 sur un vaccin à l’échelle de la planète”. Spécialiste des maladies infectieuses CHU Saint-Pierre, Nicolas Dauby donne un dernier élément d’explication: “Il y a aussi une priorisation des ressources. La recherche sur d’autres pathologies a été ralentie”.
9) Quelle dangerosité réelle?
Des centaines de doses ont été produites avant même la fin du processus pour gagner du temps. Cela ne signifie pas du tout que les firmes pourront les vendre. Certains vaccins seront peut-être in fine “jetés à la poubelle”. Les firmes ont donc pris des risques financiers très importants. Pas par charité, elles espèrent bien sûr gagner de l’argent. Elles souhaitent toutefois aussi produire un produit performant. Il y va de leur réputation. Il fallait néanmoins soutenir financièrement ces entreprises qui ont dépensé des milliards dans la recherche. Voilà pourquoi de nombreux Etats ont acheté des doses à l’avance.
Nicolas Dauby rappelle par ailleurs que la crainte du vaccin est aussi vieille que la vaccination elle-même. Or, souligne-t-il, les vaccins sont parmi les produits pharmaceutiques les plus utilisés en Belgique. “Cela représente un million de doses par an. La qualité est contrôlée à plusieurs niveaux et le contrôle de qualité est le plus strict et extensif de tous les produits pharmaceutiques”.
Eric Muraille complète: “Pfizer/ BioNTech et Moderna ont fait une demande de mise sur le marché conditionnelle à l’Agence européenne du médicament (EMA). Si les avantages des vaccins l’emportent sur les risques, alors on aura une autorisation possible début janvier. Il faut bien préciser ce qu’est une mise sur le marché conditionnelle. Cela implique une surveillance continue, beaucoup plus importante que les autres vaccins mis sur le marché précédemment”.
10) Ce qu’on ignore encore
Les inconnues restent bien sûr nombreuses. La plus importante, sans doute, c’est lequel ou lesquels des six vaccins du portefeuille belge fonctionneront le mieux. Le choix de leur utilisation dépend aussi d’autres facteurs que leur simple efficacité. L’aspect logistique joue un rôle. Conserver un vaccin à -70 degrés représente par exemple une difficulté supplémentaire.
D’autres questions subsistent: l’impact de la vaccination chez les personnes qui ont déjà eu le Covid-19, si certains vaccins fonctionneront beaucoup mieux chez certaines tranches d’âge en particulier, mais aussi à quel point ces vaccins pourront aussi empêcher de devenir contagieux.
“On ne connaît pas non plus par exemple l’impact de la vaccination sur les femmes enceintes. Elles ont été exclues du contingent d’individus qui a reçu le vaccin et seront sans doute écartées des premières vaccinations faites en janvier”, complète Eric Muraille.
Julien Thomas – Photo: Belga/Jasper Jacobs