À la découverte de Change, l’association derrière la manifestation antiraciste sur la place Poelaert
L’association Change ASBL Belgium a coordonné l’organisation de la manifestation destinée à dénoncer le racisme et les violences policières le 7 juin sur la place Poelaert : une association qui a pris la lumière grâce à ce mouvement populaire.
10 000 personnes rassemblées le dimanche 7 juin, Place Poelaert, à Bruxelles, pour dénoncer le racisme et les violences policières. Un mouvement coordonné par Change asbl Belgium. Une association lancée en 2013, dont les fondateurs militent depuis une dizaine d’années autour du vivre ensemble et dans la lutte contre les discriminations dont sont victimes les membres de la communauté africaine subsaharienne. “Nous avons eu l’honneur de coordonner cette grande manifestation. Cela n’a pas été facile, il a fallu mettre en lien toutes les associations qui ont pris part au rassemblement”, explique Dido Lakama, Président de Change asbl Belgium.
Square Lumumba et autres combats
Travaillant plutôt dans l’ombre ces dernières années, Change a contribué, avec d’autres associations, à la mise sur pied du Square Lumumba, en lieu et place du Square du Bastion à Ixelles. “Un premiers pas important, mais il faudrait mieux informer, mieux communiquer autour de ce square. À part une plaque, il n’y a rien. Nous voulons interpeller les présidents de partis à ce sujet”, précise Dido Lakama.
L’association se bat aussi contre le phénomène des bandes urbaines. “Un phénomène qui s’est fait moins présent dans l’espace public ces derniers temps à Bruxelles”, estime Dido Lakama. “C’est le premier combat mené par Change. C’est une grande fierté”, ajoute-t-il. “Change essaie de faire un travail constructif”, reconnaît le bourgmestre d’Ixelles, Christos Doulkeridis (Ecolo), “qu’on essaie de soutenir comme on peut.” Le bourgmestre précise cependant que les bandes urbaines sont toujours bien présentes à Bruxelles, “mais elles sont moins dans une logique de bagarre dans l’espace public. Il semble qu’un équilibre ait été trouvé. ”
De Kinshasa aux bandes urbaines
La réalité des bandes urbaines, Dido Lakama la connaît bien. Né à Kinshasa, il est arrivé en Belgique à l’âge de 6 ans. “J’ai eu le parcours de ces jeunes qui ne se sentent pas chez eux”, avoue-t-il. “Quelqu’un qui a du mal à exprimer ses frustrations. J’ai eu un parcours difficile et je suis passé par les bandes urbaines et les incarcérations. J’ai compris après que ce n’était pas le meilleur moyen pour m’exprimer. C’est de là que vient le nom Change !”
Après ce déclic, Dido Lakama décide de lancer avec des proches une association. Une structure qui se veut apolitique, “sans financement public de fonctionnement mais avec des subsides ponctuels par rapport à des projets. Et surtout, un solide réseau de bénévoles.”
Représentant de la communauté congolaise, l’ancien échevin à la Ville de Bruxelles, Bertin Mampaka (cdH) se souvient lorsque plusieurs jeunes, dont Dido Lakama, sont venus frapper à sa porte alors qu’ils lançaient l’association Change. “Dido est très représentatif des jeunes qui se sentent discriminés. Il y a aujourd’hui quelque chose de très préoccupant, il y a une frustration réelle des jeunes, nés à Bruxelles, qui n’ont pas jamais mis un pied à Kinshasa, et qui souffrent dans leur chair de ne pas se sentir intégrés ici.”
Black Lives Matter, vivre ensemble et décolonisation
Et maintenant ? Au lendemain de la manifestation historique du 7 juin, comment l’association se positionne-t-elle ? “Le message est bien sûr : “la vie d’un noir compte” mais dans une logique de vivre ensemble”, précise Dido Lakama. “Ça ne doit pas être juste un slogan. Il faut lutter contre toutes les discriminations subies par la communauté africaine en Belgique en passant, notamment, par l’éducation, en travaillant sur les jeunes, dans les écoles. Parler de la colonisation. Enseigner l’histoire vécue de part et d’autre.” À la question “Faut-il déboulonner les statues de Léopold II ?”, l’association Change veut rester ouverte : “Si elles partent, tant mieux ! Mais si elles restent, ceux qui les voient doivent savoir qu’elles mettent en avant quelqu’un qui a fait du mal.”
“Notre plus grande peur, c’est qu’une partie de notre communauté se radicalise par frustration. Nous travaillons beaucoup chez Change à la prévention. Il faut donner la parole à tout le monde. Bruxelles est une ville cosmopolite. Il faut garder cette richesse-là”, précise encore Dido Lakama.
Communauté africaine et leadership
Très actif dans la lutte contre le racisme et les discriminations, le collectif Mémoire Coloniale n’a pas officiellement été associé à la grande manifestation contre le racisme et les violences policières. Ce qui en a étonné plus d’uns. “Nous n’y avons pas formellement été invités”, explique Moïse Essoh, porte-parole du collectif Mémoire Coloniale. “Mais nous avons appelé à soutenir la manifestation. Tout ce qui fait avancer la lutte contre le racisme doit être encouragé de manière générale.”
Dans le passé, Change et Mémoire Coloniale ont souvent travaillé ensemble, sur le projet du Square Lumumba, par exemple. Si l’association Change prend quelque peu ses distances avec le côté politisé du collectif, ce dernier pointe une différence de fonctionnement : “On lutte pour la même chose mais le modèle organisationnel n’est pas le même, plus pyramidal chez Change, très horizontal chez mémoire Coloniale”, précise Moïse Essoh.
“La question du leadership lors de la manifestation s’est peut-être aussi posée”, se demande Moïse Essoh. “La communauté africaine a beaucoup souffert de ça. De cette concurrence de la représentativité.”
Une opportunité à saisir
“2020 marque un grand virage dans le monde entier”, conclut Dido Lakama. “Je ne sais pas ce que Bruxelles et la Belgique vont faire comme choix.” Et de souligner que le rassemblement du 7 juin a uni un public multigénérationnel. “Des jeunes et des plus vieux, qui se mobilisent aujourd’hui et quand les gens sont ensemble, on peut faire de belles choses.”
Valérie Leclercq – Photo : Belga/Nicolas Maeterlinck