Rue de la Loi : Sophie, les femmes, l’évaporation
C’est donc historique. Pour être franc on le sentait venir depuis que Charles Michel et Didier Reynders avaient décroché la timbale européenne. Le prochain premier ministre du gouvernement fédéral serait une première ministre. Sophie Wilmès était en pôle position. Pour contrecarrer son accession à ce poste au sommet de l’Etat, il aurait fallu, au choix, un accord de gouvernement et l’installation d’une nouvelle majorité gouvernementale, un coup de force des partenaires flamands pour chiper le poste au Mouvement Réformateur, ou une lutte intestine pour changer la hiérarchie tacite bleue et imposer un autre premier de cordée libéral francophone. La première hypothèse était irréaliste, la seconde avait ses partisans mais buttait sur un écueil partisan (offrir le poste au CD&V c’était mécontenter l’Open VLD et inversement, donc autant laisser le job à une francophone) et la troisième aurait supposé que Denis Ducarme ait voulu croiser le fer et trouver des soutiens, ce qui n’est pas arrivé (et j’entends de mauvais esprits me souffler que de toutes façons les luttes intestines ça n’arrive jamais au MR).
Historique, donc. Et c’est vrai. Avec cette nomination (il faudra attendre la prestation de serment devant le Roi) la Belgique rejoint un club assez fermé où une femme endosse la responsabilité de chef d’Etat ou de chef de gouvernement. Mais ne pavoisons pas, l’Autriche, l’Allemagne, le Royaume-Unie, la France, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, la Lituanie, la Lettonie, l’Irlande, Malte et San Marin (liste non-exhaustive) l’avaient déjà fait. Parfois pour de courtes périodes (Edith Cresson en France), parfois dans la durée et avec une action qui marqua la politique de l’Etat en question (Angela Merkel en Allemagne et Margaret Thatcher au Royaume Uni).
Depuis hier, les réseaux sociaux se divisent en deux camps : ceux/celles qui se félicitent de l’accession d’une femme au poste de Premier Ministre, symbolique, c’est vrai, mais peut-être décisif sur le chemin d’une parité effective. Et ceux/celles qui assortissent ces félicitations d’une réserve sur la portée du poste : être première ministre c’est bien, l’avoir été en dehors d’une période en affaires courantes et portée par une majorité parlementaire eut été préférable. Les deux camps ont raison. Parce que la force du symbole ne doit pas être négligée. C’est un bastion machiste qui tombe ici. Le précédent ouvre la voie aux suivantes et c’est fondamental. Et oui, Sophie Wilmès, quoiqu’il arrive maintenant aura sa place dans les livres d’histoire comme première femme première ministre. Les mauvaises langues s’inquiéteront toutefois de savoir si elle ne risque pas aussi d’être la dernière étant donné l’état des relations entre francophones et néerlandophones et l’absence d’unité politique grandissante. Qu’en cinq ans les femmes ont joué les seconds rôles, MR, NVA, CD&V et Open VLD s’accordant sur un gouvernement, qui en plus de refléter assez peu la diversité du pays était loin d’être paritaire et où, Maggie De Block exceptée, tous les premiers rôles étaient masculins. Nos mauvaises langues souligneront encore que la nouvelle première, dont les compétences ne sont pas remises en cause, entre en piste à l’issue d’un scénario catastrophe qui a vu la majorité de Charles Michel effectuer une multitude de tonneaux, avant de s’offrir une sortie de route spectaculaire. Le véhicule fédéral est désormais dans l’ornière. Avec 38 députés sur 150 Sophie Wilmès est au volant, certes, mais son rôle consiste à attendre la dépanneuse. Et tant qu’à chercher des femmes de pouvoir, les portefeuilles de Caroline Désir (à la Fédération) et Christie Morreale (en Région wallonne) sont tout aussi significatifs.
Soit. Pourtant les autres partis auraient tort de railler. Certes le PS a envoyé au 16 rue de la Loi un fils d’immigré italien qui ne cachait pas son homosexualité (mais ne l’affirmait pas non plus). Mais il n’a jamais eu de femme à sa tête, et jusqu’à une décision de Paul Magnette il y a quelques jours le bureau du parti était, lui aussi, dominé par la classe mâle. Le CDH a eu une présidente (Joelle Milquet) mais c’est de l’histoire ancienne. En Wallonie et à Bruxelles, nous n’avons jamais vu (sauf distraction de ma part) de femme diriger un exécutif régional. Seule exception la Fédération Wallonie-Bruxelles avec Laurette Onkelinx et Marie Arena.
Ce dimanche surtout, on ne peut s’empêcher de noter que les grands formats quittent le niveau fédéral un à un. Michel, Reynders, Peeters préfèrent l’Europe. Beke la Flandre. Borsus et Crucke la Wallonie. Comme si le fédéral n’était plus que le choix par défaut. Que son évaporation était désormais tellement avancée que les résidus de son inaction étaient transparents pour l’opinion publique. Une sorte de seconde division de la politique belge que l’on peut donc laisser à une femme. On souhaite à la nouvelle première ministre de démontrer qu’elle aura le doigté et l’intelligence politique nécessaire pour diriger un gouvernement depuis si longtemps en soins intensifs, que même les parlementaires et la presse oublient d’aller à son chevet. On saluera aussi son dévouement, sa constance et son courage …. qui font visiblement défaut aux hommes politiques.
Fabrice Grosfilley – Photo: Belga