Rue de la Loi : 2 informateurs pour 3 hypothèses (J+4)

On attendait la journée de vendredi, en se disant qu’un jeudi de l’ascension, jour férié et fête catholique, il ne se passerait rien au Palais. On n’osait spéculer sur la désignation d’un informateur, se disant que le Roi aurait peut-être besoin de consulter encore l’un ou l’autre sage et de passer par une étape intermédiaire (la littérature politique regorge de termes tels que démineur, explorateur, facilitateur, etc).

L’ascension se mua en nomination, et pour être informé au mieux, le souverain constitua un tandem. Johan Vande Lanotte et Didier Reynders, un socialiste flamand et un libéral francophone, vont donc travailler ensemble. Et leur désignation est une petite surprise à plus d’un titre.

D’abord parce que c’est un duo. Recourir à une équipe de négociateurs, Albert II aussi l’avait fait aussi (Raymond Langendries, Karl-Heinz Lamberts et François-Xavier de Donnéa furent « émissaires » en 2008, André Flahaut et Danny Pieters, alors présidents de la Chambre et du Sénat, médiateurs en 2011). Mais on était alors dans des moments d’enlisement et de crise aigüe, pas du tout au début d’un processus, dans la semaine qui suit l’élection. La méthode du duo acte un fossé grandissant entre le nord et le sud du pays : à chacun de travailler au mieux sa communauté. À l’inverse, le terme « informateur » sonne comme une marque de confiance. Le rôle de l’informateur n’est pas de négocier l’accord de majorité (c’est la tâche du formateur) mais bien d’en dessiner les contours possibles. Ce qui veut dire définir les grands axes de la législature et pressentir les partenaires qui accepteront de travailler ensemble.

En optant pour Johan Vande Lanotte et Didier Reynders, le palais opte pour l’expérience… mais tourne le dos aux hommes neufs. Pour tout dire, les voir ensemble face aux caméras ressemble fort au début des années 2000 lorsqu’ils étaient, l’un aux finances, l’autre à l’intérieur puis au budget, les hommes forts du gouvernement Verhofstadt. Pas de femme, pas de jeune, pas de représentant d’une formation politique en pleine ascension. Le choix du palais a préféré l’expérience à la modernité. Quitte à ce que les grands gagnants de l’élection (N-VA et Ecolo) soient laissés de côté. On notera aussi que ni l’un ni l’autre n’est président de parti. Un échec éventuel sera donc moins cuisant. Cela peut être un handicap lorsqu’il faut faire preuve d’autorité. Cela peut être un avantage lorsqu’il s’agit de parlementer et d’amadouer.

Quelles sont leurs chances de réussite ? Impossible à dire à ce stade. Leur première mission sera de tenter de lever les exclusives poser par la N-VA vis-à-vis d’Ecolo et du PS, et inversement (hypothèse 1). L’idée serait alors de pouvoir aboutir à une coalition qui reprendrait la N-VA côté néerlandophone, et côté francophone, soit le PS, soit Ecolo, ou les deux. S’ils y parviennent, c’est le déblocage assuré et l’étendue des coalitions possibles nous semblera immense. Pour cela, les deux hommes ont prévu de travailler dans la discrétion. Pas de défilé de voitures avec les journalistes qui attendent aux portes des négociations. On va se cacher et tenter de communiquer le moins possible.

À défaut d’obtenir la levée (difficile) des exclusives annoncées, les deux informateurs pourront quand même tenter de forcer une coalition. En cas de blocage, il reste à priori deux pistes. Celle de la coalition octopus (8 partis, hypothèse 2) avec les familles libérale, social-chrétienne, écologiste et socialiste du nord et du sud. Il faudra pour cela convaincre le CD&V et l’Open VLD de renvoyer la N-VA dans l’opposition aux cotés du Vlaams Belang, ce qui ne sera pas une mince affaire.

Mais il existe une autre option, qu’on qualifiera de suédoise extra large (hypothèse 3). La suédoise élargie (N-VA-MR-Open VLD-CD&V à laquelle on ajoutait le cdH) et qu’on pressentait pendant la campagne n’est pas assez large ? Ajoutons le sp.a, et vous obtenez 77 sièges. C’est juste – la majorité est à 76 – mais que voulez-vous, c’est la crise. John Crombez (président des socialistes flamands) a ouvert la porte à cette hypothèse en indiquant que les sorts du PS et du sp.a n’étaient pas liés. L’attelage serait très flamand (les 3 partis traditionnels + la N-VA), le sp.a y fera figure de seul parti de gauche et aurait beaucoup à y perdre (il se vendra donc au prix fort) et il faudrait convaincre le cdH qui vient de subir une contre-performance et dont le président Maxime Prévot a dit dans la dernière semaine de campagne « 3 fois non avec la NVA » de manger son chapeau (ça s’est déjà vu) pour accompagner le MR dans une traversée qui tiendra plus de la galère que de la croisière s’amuse. Ce sont des hypothèses de travail que des négociateurs MR et sp.a peuvent envisager. Un socialiste francophone ou un écologiste n’auraient pas pu le faire. Les choix du Palais ne doivent rien au hasard.