L’édito de Fabrice Grosfilley : le tango sans contact

Ce n’est pas encore le coup d’envoi officiel des négociations, mais c’est une première approche, un premier rapprochement, serait-on tenté de dire. Hier après-midi, David Leisterh et son entourage ont donc annoncé qu’ils adressaient des invitations formelles à deux partenaires de coalition potentiels en vue de former une majorité dans le collège francophone de la région bruxelloise. David Leisterh rencontrera donc Christophe De Beukelaere pour les Engagés, la rencontre aura lieu ce matin. Une seconde invitation a également été adressée à Ahmed Laaouej, le président de la fédération bruxelloise du Parti Socialiste. C’est là que se trouve la véritable information : David Leisterh tente donc un rapprochement avec le Parti Socialiste. Pouvoir dire qu’on invite un parti et pas un autre, c’est indiquer de manière subliminale que ce parti est un partenaire privilégié pour former la prochaine majorité, sans toutefois le dire trop fort. David Leisterh fait donc un pas vers le PS, mais sans encore fermer aucune porte à ce stade.

Hier soir, le PS n’a pas refusé le rendez-vous. Il y aura donc probablement dans les prochains jours, sans doute ce soir ou demain une fois que le parlement régional aura été installé, une rencontre Leisterh-Laaouej. Mais du point de vue socialiste, cette rencontre n’engage à rien. Pas question de se laisser embarquer dans une négociation en bonne et due forme à ce stade. Dans une réaction à l’agence Belga hier soir, le PS bruxellois se disait même étonné d’apprendre cette invitation par voie de presse, et précisait qu’il n’entrerait officiellement en négociation que “sur la base d’une note détaillée et substantielle avec une vision pour Bruxelles. Celle-ci doit s’appuyer sur un schéma budgétaire pour les cinq années à venir“, et qu’il faudrait soumettre le tout à son bureau politique. Et Ahmed Laaouej de rappeler que selon lui “une large majorité des Bruxelloises et des Bruxellois ont porté leur suffrage sur un projet progressiste, inclusif et solidaire”.

Bref, le PS accepte un premier “date”, mais il refuse de s’engager plus loin. Et surtout, il insiste pour avoir une note. Un document qui donnera la couleur du prochain accord de majorité.

Ce document, il n’est pas sûr que David Leisterh le transmette à ce stade. Le réformateur a bien compris que le PS ne se jetterait pas dans ses bras, et qu’une note trop à droite risque de servir d’argument pour refuser de négocier, ou à tout le moins, reporter à plus tard l’entrée en négociation. En réalité, les Engagés et le MR  d’un côté et le Parti Socialiste de l’autre sont en train de se renifler. C’est une sorte de tango sans contact, où celui qui s’avancerait trop risque de se prendre un vent, avec dans le rôle du courtisé le Parti Socialiste qui se sait incontournable, et dans le rôle du courtisan le Mouvement Réformateur. On a beau être le courtisan, on ne veut pas faire trop de courbettes non plus.

Expliquons le en chansons :

Tu veux, c’est bien
Si tu veux pas, tant pis
Si tu veux pas, j’en ferai pas une maladie
Oui, mais voilà, réponds-moi non ou bien oui
C’est comme ci ou comme ça
Ou tu veux ou tu veux pas ?

David Leisterh pourrait reprendre à son compte ces paroles du tube de  Marcel Zanini (sorry pour les plus jeunes lecteurs, la chanson date de 1969). Ce à quoi Ahmed Laouej pourrait répondre en citant Dalida  :

Mais c’est fini le temps des rêvesLes souvenirs se fanent aussi quand on les oublieTu es comme le vent qui fait chanter les violonsEt emporte au loin le parfum des roses” (Paroles, paroles, 1973)

Si David Leisterh est prudent, c’est aussi parce qu’il sait que les difficultés seront réelles dans ces négociations : sur le budget, sur le logement, la fiscalité, sur la politique de l’emploi… Les sujets de discorde ne vont pas manquer. Le PS, pour accepter de monter dans une majorité moins à gauche que la précédente (et au sein de laquelle il risque d’être moins influent), voudra obtenir quelques garanties et l’un ou l’autre symbole fort. Si la date et le lieu de cette première rencontre ne sont pas communiqués, c’est donc qu’on n’en est pas aux fiançailles officielles. C’est aussi parce qu’il risque d’y avoir un troisième homme que les socialistes ne sont sans doute passés de rencontrer.

Georges-Louis Bouchez assistera au lancement des négociations bruxelloises. David Leisterh ne viendra donc  pas seul au rendez-vous. Il forme un duo avec son président de parti, qui tient donc à présider lui-même les premières  discussions avant de passer le relais dans un second temps. Cela, du point de vue du Parti Socialiste, est un peu difficile à avaler. Cela pourrait même servir de prétexte pour ne pas entrer formellement en négociation.

Bref, le MR, les Engagés et le Parti Socialiste savent qu’ils n’ont mathématiquement pas beaucoup d’alternatives, qu’ils vont bien devoir gouverner ensemble. Mais on peut déjà deviner qu’ils ne feront pas  de gaieté de cœur, mais par obligation. Ce sera pour eux une question de responsabilité et de respect de la démocratie, un mariage de raison, mais sûrement pas un mariage d’amour. D’où l’importance d’un contrat clair et bien négocié. On peut même prévoir qu’en dépit de ce contrat, la législature ressemblera à un bras de fer permanent. Ce sera un gouvernement de combat. Mais le combat sera autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Pour l’instant, les futurs partenaires se toisent, s’invitent et s’évitent en même temps. Ils tentent d’attirer l’autre dans leur propre logique. Mais ils ne peuvent pas refuser ce dialogue, même ils n’en ont pas franchement envie.

Fabrice Grosfilley