L’édito de Fabrice Grosfilley : la négociation bruxelloise n’est pas sortie du stand

Après la guerre des communiqués, voici le clash des interviews. Ce week-end, par grands entretiens dans la presse interposés, David Leisterh et Ahmed Laaouej ont tenu des déclarations qui n’indiquent aucun rapprochement, bien au contraire. Les négociations en vue de former un gouvernement bruxellois semblent donc toujours au point mort. Quand on dit au point mort, on est gentil, en réalité la clé n’est toujours pas dans le contact, le véhicule est complètement à l’arrêt, et il n’a pas l’air prêt à prendre la route.

Commençons par l’interview de David Leisterh. C’est lui qui est assis à la place du conducteur, puisque le MR est arrivé premier parti. Il s’exprimait ce samedi matin dans le journal L’Écho, avec une sortie qui a fait l’unanimité contre lui alors qu’il était interrogé sur l’implication de son président de parti Georges-Louis Bouchez dans les négociations bruxelloises : “Bruxelles a trop longtemps été gérée uniquement par celles et ceux qui y vivent. L’absence d’influence des partis nationaux est dangereuse, surtout vu les enjeux qui sont parfois les mêmes en Wallonie, en Flandre, au niveau fédéral. Donc l’apport du parti est très utile pour moi”, a-t-il indiqué. La formule “Bruxelles a trop longtemps été gérée uniquement par  ceux qui y vivent” n’était pas la plus heureuse. Elle renvoie (peut-être involontairement) au projet de cogestion de la N-VA qui voudrait que Bruxelles en tant que capitale soit gérée en partie par les deux grandes communautés du pays. La fin d’une région à part entière qui perdrait donc son autonomie et ne serait plus l’égale de la Flandre et de la Wallonie. La sortie a donc déclenché un tollé.

“Soit c’est de la méconnaissance du combat bruxellois mené depuis 60 ans par les francophones ; soit c’est un programme politique dans la droite ligne d’un MR qui, au fédéral, n’a jamais soutenu Bruxelles : police, survol, plan de relance...”, tweetait ainsi François De Smet, président de DéFI. “Bruxelles n’est l’appendice ni de la Flandre ni de la Wallonie ”, réagissait Zakia Khattabi, pour Écolo. “Bruxelles est et doit rester une région à part entière, à l’égale des deux autres. Les Bruxellois ont choisi leurs représentants pour les défendre contre les velléités récurrentes de mise sous tutelle, pas pour les y soumettre. Nous ne transigerons jamais sur ce point”, estimait de son côté Ahmed Laaouej, président du PS bruxellois. Bref, David Leisterh avec sa petite phrase a fait l’unanimité contre lui. Il a aussi confirmé l’autorité grandissante de Georges-Louis Bouchez sur son parti.

Cette interview est à mettre en regard avec d’autres déclarations, toujours publiées samedi matin. Elles sont signées cette fois Ahmed Laaouej qui s’exprimait dans Le Soir. “Permettez-moi, d’abord il faut entendre le signal de l’électeur”, attaque d’emblée  leader socialiste face  aux journalistes qui l’interrogent : les Bruxellois se sont tournés majoritairement vers la gauche, elle est gagnante en nombre de voix si l’on additionne les performances de tous les partis qui s’en réclament. Cela veut dire qu’il faut des politiques de cohésion sociale, de réduction des inégalités, de développement des territoires, de soutien au tissu associatif et social, de renforcement des services publics. Le signal est clair.”

Ce samedi, nous avions donc d’un côté David Leisterh qui affirmait que son parti était le premier en région bruxelloise, il a raison. Et Ahmed Laaouej qui rappelait que la gauche était majoritaire au parlement régional, et qui a aussi raison. En théorie, PS-Écolo-PTB pourraient former une majorité dans le collège francophone. En théorie seulement, puisqu’on sait bien que gouverner avec le PTB est plutôt improbable. Cela n’empêche pas Ahmed Laaouej d’afficher le prix de son ralliement. Il n’entrera pas dans un gouvernement bruxellois qui penchera ostensiblement à droite. Autre extrait de l’interview :”On voit arriver une banalisation des propos racistes. Que les propos de campagne d’un Pierre-Yves Jeholet n’aient pas été condamnés, c’est inquiétant, comme ceux récemment d’un conseiller communal MR à Schaerbeek, qui a eu des propos ‘dégueulasses’. Je ne vois pas la moindre réaction de son parti. J’aimerais dans le chef de David Leisterh une clarification sur le registre du racisme et de la xénophobie.” Avant de conclure : “Il faut que les priorités du Parti socialiste se retrouvent dans un accord de gouvernement. C’est aux autres de se positionner.”

En clair, Ahmed Laaouej met la pression et attend de voir une note. Une manière de renvoyer David Leisterh à ses études. Du côté de David Leisterh, on hésite probablement à mettre une note sur la table tant que les contacts n’auront pas permis de trouver un terrain d’entente. Les paroles s’envolent, les écrits restent. Publier une note d’intention sans savoir si elle va être acceptée, c’est un pari qu’on ne gagne pas à tous les coups. Jusqu’à présent, le réformateur et le socialiste se sont limités à des contacts informels. En clair, cela veut dire qu’ils se sont vus, qu’ils se sont téléphonés, mais qu’ils ne se sont pas encore suffisamment mis d’accord pour vraiment négocier. David Leisterh rédigera-t-il cette note ? Au contraire, prendra-t-il le temps de consulter d’autres acteurs de la société civile avant de se lancer, histoire de gagner un peu de temps mais au risque de paraître tétanisé ? C’est un vrai dilemme. Alors que nous sommes quinze jours après les élections, que les formateurs en Wallonie, en Flandre et au fédéral ont mis le turbo, la négociation bruxelloise reste au stand. Avec le risque que dans quelques jours, on en vienne à craindre une réelle et profonde paralysie de Bruxelles.