Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (16 avril) : “La question du traitement des assuétudes revient”

Samusocial 16 avril - O Pappegnies

Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son  quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.

“Le grand problème dans le monde, c’est que les personnes intelligentes sont pleines de doutes alors que les personnes stupides sont pleines de certitudes”, disait Charles Bukovski. Je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Ce qui semble sûr, c’est que la période est propice aux diseurs de vérités et à l’opinion des experts. C’est l’âge d’or des cartes blanches. Le confinement est propice à la réflexion, à la création, parfois à la contestation, de temps en temps à la dénonciation. Souvent, il favorise aussi l’affirmation de certitudes.

Chez nous aussi, la crise bouleverse certaines de nos certitudes les plus ancrées. Les questions sur l’application de règles de confinement dans les hébergements de sans-abris affluent, plus nombreuses que les réponses. Ces derniers jours, les questions du manque et de la gestion des assuétudes en temps de confinement a réveillé le débat sur la consommation d’alcool ou de drogues à l’intérieur de nos centres. Une pratique qu’on a toujours interdite jusqu’ici. De façon exceptionnelle, lorsque nos équipes cherchaient à maintenir hébergée une personne malade mais alcoolique, on la laissait boire sa dose d’alcool dans l’infirmerie. Mais la règle qui prévalait était : pas de consommation entre les murs.

Alors que cette question soulevait énormément de débats avant la crise, la plupart de nos travailleurs semblent aujourd’hui ouverts à essayer d’organiser la consommation dans nos bâtiments. Les discussions sur le “Comment l’organiser” avec des associations plus spécialisées sur les assuétudes comme Transit ou LAMA vont pouvoir commencer. En Allemagne, cette pratique est courante depuis longtemps.

Dans le centre hébergeant des personnes suspectées de Covid-19 de Tour & Taxis, on accepte déjà de fournir des cigarettes et de l’alcool pour éviter que les personnes ne s’enfuient. L’argument est simple : mieux vaut à tout prix maintenir les Covid-19 à l’intérieur. En cette période d’incertitude, ce qui compte, c’est de rassurer et de sécuriser les personnes suspectes ou confirmées, malades ou pas. Les insécuriser en provoquant des manques les pousserait à fuir les structures qui leur sont réservées, au risque de contaminer d’autres personnes.

En dehors de nos murs, nos déménagements vers des structures plus adaptées au confinement se terminent. En 10 jours, 500 personnes ont été déplacées, 150 hommes seuls sur un site à Evere et 310 personnes en famille dans un hôtel près de la Gare du Nord. Le Samusocial n’a pas été à l’abri des critiques, contesté par de plus en plus de riverains, accusé de ne pas être assez coercitif vis-à-vis des sans-abris. Dénoncé de ne pas les empêcher de sortir, ou ne pas les forcer à garder les distanciations sociales. En ces temps de télétravail, où il est demandé à chacun de rester chez soi, les lettres arrivent, nombreuses, nous accusant de ne pas en faire assez pour décourager les personnes sans-abri de transgresser les règles. Elles s’accompagnent souvent de photos, prises à toute heure du jour, de sans-abris trainant sur un banc, partageant une boisson, tranquillement. En temps normal, on serait fier de ce climat paisible autour de nos centres. Mais aujourd’hui l’apéro urbain est un délit. Et la délation, stimulée par l’angoisse du Covid-19 semble devenir un acte de bravoure. Pourtant ces réactions soulèvent un débat, plus profond, sur l’acceptation et la visibilité des personnes sans-abri dans nos espaces publics. Les critiques du non-respect des règles imposées par le confinement de la part de certains de nos bénéficiaires fusent-elles de la même manière à l’encontre des personnes lambdas, nombreuses elles aussi, qui font fi du confinement ? Ce qui pose problème, au fond, c’est la transgression des mesures ou le statut des personnes qui les transgressent ?

Au-delà du syndrome NIMBY (Not in my Backyard : “Pas dans mon arrière-cour”), ces critiques témoignent de la difficulté à intégrer nos hébergements dans leur environnement direct. Nos structures sont perçues comme des forteresses menaçantes au sein de quartiers au mieux méfiants, au pire hostiles. Il faut avouer que notre réputation ne joue pas en notre faveur depuis 2017. Nous ne sommes pas les bienvenus et notre arrivée est avant tout perçue comme une menace potentielle sur le bien-être ou la valeur d’un quartier et nous ne nouons pas suffisamment de liens avec la communauté.

Depuis quelques années, un projet en France a montré la voie à suivre en termes d’intégration dans son environnement : celui des grands voisins à Paris. Basé dans l’ancien Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, ce projet vise à faire interagir des univers différents, à expérimenter pour lutter contre l’exclusion, à offrir des espaces d’expression et à s’ouvrir sur le quartier en espérant contribuer à préfigurer le projet urbain de demain ! Au fil des mois, le site poursuit sa transformation et s’enrichit de nouvelles activités, de rencontres, de constructions originales et de belles histoires. Il fait revivre le quartier. Il faudra qu’on essaye cela à Bruxelles, un jour, après la crise…

Retrouvez l’ensemble des journaux de bord de Sébastien du Samusocial dans notre dossier.

Photo : O. Pappegnies/Samusocial