Les Bruxellois sollicités pour soutenir les entreprises locales
La période Covid force de nombreuses entreprises bruxelloises à se réinventer. Pour assurer leur bonne gestion ou continuer à se développer, plusieurs enseignes lancent des crowfundings mais aussi des levées de fonds. Des prêts participatifs gérés par des plateformes privées avec parfois un soutien public. L’occasion pour les PME d’obtenir des liquidités rapidement mais aussi un rendement intéressant pour les particuliers qui investissent.
C’est l’option choisie par Pierre Rousseaux, à la tête de la Yoga room. Lancée il y a quelques années, cette chaîne de studios de yoga se développe sur plusieurs sites à Bruxelles, dans le Brabant wallon, en France et au Portugal. “Aujourd’hui, c’est extrêmement compliqué de se financer auprès des banques. Nous n’avons plus de revenus, beaucoup de coûts. Aussi sympas qu’elles soient, les banques ne nous suivent plus. Ici, il s’agit d’activer l’épargne sans passer par les banques. Nous faisons appel à l’épargne citoyenne pour nous financer” explique Pierre Rousseaux.
La Yoga room sollicite pour ce faire la plateforme Beebonds. Objectif : récolter entre un et deux millions d’euros. “Nous en sommes pour l’instant à 700.000 euros confirmés. 1.200.000 avec les promesses de dons.” Il reste 6 jours aux investisseurs intéressés pour se manifester. “Il y a trois profils d’investisseurs : ceux pour qui soutenir un projet axé sur le bien-être donne du sens, ils investissent à hauteur de leurs moyens, ceux qui n’en ont rien à faire du yoga, mais qui sont intéressés par un bon rendement et enfin ceux qui apprécient la Yoga room, qui ont des sous et qui veulent nous soutenir.“
La fourchette des investissements est comprise entre 500 (le montant minimum pour pouvoir participer) et 200.000 euros. Il s’agit d’un prêt sur 4 ans avec un taux d’intérêt de 8%. ” Le plus important est que les gens puissent dormir sur leurs deux oreilles” ajoute Pierre Rousseaux. “Mettez le montant avec lequel vous vous sentez à l’aise.” Il est important de souligner que la survie de la Yoga room n’est pas en question. “Les fonds levés permettront de financer de nouveaux projets à Bruxelles et ailleurs.“
Le circuit court de la finance
Mobiliser l’épargne des particuliers pour des projets durables, c’est le credo de Lita, une plateforme européenne de financement participatif dédiée à l’innovation sociale et écologique. “On est basé en France, en Italie et en Belgique” explique Céline Bouton, directrice du développement chez Lita. “On soutient des projets de manière assez large, dans des secteurs comme la mobilité, l’immobilier, l’éducation, l’alimentation…” Par exemple, à Bruxelles, Lita a participé à l’assise des vélos Billy, des magasins Färm ou de la marque de vêtements Bonjour Maurice.
“Nous sommes vus comme le circuit court de la finance” ajoute Céline Bouton. “En période de Covid, les gens se sont rendus compte qu’on pouvait changer le monde en consommant localement, en combattant la fast fashion et toute la pollution générée par le commerce mondial.” Concrètement, toute personne peut soutenir un projet à partir de 100 euros. Soit en prenant part à la société, action ou part sociale, soit via des obligations. Avec l’incitant fiscal qu’est le Tax shelter.
Parmi les projets soutenus en ce moment par Lita , celui de Coucou, une enseigne bruxelloise qui propose, notamment, de louer des robes de soirée plutôt que de les acheter. “Avant le Covid, on avait déjà le projet de se développer. On voulait aller plus loin dans la digitalisation de la location. Un concept qui cartonne en Espagne, en France, sans parler des Etats-Unis. Mais, on a été stoppés. On a clairement perdu 70% de notre chiffre d’affaires” explique Marie Berlier, cofondatrice de Coucou. Pour tenir la tête hors de l’eau, l’entreprise a organisé des déstockages en ligne, un e-shop avec les bijoux et les cosmétiques de petites marques belges vendus habituellement au showroom.
Mais la crise dure, et il était temps d’aller de l’avant. Alors, Coucou a pris contact avec Lita. “On passe par eux parce qu’ils ont déjà un panel d’investisseurs et surtout parce qu’ils travaillent avec des entreprises qui ont du sens. L’idée est de digitaliser l’expérience Coucou en créant un catalogue en ligne avec toutes nos tenues à louer. “Photos des tenues portées par les Coucou girls, par des mannequins, descriptifs précis, tests morphologiques, tests couleurs… L’idée est d’entourer la cliente en ligne, comme on le ferait au showroom” ajoute Marie Berlier. Tout en continuant à développer le concept-store avec bijoux, accessoires et cosmétiques. L’équipe travaille aussi à un packaging éco-responsable et compte doubler les effectifs en passant de 5 à 10 collaborateurs et collaboratrices.
La levée de fonds court jusqu’au 21 avril. Pour l’instant, Coucou a récolté 175.000 euros. Objectif : 250.000. “Pour l’instant, quelques personnes très sensibilisées par notre projet mettent de plus gros tickets, mais en moyenne ce sont des sommes de 100 à 500 euros apportées par la communauté Coucou.“
Avantage pour les investisseurs, devenir actionnaire de Coucou et une déductibilité fiscale de l’ordre de 45 euros pour 100 euros investis. Et Coucou ne compte pas s’arrêter là. Une nouvelle levée de fond est prévue d’ici 2 ou 3 ans avec l’idée de s’installer dans un showroom plus grand avec coin enfants, coin make-up pour tester un maquillage ou encore coin journaux.
Mobiliser les Bruxellois pour soutenir leur Région
La Région bruxelloise, elle, a lancé le prêt Proxi pour soutenir les PME bruxelloises durant la crise sanitaire. Il s’agit de mobiliser l’épargne des particuliers pour soutenir les enseignes de leur région. Un taux intéressant de 0,875% pour les PME, un crédit d’impôt de 4% durant 3 ans, puis de 2,5% les années restantes, pour les prêteurs. Pour l’instant, 17 entreprises ont emprunté via le prêt Proxi, pour un montant de 1.562.000 euros et 398 citoyens ont mis la main au portefeuille.
Différents acteurs bruxellois participent au processus : finance&invest.brussels, le fonds de garantie bruxellois mais aussi la plateforme Look&Fin. C’est cette plateforme que la maison Dandoy a choisie pour lancer une levée de fonds. “On a fait ça au mois d’octobre” explique Alexandre Helson Business Development Manager et septième génération de la Maison Dandoy. “Avec Look&Fin, on a déterminé un montant, en fonction de nos besoins et qui semblait possible à récolter, de 300.000 euros.“
Pari réussi. En une semaine, la somme était atteinte. “Une bouffée d’oxygène bienvenue. Nous avions besoin de cash mais aussi d’investir dans le digital et dans une camionnette Dandoy qui va à la rencontre des Bruxellois.” Pas de précisions sur les investisseurs qui ont joué le jeu. Look&Fin dispose d’un réseau et la maison Dandoy a sollicité sa communauté.
Une belle alternative aux banques “qui ne jouent pas le jeu dans cette crise” et un coup de pouce bienvenu dans cette période très difficile. “Avec le prêt Proxi, la région nous aide à emprunter. C’est déjà ça. Mais il faudra rembourser. On décale dans le temps, mais ça ne règle pas tout.” Dandoy reste cependant tourné vers l’avenir et vient de bénéficier d’un prêt subordonné auprès de finance&invest.brussels.
Zuur : une bière au goût amer pour aider les cafés bruxellois
Toujours fermés suite à la pandémie de coronavirus, les cafés continuent de payer le prix fort de cette crise sanitaire. Pour soutenir l’horeca bruxellois, l’asbl Growfunding, soutenu par la Région bruxelloise à raison de 300.000 euros, a décidé de lancer une opération, nommée “Zuur”, destinée à assurer la survie des cafés de la capitale.
Concrètement, un café peut lancer une campagne de financement participatif et demander ainsi le soutien des Bruxellois. Chaque citoyen peut offrir un certain montant, et en échange de ce soutien, il recevra diverses récompenses comme un assortiment de biscuits de la Ferme Nos Pilifs, un abonnement à la bibliothèque d’outils Tournevie, un pack de bières bruxelloises, etc.
En outre, chaque contributeur recevra une bière nommée… Zuur. Cette bière acidulée symbolise le goût amer des cafetiers, contraints de freiner leurs activités face à la pandémie. Cette bière est un mélange de Lambic de la brasserie Cantillon et d’une bière blonde de la brasserie En Stoemelings.
Pour l’instant, 81 projets sont soutenus par l’opération ZUUR, 599.739 euros ont déjà été levés et on dénombre 7633 growfunders. Parmi les projets, La Fourmilière à Anderlecht. Avec un objectif de base de 12 mille euros, ce café éco-responsable, organisé en coopérative, a dépassé toutes ses attentes. 213 growfunders ont investi 15.752 euros. Un succès que Bruno Tellier explique par l’essence même du projet : “nous sommes une coopérative de 80 coopérateurs, un projet innovant dans le quartier qui apporte une plus-value au quartier. Mais c’est vrai que ça s’est emballé!”
La Fourmilière a pu, via Zuur, s’entourer de partenaires qui défendent les mêmes valeurs : Radiskale, Gamebox, Drinkdrink, la Brasserie de la jungle, le chef Mathieu Vande Velde… Tous ont aussi mobilisé leur communauté.
Valérie Leclercq