91,8% de francophones à Bruxelles ? Pourquoi ce chiffre doit être nuancé
Comme chaque année, les déclarations IPP des communes bruxelloises et des communes à facilités ont été passées au crible … pour en évaluer le sexe linguistique. Un exercice classique qui ne donne pourtant qu’un vision très partielle de la réalité sociolinguistique bruxelloise.
Bruxelles compterait 91,8% de francophones, si l’on se base sur les déclaration fiscales. Dans la grande majorité des communes bruxelloises, nous apprend L’Echo, plus de 90% des citoyens assujettis à l’impôt ont choisi le formulaire en français. C’est à Berchem-Sainte-Agathe que le choix du néerlandais est le plus important, avec 12,6%, suivi de Jette et Ganshoren. Il faut noter que la proportion de francophones a très légèrement baissé ces dernières années puisqu’en 2016, ils étaient 92,8%. Même tendance à la baisse dans les communes à facilités : la proportion de francophones passant de 70,7% à 65,6% en quatre ans.
Mesurer la répartition francophones/néerlandophones sur base des déclaration fiscales : l’exercice est un classique. Chaque année, des parlementaires francophones réclament ces chiffres au ministre des Finances. C’est que, le recensement linguistique n’étant pas possible, il faut se contenter d’autres indicateurs. Outre la fiscalité, il existe plusieurs types de données permettant de dresser avec plus ou moins de finesse et de précision la cartographie linguistique bruxelloise, nous indique la politologue Caroline Van Wynsberghe. Ainsi la langue d’émission de la carte d’identité, la langue d’immatriculation des voitures, la langue de l’acte de naissance ou de décès, de la célébration de mariage peuvent donner une indication du poids de l’une ou l’autre langue. Exemple : la Ville de Bruxelles comptabilisait en 2018, 376 déclaration de naissance en néerlandais et 10.250 en français, soit 3,76% en néerlandais et 96,24% en français. La même année, 69 mariage étaient célébrés en néerlandais ou dans les deux langues et 673 en français, soit 10% étaient néerlandophones ou bilingues et 90 % en francophones. Et si l’on se base sur les données électorales, le tableau est encore différent : lors du scrutin régional du 26 mai dernier « un nombre record de Bruxellois ont voté en faveur d’une liste néerlandophone : 69 996 électeurs ont choisi une liste du collège néerlandais, ce qui correspond à une augmentation de 31 % par rapport au scrutin de 2014. », indique Caroline Sägesser, chargée de recherche au CRISP dans un article sur le vote en faveur des partis néerlandophones à Bruxelles. Soit une proportion d’15,3 % des électeurs, « identique à celle d’il y a 30 ans. » Mais ces résultats s’expliquent, poursuit la chercheuse, par la « volonté de contrer des partis flamands opposés à l’autonomie bruxelloise » qui conduit des francophones à voter pour des listes néerlandophones.
Des données à la fiabilité discutable
Caroline Sägesser nuance la fiabilité des données fiscales . « Il y a un angle mort qui est celui des populations qui ne rentrent pas de déclarations fiscales », explique la chercheuse. « En outre, on impose un choix linguistique français ou néerlandais alors que beaucoup de ménages ne parlent ni l’une ni l’autre langue mais en choisissent une par défaut. Enfin dans les couples bilingues, c’est la langue de l’homme qui l’emporte. » Par ailleurs, la langue administrative n’est pas forcément la langue pratiquée au quotidien. « L’usage du français ou du néerlandais dans les contacts avec l’administration, ne présage en rien des langues utilisées à la maison ou dans les relations courantes. Et si l’on considère les données fiscales, il faut savoir qu’il n’y pas que les ménages belges qui sont imposés. », poursuit Caroline Van Wynsberghe.
Les données administratives ne permettent pas de rendre compte de la complexité sociologique bruxelloise, et plus spécifiquement « de la sociologie des langues », comme le dit Eric Corijn, sociologue à la VUB. Bruxelles est la ville cosmopolite la plus diverse d’Europe, explique-t-il, la majorité des Bruxellois sont multilingue. En l’espèce, d’autres statistiques méritent l’attention. Par exemple, poursuit le sociologue, on comptabilise 5% des ménages où l’on ne parle que le néerlandais, et 33% où l’on ne parle que le français. Mais le néerlandais est présent, avec d’autre(s) langue(s) dans 15% des ménages. « La mixité est la règle », conclut-il.
Selon le baromètre 2018 du BRIO (Brussels Informatie, documentatie et onderzoekcentrum – VUB), réalisé par le sociologue Rudi Janssens, le français reste de loin la langue la plus connue, mais recule de 9% par rapport au premier baromètre, datant de 2001. La connaissance du néerlandais diminue systématiquement, et a baissé de quasi 50% entre 2001 et 2018, alors que l’anglais se taille la deuxième place et a légèrement augmenté depuis 2001. « Si Bruxelles reste institutionnellement une ville bilingue, il y a bien longtemps que ce n’est plus le cas sur le plan sociolinguistique. » analysait le chercheur en 2008 déjà dans un article paru sur le site de Brussels Studies.
Un exercice à visée politique ?
Produire ces statistiques annuellement permet, certes de manière imprécise, d’évaluer le poids du français à Bruxelles. Pour Sophie Rohonyi, « ces chiffres démontrent notamment qu’une série de clés de répartition fixée par la loi ou les loi de réformes institutionnelles qui déterminent des répartitions 75/25 ou plus généralement 80/20, ne correspondent pas à la réalité démographique. », déclare au quotidien Sophie Rohonyi, la députée fédérale DéFI qui a collecté les données pour 2019. La remise en cause du modèle n’est pas à l’ordre du jour, précise l’élue amarante, sauf si de nouvelles revendications flamande visaient Bruxelles.
«Les mécanismes de protection de la minorité flamande à Bruxelles sont fixés et aucune discussion sur un changement dans les clés de répartitions n’est à l’agenda.», commente la politologue Caroline Van Wynsberghe. « La surreprésentation flamande au niveau régionale est flagrante », poursuit-elle, « et elle est parfaitement assumée.»
S.Rng – Rédaction Web