Récit d’une soirée dans un “resto clandestin” à Bruxelles

Depuis près de six mois, l’horeca est contraint de garder ses portes closes pour éviter la propagation du coronavirus. Mais à Bruxelles, certains bars ou restaurants ont décidé de recevoir des clients clandestinement. Récit d’une soirée dans l’un de ces établissements.

C’est cette porte, mais ça aurait pu être celle d’à côté, ou celle d’en face. Il est environ 18h. A quelques pas du centre de Bruxelles, la rue est animée. Des gens rentrent du boulot, d’autres passent avec leurs courses, certains se promènent. Coup d’œil à gauche, à droite. “C’était quoi déjà les consignes ? Arrivez seul ou en couple. Ne rentrez pas en même temps. Frappez à la fenêtre et donnez le nom de votre personne de contact“. C’est que l’affaire tourne grâce au bouche-à-oreille. Alors, est-ce bien ici ? Derrière la vitre, on peut deviner la salle d’un établissement fermé depuis longtemps. Quelques tables dans un coin, des chaises qui dorment sous une fine couche de poussière. Toc toc toc. Est-ce vraiment un resto d’habitude, hors période covid ? Peut-être. Pas sûr en fait.

Quelques secondes d’attente et quelqu’un vient ouvrir. D’un côté, petit sentiment de malaise face à l’imprudence qui est en passe d’être commise. En face, clin d’œil complice pour détendre l’atmosphère. On ne manque pas d’apercevoir un sourire, même si l’hôte du soir porte un masque – qu’il conservera toute la soirée. “C’est par ici. Attention quand vous prenez l’escalier, le plafond est bas.” Il ajoute : “Vous faites bien d’arriver tôt, le repas devra se terminer vers 21h45 pour vous laisser le temps de rentrer”. La mécanique semble rôdée.

“Prenez toutes les photos que vous voulez”

Une dizaine de marches pour accéder à la cave. C’est un monde nouveau qui s’ouvre. Le plafond est voûté comme celui d’une cave à vin. Quelques lampes d’appoint et des bougies réchauffent les murs de vieilles briques. Trois tables sont dressées, une quinzaine de couverts pour ce soir. “Alors, je peux vous servir un apéro ?” La première gorgée de bière plonge directement dans l’ambiance d’un petit resto brut et branché, toute illégalité oubliée.

Une poignée de minutes plus tard, la table est au complet avec ses quatre convives. Les autres tables se remplissent aussi. Les masques tombent dès l’arrivée. L’hôte décortique l’unique menu. Avant de filer vers la cuisine, il  détaille les bonnes pratiques pour cette soirée en sous-marin : “Ne publiez pas les photos sur les réseaux sociaux. Si vous devez aller chercher quelque chose, foncez-y maintenant, après je ferme la porte d’entrée à clef“, sourit-il. La cave résonne fort, l’ennemi numéro un ce soir sera l’enthousiasme débordant des convives.

Et tiens, pour griller une clope ? A l’ancienne. A table. Ils ne risquent pas d’appeler la police. “Pour nous, c’est clairement indispensable d’ouvrir. On fait ça pour survivre. Sinon c’est fini. On fait faillite et ceux qui bossent ici tombent à la rue. Mais je reconnais qu’à voir le plaisir des convives que l’on reçoit, ça fait aussi plaisir de leur faire partager ces moments… Ca me fait un bien fou“, glisse-t-il.

“Victime de notre succès”

Dans ce resto, tout a commencé avec une petite bouffe il y a un mois et demi : “On a reçu quelques potes un soir, et puis un deuxième“. Aujourd’hui, l’affaire roule grâce au bouche-à-oreille, “et on est victime de notre succès, on est full jusqu’au 8 mai ! C’est la preuve que les gens n’en peuvent plus.” En cas de dénonciation, les amendes peuvent pourtant être lourdes. De 26 à 500 euros, à multiplier par le facteur 8 en fonction du tarif actualisé. L’établissement peut même être contraint à fermer. Pas peur d’être dénoncé ? “On fait confiance aux gens qui viennent.

Le profil des clients ce soir ? La trentaine, classe moyenne. Des hommes en majorité. “Pendant les 9 premiers mois de la crise, j’ai respecté les mesures. Mais là ce n’est plus possible. J’ai besoin de voir quelques potes. J’ai un cercle de copains que je continue à voir. On se fait des bouffes de temps en temps“, concède l’un d’eux. Pour lui, le resto clandestin, c’est une première. “Je fais ça par manque de restos, mais aussi pour l’expérience de l’illégalité. On a l’impression d’être aux Etats-Unis dans les années 20. On va s’en souvenir et on espère en rire dans vingt ans“.

Budget de la soirée: une centaine d’euros par personne, boissons comprises. Plus le Uber pour rentrer, “parce qu’ils ne contrôlent pas en Uber, si ?” ose l’un d’eux. Ah oui, le couvre-feu est tombé, il y a déjà plus d’1h.

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Rédaction, image d’illustration BX1