Covid-19 : à la découverte des gestionnaires des groupes bruxellois de solidarité sur les réseaux sociaux
Que ce soit pour aider leurs proches, leurs voisins, ou de parfaits inconnus, de nombreux Bruxellois se sont mobilisés durant le confinement. Face à l’urgence du début de crise et aux règles de distanciation sociale, la solidarité s’est beaucoup organisée en ligne, sur les réseaux sociaux. Certains groupes Facebook dédiés aux initiatives citoyennes comptent plusieurs milliers de membres aujourd’hui et génèrent des centaines de publications par jour. À la gestion : souvent des citoyens et citoyennes qui n’avaient jamais fait ça auparavant. Rencontre avec quatre motivées qui ont consacré leur confinement à aider les autres, derrière leur écran.
Avec ses 14 515 membres, le groupe Facebook “Solidarité Solidariteit Brussels Bruxelles Coronavirus” est probablement le groupe le plus actif de la capitale. Il était aussi l’un des premiers à se mettre en place. “À l’annonce du confinement, je me suis demandé comment les personnes précarisées, isolées allaient faire et ce qu’elles allaient devenir. J’ai posté un message sur mon profil personnel, des amis ont réagi et m’ont invité à rejoindre un groupe qui avait déjà été créé avec des personnes qui voulaient aussi agir. On s’est lancé. Au début, on était 4“, raconte Jehanne Bergé, l’une des fondatrices.
Rapidement, le groupe prend de l’ampleur. L’idée est de relayer les demandes et les offres de solutions aux différents problèmes rencontrés durant la crise du coronavirus à Bruxelles. Les messages et publications se multiplient. Jehanne avait déjà géré des pages Facebook, mais jamais des groupes de cette taille. “Au début, c’était l’urgence sans arrêt, ça prenait un temps de malade !”, se souvient la journaliste et membre d’une association féministe.
Heureusement elle ne travaille pas seule : de quatre, le groupe d’administratrices (qui gèrent la modération des commentaires, les publications, le respect des règles établies pour que tout se déroule au mieux) s’est élargi à neuf. Neuf femmes âgées entre 25 et 35 ans qui se surnomment elles-mêmes « les badass solidaires ». Elles ont chacune leurs responsabilités et un horaire a été fixé pour structurer les tâches. “On est vraiment un collectif”, insiste Jehanne. La majorité de ces femmes ne se sont jamais rencontrées “mais on se soutient les unes les autres. Moi, ça m’a permis de garder pied“.
Avec le déconfinement, le travail reprend pour certaines des administratrices du groupe, et forcément le temps dédié à sa gestion diminue, mais peu de chances qu’elles oublient de si tôt l’expérience vécue. “Le plus dur et le plus révoltant ça a été de voir toute la détresse des personnes, les problèmes rencontrés et d’avoir l’impression que tout le monde était en train de couler. Mais en même temps, en gérant le groupe, on a aussi pu voir tous les élans de solidarité, c’était beau à voir“, confie Jehanne.
Jessie et les masques pour tous
C’est en voyant le groupe de solidarité bruxelloise que Jessie a décidé de lancer un autre groupe, dédié celui-ci aux masques confectionnés par des bénévoles. “Je voyais passer énormément de propositions et de demandes de masques sur le groupe « solidarité Bruxelles », mais ces publications se perdaient dans le flux et je me suis donc dit qu’il fallait créer un groupe à part”, raconte la trentenaire. Le 15 mars, elle crée donc “Masque tissu – solidarité coronavirus- Belgique – création et distribution”. “Après deux jours, j’étais complètement débordée. Olivia, une inconnue active sur le groupe s’est proposée de m’aider. Une semaine après, trois autres personnes sont venues compléter l’équipe et aujourd’hui on doit être entre 20 et 30 personnes à gérer et modérer le groupe“, détaille Jessie. Le groupe est actif pour toute la Belgique et compte plus de 11 000 membres. “C’est une véritable expérience humaine. Pour gérer un tel groupe, il faut être diplomate, savoir respecter les autres, travailler pour un bien commun et non personnel, être empathique mais pas trop… J’ai beaucoup appris”, raconte Jessie.
Comme les “badass solidaires”, les administrateurs de ce groupe dédié aux masques ont dû créer de toute pièce, à distance et souvent sans se connaître, des bases solides et des règles précises pour pouvoir mener le groupe au mieux. Chacun a désormais ses responsabilités et participe en fonction de son temps disponible. Les administrateurs se réunissent au moins une fois par semaine pour faire le point. “Chaque personne impliquée a énormément travaillé pour le groupe. Parfois j’ouvrais mon ordinateur à 8h00 et le refermait à 22h00“, explique la trentenaire. Depuis trois semaines, Jessie a repris le travail en tant qu’infirmière dans un service de soins intensifs et est donc moins active sur le groupe. Mais grâce à un recrutement de nouveaux volontaires, la relève est assurée.
Hilde, Charlotte et les livraisons de repas
“On n’avait jamais rien fait de similaire dans notre vie“, confient tout de suite Hilde et Charlotte, deux amies et colocataires, qui font partie du noyau des organisateurs du groupe Facebook “#pourEux Bruxelles”. L’une est architecte, l’autre travaille dans l’événementiel et le culturel et elles avouent ne s’être jamais impliqué dans l’associatif ou dans le bénévolat. “Avec le confinement, on voulait aider, avoir un impact, mais on ne savait pas comment faire“, raconte Hilde. En France, le mouvement citoyen “pour eux” est déjà actif et une connaissance veut le développer en Belgique. Les deux amies n’hésitent pas : “On a rejoint le groupe très tôt, quand ça ne ressemblait encore à rien”, explique Hilde. Le principe : mettre en relation des cuisiniers et livreurs volontaires pour que des repas faits-maison soient distribués aux personnes défavorisées.
Au début, l’organisation est chaotique mais petit à petit les choses se mettent en place et la logistique aussi : “On est passé à la télévision et la demande a explosé. Il fallait revoir notre organisation parce qu’on ne voulait frustrer personne”, expliquent les deux amies. Aujourd’hui, ils sont 18 à gérer et à modérer le groupe. “À un moment, on s’est rendu compte que ça nous dépassait mais on ne pouvait pas arrêter, on travaillait du matin au soir. On avait besoin d’aide, alors on a recruté parmi les bénévoles membres du groupe et nos proches“, raconte Hilde.
Aujourd’hui les deux amies se penchent sur la suite à donner au groupe. Elles recherchent notamment des restaurants partenaires pour mettre en place (une fois que l’horeca pourra rouvrir ses portes) des “plats suspendus” : les consommateurs payeraient leur assiette, et pourraient en payer une seconde à moindre coût qui serait offerte à une personne défavorisée.
“Ce confinement a complètement changé notre vision. Il n’y a plus de retour en arrière possible“, confie Charlotte. “Ce qu’on fait ici avec ce groupe, ça a du sens, alors forcément on se questionne si dans le boulot qu’on va reprendre, on va en trouver autant“, pointe Hilde.
Et après ?
Ces trois groupes se sont créés dans l’urgence de la crise et du confinement. L’urgence est passée et le déconfinement a démarré, alors se pose la question de leur avenir. “Cette plateforme de solidarité a été efficace parce que grâce aux réseaux sociaux ,elle a été rapide à mettre en place. C’est précieux. Mais il faut évidemment réfléchir à l’après. Les discussions et les réflexions sont loin d’être terminées. Ce serait trop dommage que la solidarité s’arrête, mais on ne peut pas non plus sans arrêt compter sur les bénévoles“, estime Jehanne du groupe “Solidarité Solidariteit Brussels Bruxelles Coronavirus”.
Le questionnement est similaire chez les administrateurs du groupe dédiés aux masques dont fait partie Jessie. “L’implication en termes d’heures et d’énergie des personnes dans notre groupe, des couturières et d’autres volontaires ne sera jamais chiffrable par l’État, or elle est énorme. On se pose la question de la responsabilité de l’État qui compte sur toute cette solidarité sans vraiment la valoriser“, explique la fondatrice du groupe.
Hilde et Charlotte du groupe “#pourEux Bruxelles” espèrent en tout cas que les différentes formes de solidarités qui se sont manifestées durant le confinement ne vont pas complètement disparaître. “Peu importe le domaine ou la cause, on se rend compte que les citoyens veulent aider, mais il faut les guider”, dit Charlotte. “Tout ce qu’on espère, c’est qu’on aura réussi à faire germer en chacun cette envie d’aider et que cela va perdurer“, partage Hilde.
Émilie Eickhoff – Photos : Facebook/D.R.