Ursula von der Leyen, de Bruxelles à Bruxelles

Ursula von der Leyen rempile pour cinq ans à Bruxelles, à la tête de la Commission européenne. Née dans la capitale belge, l’Allemande y a trouvé la fonction qui a fait d’elle “la femme la plus puissante du monde”, selon un célèbre magazine américain.

Ursula von der Leyen a été élue jeudi par le Parlement européen pour un second mandat à la présidence de la Commission. La démocrate-chrétienne s’était déjà assurée du soutien en juin du Conseil européen (chefs d’État et de gouvernement). L’Allemande de 65 ans marchera sur les traces du Français Jacques Delors et du Portugais José Manuel Barroso, ses seuls prédécesseurs à avoir enchaîné deux mandats à la tête de l’exécutif européen.

Née à Ixelles (Bruxelles) le 8 octobre 1958, Ursula von der Leyen, fille du haut fonctionnaire européen Ernst Albrecht, a passé son enfance dans la capitale belge. L’Allemande parle couramment français et anglais. A 13 ans, sa famille déménage en Allemagne, où elle étudie la médecine à Hanovre. Elle épouse le médecin Heiko von der Leyen, issu d’une famille noble et avec qui elle aura sept enfants. Ursula von der Leyen entame sa carrière politique au niveau local à Hanovre. Après s’être affiliée à la CDU (chrétiens-démocrates), elle est élue pour la première fois en 2003 au parlement régional de Basse-Saxe. Elle devient ministre régionale de la Santé, de la Famille et des Affaires sociales. Elle se fait rapidement remarquer par celle qui était alors cheffe de l’opposition fédérale, Angela Merkel. Et quand celle-ci devient chancelière en 2005 en battant le social-démocrate Gerhard Schröder, elle l’appelle à endosser le portefeuille de la Famille au niveau fédéral.

D’année en année, Ursula von der Leyen devient la seule ministre de la chancelière à siéger sans discontinuer dans les gouvernements Merkel. En 2009, elle prend le ministère du Travail et des Affaires sociales, puis devient en 2013 la première femme à devenir ministre de la Défense en Allemagne. Un département difficile, où les critiques ne lui sont pas épargnées sur l’état d’impréparation et le manque d’équipement de la Bundeswehr. Elle est également épinglée dans une enquête sur l’attribution d’onéreux contrats à des consultants externes. C’est au moment où pâlissait l’étoile de celle qui était parfois présentée comme successeur d’Angela Merkel que le président français Emmanuel Macron sortit son nom il y a cinq ans, pour dénouer l’écheveau des nominations aux plus hautes fonctions de l’UE, après les élections de 2019. Le Parti populaire européen (PPE) d’Angela Merkel était sorti premier parti des urnes, mais le Français n’avait pas confiance dans le candidat principal de ce parti, l’Allemand Manfred Weber. C’est lui qui a suggéré le nom d’Ursula von der Leyen pour présider la Commission européenne. Vu les réticences du partenaire socialiste de la coalition, Angela Merkel a dû s’abstenir, mais sa compatriote a quand même reçu un soutien suffisant parmi les autres États membres.

L’élection d’Ursula von der Leyen par le Parlement restait très incertaine, tant était grande dans l’assemblée la désillusion de voir le Conseil faire fi de la procédure dite des “candidats principaux” présentés par les grands partis européens. Lors du vote, l’Allemande ne fut élue qu’à neuf voix près. Elle devenait ainsi la première présidente de la Commission. Sa faible assise parlementaire et son manque d’expérience européenne en laissait plus d’un sceptique. Ursula von der Leyen a rapidement inversé la tendance, en présentant de grandes ambitions en matière de neutralité climatique et de régulation des géants du numérique.

Sa gestion des multiples crises, du Brexit à la pandémie de coronavirus, en passant par l’invasion russe de l’Ukraine et la crise de l’énergie, lui a conféré un solide statut. C’est avec elle que l’UE a emprunté massivement pour maintenir l’économie européenne à flots et engager l’Europe sur le terrain de la Défense. Le magazine économique américain Forbes l’a couronnée en 2022 et en 2023 “femme la plus puissante du monde”.

Les critiques à son égard portent sur un manque de concertation avec ses commissaires et une approche trop présidentielle de sa fonction. La justice ne s’est pas encore prononcée non plus sur les SMS qu’elle a échangés avec le CEO de Pfizer, Albert Bourla, concernant une importante commande de vaccins anti-covid. Les accords migratoires passés avec des pays d’Afrique du Nord en ont aussi choqué plus d’un, de même que son soutien sans nuance à Israël dans les jours qui ont suivi le début de la guerre avec le Hamas. L’Allemande sera aussi attendue sur l’avenir du Pacte vert européen, alors que sa campagne électorale se centrait sur la défense, la sécurité et la compétitivité.

 

La moitié des eurodéputés francophones belge ont soutenu Von der Leyen

Sur les huit eurodéputés francophones belges, quatre (MR et Engagés) ont soutenu Ursula von der Leyen dans sa réélection à la présidence de la Commission. Les quatre autres (PS, Ecolo et PTB) se sont abstenus ou ont voté contre, a-t-on appris après l’annonce des résultats.

Le MR “en adéquation” Les eurodéputés MR Sophie Wilmès, Olivier Chastel et Benoit Cassart (aile libérale de Renew Europe) ont voté pour la candidate. “Les orientations politiques d’Ursula von der Leyen sont en adéquation avec les lignes que j’ai défendues pendant la campagne électorale”, a indiqué Mme Wilmès à Belga. Elle insiste sur l’accent mis par l’Allemande sur les valeurs fondamentales, sur son refus de travailler ou de laisser faire “ceux qui veulent détruire l’Europe”. En termes d’autonomie stratégique, également, le MR rejoint l’Allemande sur la nécessité d’une Europe forte. Le fait que la candidate ait fait de la prospérité et la compétitivité ses priorités conforte également les réformateurs.

Les Engagés  Également chez Renew Europe, mais à l’aile centriste, Yvan Verougstraete (Engagés) a lui aussi voté pour. Celui qui se présente comme défenseur d’un “centre vert” a interpellé la candidate en matinée sur la question du climat et du Pacte vert. Il insiste pour qu’Ursula von der Leyen accentue le juste échange plutôt que le libre-échange. Et souligne lui aussi la question de l’autonomie stratégique en matière de santé, d’énergie, de numérique, de sécurité alimentaire ou de défense. “J’attends maintenant d’elle qu’après les promesses viennent les actes et nous serons là, tout au long du mandat, pour vérifier que les objectifs d’intérêt général soient remplis, il en va de la crédibilité des institutions européennes et de l’avenir des citoyens européens.”

Le PS attend de voir Elio Di Rupo et Estelle Ceulemans (PS) se sont tous deux abstenus. Ils ont l’intention de vérifier en septembre, lors du vote sur le projet global de la Commission, si des réponses ont été apportées à des questions auxquelles la candidate n’a, à leurs yeux, pas répondu, a indiqué Mme Ceulemans. Leurs inquiétudes portent sur la politique de cohésion (subventions aux Régions), l’ambition en matière de réindustrialisation, mais aussi sur les engagements, jugés faibles et flous, en matière sociale, ajoute Elio Di Rupo. Ils craignent ainsi une “boîte vide” dans le domaine du logement, une compétence qui recevra un commissaire à part entière.  Le budget européen pose aussi problème, à leurs yeux. Mme Von der Leyen n’a évoqué que la mobilisation de l’épargne privée, sans s’attarder sur de nouvelles ressources propres au budget de l’UE, le tout dans un cadre de gouvernance budgétaire que le PS dénonce, et avec cette volonté de la Commission d’édicter les réformes à mener, selon l’ancien Premier ministre. “Nous sommes tiraillés entre l’esprit pro-européen qui est le nôtre et l’image difficile de Mme Von der Leyen, qui s’est montrée excessivement proche de Giorgia Meloni”, la Première ministre italienne issue du parti post-fasciste Fratelli d’Italia. Elio Di Rupo salue toutefois la diatribe lancée par l’Allemande contre le Premier ministre hongrois Viktor Orban. L’abstention n’est pas irrévocable: “c’est lors du vote final qu’on verra”.

Ecolo reste critique Comme les élus PS, Saskia Bricmont (Ecolo) s’est distinguée de la majorité de son groupe politique en ne soutenant pas la candidate. Ursula von der Leyen s’est engagée à ne pas revenir sur le Pacte vert, mais de nombreuses questions restent “très problématiques”, comme les politiques migratoires et de sécurité intérieure, ou bien encore les traités de libre-échange, juge l’élue. Pour elle, “les annonces de poursuivre dans la lignée du pacte asile-migration, de tripler les effectifs de Frontex, de déployer la surveillance de masse aux frontières, de multiplier les accords avec les pays-tiers, y compris avec des dictatures, sont autant de politiques qui conduisent l’Union européenne à ne pas être à la hauteur de ses valeurs”. Saskia Bricmont voit dans les élections, qui se sont traduites par une poussée de l’extrême droite, une preuve de “la crise sociale qui met en péril nos démocraties”. Elle insiste sur la nécessité d’une transition écologique qui bénéficie à tous et toutes et réclame, en matière de  libre-échange, la fin de la concurrence déloyale et de l’importation/exportation de produits du bout du monde.

Le PTB vent debout contre Von der Leyen Comme l’ensemble de son groupe, le PTB Marc Botenga a voté contre Ursula von der Leyen. La Gauche a même demandé – en vain – le report de l’élection, après que la Justice européenne eut donné tort à la Commission, lorsque cette dernière a restreint l’accès du public à certaines clauses des contrats d’achat de vaccins anti-Covid pendant la pandémie. Ils disent “non au triptyque austérité, marché, libre-échange effréné” qui caractérise selon eux le programme de la future Commission. Et pointent du doigt la faiblesse des mesures attendues en matière de travail, pauvreté ou chômage.