Procès des attentats de Bruxelles : les derniers témoins sur les faits entendus, un juré fait un malaise
De nouveaux proches des accusés sont attendus à la barre ce jeudi.
Le procès des attentats du 22 mars 2016, devant la cour d’assises de Bruxelles réunie au bâtiment Justitia, se poursuit ce jeudi avec une dernière journée de témoignages consacrés aux faits. En tout, ce sont 13 personnes, parfois seules, parfois par paires, qui sont invitées à témoigner ce jeudi.
L’audience a été interrompue à la mi-journée par le malaise d’un juré, qui a nécessité l’intervention des secouristes de la Croix-Rouge.
La semaine prochaine, une nouvelle phase du procès débutera avec les témoignages de différents experts. Ils seront suivis des premiers témoins de moralité.
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11h13 – Mohamed Abrini avait “une liasse de billets” quand il a fui
Après un premier témoin peu loquace, la cour a entendu les comptes-rendus d’audition de la femme ayant hébergé l’accusé Mohamed Abrini quelques jours avant son arrestation. Selon ses quatre auditions, “l’homme au chapeau” n’avait si GSM ni affaires, mais disposait de liasses de billets de 20 et 50 euros et d’une simple sacoche.
L’Anderlechtoise situe la rencontre avec Mohamed Abrini au 5 avril, dans un café de la commune bruxelloise. Alors qu’elle y attendait un ami, dont elle ne connait plus le nom, elle finit par demander de l’argent pour consommer au bar à un homme portant une casquette et jouant au bingo, il s’agit de l’accusé Abrini, qui se présente à elle sous une fausse identité. Il prétend avoir oublié ses clefs chez ses parents à Uccle et que ceux-ci sont à l’étranger. Il ne peut dès lors rentrer chez lui.
Il sort des liasses de billets de 20 et 50 euros, et lui donne de l’argent à deux reprises. Selon les déclarations d’un de ses amis qu’elle a retrouvé dans le même café, une patrouille de police s’est rendue dans l’établissement ce soir-là, mais n’a procédé à aucun contrôle. En fin de soirée, elle propose à l’accusé de l’héberger, ils rentrent à son domicile, il s’endort immédiatement sur un matelas à côté du salon.
Lors de son bref passage chez la témoin, Mohamed Abrini lui a donné 50 euros afin qu’elle puisse faire des courses alimentaires et ne lui a rien demandé d’autre, si ce n’est si elle détenait le permis, ce qui n’était pas le cas. “Durant la journée, il ne faisait que regarder la télé, il ne priait pas”, et ne sortait qu’après 16h00. Elle ignore comment il se déplaçait et qui il voyait en dehors de l’appartement. Il n’avait pas de téléphone.
C’est lors de son arrestation, et de la diffusion de sa photo dans les médias, que la témoin a découvert l’identité de l’homme qu’elle avait hébergé. “Choquée” lorsqu’elle l’apprend, elle se teint les cheveux “pour se changer l’esprit”, sort la poubelle et se fait arrêter par la police, à laquelle elle répète être disposée à les aider, malgré ses souvenirs peu précis.
13h48 – L’ex-compagne de Smail Farisi témoigne, un juré fait un malaise
La fin du témoignage de l’ex-compagne de Smail Farisi a été marquée par le malaise d’un juré. Celui-ci a dû être évacué de la salle d’audience juste après les dernières questions à la témoin. Les débats ont ensuite été suspendus pour la pause de la mi-journée.
Avant ce malaise, qui a nécessité l’intervention dans les couloirs du Justitia des secouristes de la Croix Rouge, la trentenaire a expliqué que, selon elle, la famille de Smail Farisi savait, avant même l’arrestation de ce dernier, que l’accusé avait sous-loué son appartement à l’un des kamikazes des attentats. Ibrahim Farisi, par contre, n’était pas au courant de l’identité du locataire, d’après la témoin.
La femme a entretenu une relation durant environ cinq mois avec Smail Farisi, jusqu’au moment de son incarcération. C’est la sœur de l’accusé qui l’a informée, fin avril 2016, de son arrestation le 9 avril. Lors de cette discussion, la sœur lui a raconté que “toute la famille” avait été mise au courant par Smail que l’appartement avait été sous-loué à Ibrahim El Bakraoui.
Selon la témoin, l’accusé a fait le lien le 22 mars, lorsque les médias ont partagé des photos des terroristes. “Sa sœur m’a expliqué que la famille s’inquiétait pour Smail et son avenir, et qu’ils avaient tous paniqué. Ils n’ont pas agi comme ils auraient dû le faire“, a-t-elle déclaré. La famille était manifestement divisée sur ce que Smail devait faire : aller ou non à la police. Pour l’ex-compagne de Smail, la discussion familiale n’a par contre pas porté sur le déménagement et le nettoyage de l’appartement.
Lors de ses interrogatoires en 2018, la femme a affirmé que “toute la famille Farisi” (“père, mère, sœur, frère”) avait discuté de la question. Interrogée par le premier assesseur, elle a répondu que, d’après elle, Ibrahim n’était pas au courant de cette discussion : “Smail l’a appelé pour l’aider à déménager, il ne savait rien des faits.” La témoin n’a toutefois pas été en mesure de confirmer ou infirmer la présence du jeune frère lors du débat familial. “La sœur a parlé de ‘mon frère’, mais je ne connaissais pas les noms des membres de sa famille (il y a trois frères Farisi, NDLR).”
Après que la cour a posé de nombreuses questions à ce sujet, la femme a indiqué qu’elle pensait que la conversation n’avait eu lieu qu’après que l’appartement eut été vidé (le 25 mars, NDLR). Ce faisant, elle a semblé contredire des déclarations antérieures qui montraient que la discussion avait eu lieu plus tôt.
14h35 – “Ali El Haddad Asufi a demandé à Smail Farisi de sous-louer son appartement”
Selon l’ex-compagne de Smail Farisi, l’accusé Ali El Haddad Asufi a demandé à son co-accusé Smail Farisi de sous-louer l’appartement de l’avenue des Casernes, à Etterbeek. Elle explique qu’elle savait que son compagnon de l’époque sous-louait son appartement etterbeekois. Elle ignorait par contre l’identité du locataire (Ibrahim El Bakraoui, NDLR), Smail évoquant “un ancien ami de l’école” et une demande d’hébergement émanant d’un ami commun. Le premier assesseur de la présidente de la cour a alors demandé à la femme si Smail lui avait parlé du prénom “Ali”. “Je pense qu’il en a parlé au cours de nos conversations lorsqu’il était en prison”, a répondu la témoin. Celle-ci a pris note de toutes les discussions téléphoniques qu’elle a eues avec Smail après son arrestation.
“C’était une descente en enfer pour moi aussi. Moi aussi, mon monde s’écroulait. Je n’avais personne à qui parler”, a-t-elle justifié. “Prendre ces notes, c’était un peu ma thérapie. Et j’ai commencé à écrire ce qu’il me racontait. J’avais besoin de relire tout ça, de revenir sur ces conversations. Je retranscrivais les souvenirs de nos conversations.” Des notes que la femme a ensuite remises à la police.
“C’est lui (Ali, NDLR) qu’il a rencontré dans la rue et qui lui a parlé de cet autre ami”, a-t-elle expliqué. Ali El Haddad Asufi réfute être intervenu en tant qu’intermédiaire puisque qu’Ibrahim El Bakraoui et Smail Farisi se connaissaient depuis l’école. “Après les attentats, Smail Farisi a considéré qu’Ali El Haddad Asufi était mêlé à tout cela“, a encore dit la témoin. Interrogée pour savoir si son ex-compagnon était en colère contre Ali, elle a répondu qu’“il ne l’a jamais montré, mais il était en colère parce qu’il avait rencontré la mauvaise personne au mauvais moment, parce que c’est à cause de lui que tout est arrivé”.
Smail Farisi a qualifié Ali de “monstre” lors de ces conversations téléphoniques depuis la prison. Un terme qu’il a souvent utilisé pour décrire les responsables des attentats, qu’il n’a jamais cautionnés auprès de son ex-compagne. Durant ces discussions avec la témoin, l’accusé n’avait en outre de cesser de répéter qu’il est innocent et qu’il “ne ferait pas de mal à une mouche”.
19h04 – Derniers témoignages sur les frères Farisi, Smail Farisi s’énerve
À la reprise, la cour a entendu les témoignages de personnes ayant aidé Ibrahim Farisi lors du déménagement de l’appartement de l’avenue des Casernes, les 23 et 25 mars 2016. Toutes ont confirmé n’avoir dû prendre aucune précaution particulière pour évacuer les rares meubles et sacs présents.
Deux amis d’enfance des frères Farisi, avec qui ils avaient grandi au quartier anderlechtois du Peterbos, ont poursuivi les témoignages du jour. L’un d’entre eux s’avère être un compagnon de boisson de l’aîné des frères accusés. Selon ses dires, à la suite des attentats, ils auraient passé deux jours de débauche, et il aurait trouvé son ami mal en point. Ce dernier témoignage a surtout suscité le courroux des frères Farisi, qui n’ont cessé de prendre la parole pour recadrer un peu les propos de leurs amis dans une ambiance devenue chargée.
Durant l’après-midi, Smail Farisi, passablement énervé, a demandé à ce qu’un ancien détenu à qui il devait sous-louer son appartement de l’avnue des Casernes soit convoqué par la cour. La présidente lui a suggéré d’en discuter avec son avocat mais a prévenu qu’il restait peu de temps pour encore entendre des témoins, la séquence du réquisitoire et des plaidoiries étant prévue à partir de la fin mai.
“Je suis innocent, c’est incontestable!”, a lancé l’accusé. “Ça ne reflète pas qui je suis. J’ai été acquitté dans le procès Paris bis, ce sont les mêmes faits.” “J’en ai marre! J’ai envie de mourir. Qu’on m’amène une chaise électrique”, a poursuivi l’ainé des frères Farisi. “Je veux qu’on me laisse tranquille, moi.”
La présidente de la cour l’a appelé à se calmer et à s’asseoir, ce que l’homme a refusé de faire dans un premier temps. “Cela fait sept ans que je suis en train d’attendre !”, lui a rétorqué l’accusé. “Et donc ça ne vient plus à une heure près, asseyez-vous”, a conclu la présidente, faisant revenir le calme dans la salle.
Une autre paire de frères, qui habitaient dans l’immeuble de l’avenue des Casernes, ont alors conclu les témoignages physiques du jour, mais n’ont pas amené d’éléments neufs.
Avec Belga – Dessin de couverture : Belga/Jonathan De Cesare