Procès des attentats de Bruxelles : les premiers témoins de moralité entendus

Salah Abdeslam Sofien Ayari - Procès Attentats 22 mars 2016 Bruxelles - Belga Jonathan De Cesare

La cour a appelé plusieurs psychologues et psychiatres.

Après de longues semaines consacrées aux témoignages sur les faits des attentats, la cour d’assises de Bruxelles chargée de juger les accusés des attentats du 22 mars 2016 à Zaventem et Maelbeek, s’attaque désormais aux témoins de moralité, à savoir des spécialistes, des proches des accusés, des psychologues et autres policiers.

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12h05 – Il faut singulariser chaque parcours, insiste la défense

Le psychiatre Philippe Van Meerbeeck a été le premier à la barre, ce mardi. Il a présenté quelques concepts pour tenter de comprendre “ce qu’il se passe dans la tête d’un jeune en quête d’idéal“, qui cédera ensuite aux sirènes de la radicalisation. “L’Occident a désenchanté le passage symbolique de l’enfance à l’adolescence“, a débuté le médecin. Or, si les montées pulsionnelles de vie et de mort qui accompagnent ce passage ne sont pas encadrées, a-t-il poursuivi, “les jeunes vont chercher leurs réponses ailleurs. Ils ont un besoin formidable de croire. C’est d’ailleurs pour cela que toutes les grandes religions monothéistes ont développé un rite vers l’âge de 12 ans“.

Selon lui, “c’est sur cette aspiration que vont jouer les personnes qui recrutent des jeunes“, en leur faisant miroiter des idéaux de sacrifice, pureté et vérité. Cette connaissance de la “perméabilité du jeune” s’accompagne d’un discours de haine identitaire et simpliste : c’est l’idée que “l’identité est construite contre les autres, contre l’ennemi à abattre, le mécréant, l’impur“, a ajouté le psychanalyste.

Dans la propagande islamiste, le tout est ensuite enrobé d’images et de sons rappelant les jeux vidéos, autre levier qui parle aux jeunes, a souligné Philippe Van Meerbeeck. Comment expliquer le choix de celui qui n’appuie pas sur le bouton ?, s’est interrogé Me Stanislas Eskenazi, conseil de Mohamed Abrini. “Jusqu’au bout, on peut avoir peur de mourir“, a pointé le psychiatre, soulignant qu’il était difficile de donner une réponse générale à cette question. “La peur est un combat entre les pulsions humaines de vie et de mort.”

Le témoin a d’ailleurs répété qu’il fournissait ces informations “à la grosse louche“, en raison du temps limité qui lui était imparti mardi matin. “Ce qu’on peut comprendre des récits des politologues, psychologues, sociologues¿ venus témoigner ces dernières semaines, c’est que le phénomène (de radicalisation, NDLR) est extrêmement complexe donc difficile à généraliser“, a finalement commenté Me Delphine Paci, qui défend Salah Abdeslam. “On ne peut pas ‘coller’ un modèle sur tous les accusés, les stéréotypes ont leurs limites.”


14h00 – La famille Atar absente

Les proches de l’accusé Oussama Atar, présumé mort en Syrie, ont remis mardi à la cour d’assises des certificats médicaux. Ils ne sont donc pas venus à la barre pour évoquer comme prévu la personnalité de leur fils et frère. À défaut, la cour a lu leurs déclarations faites à la police judiciaire fédérale en 2019. Pour eux, Oussama était un garçon “normal”, mais aussi “gentil” et “très sociable” selon sa mère. “Il n’a pas terminé ses études, puis il est parti en Syrie, bien que nous n’étions pas d’accord”, explique-t-elle.

La maman avait ensuite évoqué le retour de son fils à la maison. “Quand il est revenu, il avait perdu 25 kilos. Il avait été incarcéré plusieurs fois en Irak. Il était fatigué. Il était peu bavard. Il a montré les blessures qu’il avait à son père, mais pas à moi. Il est revenu environ un an et demi avec nous puis il a loué un appartement à Anderlecht.”

La mère d’Oussama Atar avait également déclaré qu’elle ne savait pas qui son fils fréquentait en dehors de la famille et ce qu’il faisait. “Oussama est accusé, mais nous n’avons jamais eu de preuves tangibles. Nous avons du mal à croire qu’il est impliqué dans tout cela”, avait-elle terminé.

Oussama Atar - Belga Jonathan De Cesare


16h39 – Les lettres d’Abdeslam sont assez pauvres au sens de l’endoctrinement, selon un expert

Les lettres d’adieu écrites par Salah Abdeslam, retrouvées dans la planque de la rue du Dries à Forest, étaient “d’un argumentaire relativement pauvre”, a déclaré Alain Grignard, devant la cour d’assises. L’ancien policier, qui est également islamologue, est revenu au procès pour quelques questions spécifiques, après avoir été entendu il y a plusieurs semaines.

La question est venue de l’avocate de Salah Abdeslam, Me Delphine Paci. “Vous avez été amené à analyser les lettres retrouvées rue du Dries, écrites par mon client. Vous aviez alors parlé d’un endoctrinement basique. Pouvez-vous expliquer ?”, a interrogé la pénaliste. “Ce sont des lettres d’adieu dans lesquelles l’intéressé – je ne savais pas encore qui en était l’auteur – explique sa motivation et s’excuse”, a répondu le témoin. “C’est une justification. L’argumentaire est relativement pauvre à mon sens. Mais j’avais quand même dit que la personne paraissait très imprégnée [par l’idéologie islamiste radicale]“.

Le témoin a également été interrogé par les procureurs, Bernard Michel et Paule Somers, au sujet de groupes comme Le Resto du Tawhid ou le CRM (Collectif Réflexions Musulmanes). “Ce sont des groupes prosélytes. Ils essayaient d’avoir un maximum de clients, de ‘vendre la marchandise’ idéologique”, a étayé l’ancien policier et islamologue.

Au sujet des mosquées où la radicalisation s’opérait, ce dernier a mis en garde de ne pas tomber dans une catégorisation entre “bonnes” et “mauvaises” mosquées. “C’est un concept qui ne fonctionne pas”, a-t-il souligné. Il a précisé que plusieurs combattants djihadistes ont fréquenté de mêmes lieux de culte, non pas en raison d’une nature plus radicale de ceux-ci, mais surtout parce que les prédicateurs sont allés répandre leur idéologie dans les mosquées les plus fréquentées, pour toucher le plus de candidats possible.


Ali El Haddad Asufi n’a pas une personnalité de “grand délinquant”, selon les psychiatres

L’accusé Ali El Haddad Asufi ne présente pas la personnalité d’un “grand délinquant”, ont relevé mardi, devant la cour d’assises de Bruxelles qui juge les attentats du 22 mars 2016, un trio de psychiatres et psychologue. Ceux-ci avaient analysé le cas du Berchemois afin d’estimer si l’homme ne présentait pas de trouble psychologique le rendant inapte à être jugé.

Pour aborder cette question, les trois professionnels ont rencontré l’accusé au début de son incarcération, et l’un d’eux une seconde fois en 2022 pour une réévaluation à la demande de la présidente de la cour d’assises. Ali El Haddad Asufi a décrit aux experts une enfance “banale au sein d’une famille dite sans histoire“.

Il présente également un développement affectif et sentimental courant, tout comme l’ont été sa scolarité et son parcours professionnel, ont relevé les experts mardi. Concernant sa personnalité, le trentenaire présente une “capacité de transgression”, qui le rend capable d’outrepasser certaines règles. “Les règles sont là, mais on peut en sortir parfois“, a résumé un des trois professionnels. “On n’a pas à faire à un grand délinquant, mais il peut s’écarter de certaines règles.

Le trio a également décrit quelqu’un d’organisé, qui a confiance en lui, qui a la capacité de s’affirmer et de s’opposer à autrui, mais aussi une personne ayant le contact facile. Quant au risque de passage à l’acte violent, les experts l’ont récemment jugé faible. À la deuxième entrevue, Ali El Haddad Asufi se montrera déprimé car fortement affecté par ses conditions d’incarcération.

 

Belga – Dessins : Belga/Jonathan De Cesare