Affaire Climat : la Région plaide qu’aucune faute juridique n’a été établie
Les plaidoiries de la Région de Bruxelles-Capitale ont été entendues mardi dans le cadre des poursuites initiées par l’ASBL Klimaatzaak devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, installé pour l’occasion au Justitia sur l’ancien site de l’OTAN.
L’ASBL Klimaatzaak, portée par quelque 62 000 personnes, attaque l’État fédéral et les trois Régions pour violation des droits de l’homme et de l’enfant. Les demandeurs entendent obtenir du tribunal civil de Bruxelles qu’il contraigne ces quatre instances à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 42% d’ici 2025, et d’au moins 55% d’ici 2030 sous peine d’astreintes d’un million d’euros par mois de retard. Mercredi matin, ce sera au tour des avocats de la Région flamande.
► Voir aussi : L’interview de Serge de Gheldere, président de l’asbl Klimaatzaak, dans Toujours + d’Actu (vidéo)
“La Région de Bruxelles-Capitale ne conteste en rien les dommages du réchauffement climatique“, a tenu à faire valoir Me Ivan-Serge Brouhns, avocat de la Région bruxelloise. “Là n’est pas la question… Aucun demandeur ne fait mention de dommages spécifiques comme exigé par le code judiciaire. Seule l’ASBL fait état d’un dommage moral en raison d’un préjudice écologique”. Selon lui, il n’y a pas matière à établir de lien causal au niveau juridique : “la faute doit être la condition sine qua non du dommage. La responsabilité civile, comme vue aux articles 1382 et 1383 du code civil, ne constitue pas un fondement adéquat“.
“Jamais attaqué de mesure spécifique”
Concernant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, ainsi que de son domicile et l’article 2 relatif au droit à la vie, si la Région peut reconnaître un effet direct à ces articles, sans intermédiaire d’une autre base légale, elle ne les a pas pour autant violés, car elle a pris des mesures et elle estime avoir une marge de manœuvre dans ses choix.
“Nous pouvons entendre que les mesures sont perçues comme insuffisantes”, a observé Me Guillaume Possoz, également conseil de la Région bruxelloise. “Les demandeurs n’ont cependant jamais attaqué de mesures spécifiques de la Région pour lutter contre le réchauffement climatique en raison de leur insuffisance. (…) Si les demandeurs avaient attaqué une mesure particulière, ils auraient pu démontrer quelle mesure adoptée l’a été en violation de règles nationales et internationales particulières”.
L’avocat part du principe que dans la jurisprudence de la Cour européenne, le contexte est toujours pris en compte, qu’il y a par exemple des éléments du droit national qui ne sont pas respectés en plus de la violation des articles 2 et 8 de la CEDH.
“La Belgique et la Région bruxelloise ont diminué leurs émissions de CO2”
Quant à la condamnation des Pays-Bas en décembre 2019 dans l’affaire portée par l’ONG Urgenda, Me Possoz a fait remarquer que la Cour a considéré les émissions de CO2, qui n’avaient pas diminué depuis 1990 et qui avaient même augmenté au cours des dernières années précédant l’arrêt : “la condamnation dans l’affaire Urgenda s’inscrit dans un comportement laxiste des Pays-Bas par rapport aux émissions de CO2 depuis 1990… La Belgique a diminué d’environ 20% ses émissions de CO2 depuis 1990, et la Région bruxelloise enregistre aussi une baisse de l’ordre de 18%”.
Me Guillame Possoz ajoute que “la Région bruxelloise s’est fixé des engagements ambitieux. Est-ce qu’il appartient à votre tribunal de contrôler la réalisation de ces engagements ? Peut-être, mais déjà pour les engagements 2020, on ne dispose pas encore de chiffres définitifs”. Il note que d’autres instances de contrôle existent.
Selon Me Brouhns, dans l’approche des demandeurs, “les mesures qui doivent être remises en cause, on ne veut pas le savoir. On veut donc juste une condamnation symbolique sans mettre les mains dans le moteur. On veut aussi une condamnation collective des trois Régions et de l’État fédéral sans distinguer les responsabilités propres de chacun”.
Depuis l’introduction de l’affaire en juin 2015, retardée pour une question de définition de la langue du procès, Me Brouhns assure que beaucoup a été fait, notamment avec l’Accord de Paris et le Green Deal européen : “Le monde de 2021 n’est plus celui de 2015“, conclut-il.
Avec Belga – Photo : Belga/Nicolas Maeterlinck