Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (28 avril) : “Un premier décès”

Samusocial - Photo Journal de bord 29042020 - Roger Job NE PAS REUTILISER

Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son  quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.

Ce week-end, le premier sans-abri qui résidait au Samusocial est décédé à l’hôpital St-Jean du Covid-19. Un homme.

Depuis le début de la crise, 93 résidents du Samusocial ont présenté des symptômes associés au Covid+. Parmi elles, 18 personnes ont été confirmées par testing. Dans le personnel, ils sont 4 travailleurs à avoir été confirmés Covid+.

Si le confinement fait diminuer les coups de foudre, il multiplie les fous de coudre. Les initiatives continuent à essaimer partout. Ironie de l’histoire, ces faiseurs de masques s’en sortent souvent sans patron. Ils cousent, limitant nos prochaines rencontres, nos prochains croisements à une paire d’yeux. Sans bouche. Un prof m’a expliqué hier qu’il se demandait comment un de ses élèves, sourd, allait maintenant faire pour lire sur ses lèvres lors de la rentrée. Chaque mesure a des implications, des scénarios que personne n’avait prévu.

La particularité du Covid-19 est qu’il a des ramifications à tous les niveaux de nos vies, tant privées que professionnelles. Chaque travailleur des centres de première ligne du Samusocial, au-delà du stress professionnel lié à la proximité du COVID dans chacun de nos centres – nous avons des cas de personnes contaminées dans toutes nos structures – doit apprendre à gérer son quotidien familial. Un quotidien constitué d’enfants en bas âge, d’adolescents ou de bébés ; de compagnes ou de compagnons, de pères et mères, frères et sœurs, de mails scolaires qui arrivent toujours plus nombreux, avec des consignes parfois complètes, parfois complexes. De mon côté, j’ai cru comprendre aujourd’hui que deux de nos enfants ne retourneront pas à l’école. Un en primaire, l’autre en secondaire. Quatre mois encore à gérer, quatre mois de liberté à organiser, en essayant de bien équilibrer loisirs et études. Comment font tous mes collègues pour lesquels le télétravail n’est pas possible ?

Le testing des personnes que nous avons hébergés commence cette semaine. Le centre de Poincaré est identifié comme le site où commencer. Cela permettra de tester l’ensemble des 90 femmes qui seront déménagées dans le bâtiment du Square de Meeus cette semaine. Un bâtiment où travaillent d’habitude des parlementaires européens. Le dépistage de ces femmes devrait permettre d’être quasiment sûr de n’avoir que des personnes négatives dans un de nos centres. Un luxe aujourd’hui.

Ce testing tant attendu depuis de longues semaines a également réveillé le besoin pour nos travailleurs d’être rassurés, eux aussi. Difficile d’accepter pour ces héros invisibles de la première ligne que seuls nos bénéficiaires seront testés. Et eux, et nous ? Les discussions sont longues, compliquées. Les arguments de santé publique croisent leurs besoins de reconnaître l’investissement et les risques pris au quotidien. Le besoin d’être rassuré. La raison froide de l’épidémiologie a du mal à s’aligner sur la chaleur de l’action et de l’émotion. Les femmes qui déménageront dans le bâtiment du Parlement européen auront une autre chance trop rare au Samusocial : bénéficier de chambres individuelles pour certaines et de trois repas à base de produits frais. Paradoxalement, le COVID permet à certaines personnes sans-abri de bénéficier de conditions d’accueil qu’elles n’ont probablement jamais connues auparavant.

Tout cela pose évidemment la question de l’après-crise. L’ensemble de nos budgets est validé globalement jusque fin juin. Tant pour certains travailleurs que probablement pour la plupart des individus aujourd’hui hébergés en hôtel ou dans un Parlement, il est difficile d’imaginer revenir aux conditions d’accueil des infrastructures qui précédaient la crise, que ce soit en termes de qualité d’infrastructures ou en termes de nombre de personnes par pièce. À l’hôtel où nous logeons les familles, certaines familles n’hésitent pas à comparer le maintenant à l’avant. Bruyamment ou secrètement, elles espèrent que le futur ne sera pas un retour vers le passé.

Quasi l’ensemble des infrastructures du Samusocial sont des bâtiments non-destinés au logement. La plupart du temps, ce sont des bureaux en jachère, en attente d’un permis, que nous aménageons de manière temporaire, donc bricolée. Cette crise nous apprend une évidence. Rien ne vaut un bâtiment spécifiquement conçu pour loger des gens, pour organiser de l’hébergement.

► Retrouvez l’ensemble des journaux de bord de Sébastien du Samusocial dans notre dossier.

Photo : Roger Job/Samusocial