Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (21 mars) : “L’ouverture de Rempart 7”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Le jour bouge, le temps s’accélère. Comme souvent face à une urgence humanitaire, à un moment tout le monde s’active et prend la mesure de l’ampleur de ce qu’on doit affronter. C’est l’effet boule de neige, les téléphones vibrent (tiens, ils ne sonnent plus maintenant), les oreilles chauffent, les acteurs essayent de se parler, puis de se comprendre. Beaucoup de temps se perd pour s’aligner. Un temps nécessaire. Les blagues sur Whatsapp fusent et comblent les moments vides. Le téléphone est greffé à nos mains. Pourvu qu’il ne soit pas infecté.
Au Samusocial, Rempart 7 a ouvert. Rempart 7 n’est pas un château du Moyen-Âge. C’est un de ces codes linguistiques du Samusocial. Un nom entré dans l’histoire de l’organisation qui désigne un bâtiment loué au CPAS de Bruxelles. Toute organisation a ses éléments de langage. Petit Rempart est le nom d’une rue du centre de Bruxelles. Une rue devenue le cœur historique du Samusocial qui y a construit son histoire, avec ce qu’elle comporte d’ombre et de lumière. Nous louons le numéro 5 et 7 de la rue du Petit Rempart au CPAS depuis des années. Depuis le temps où Samu et CPAS formaient un couple fusionnel. A l’intérieur du bâtiment qui accueille une centaine de personnes fragilisées, les travailleurs ont encore l’habitude de parler de la salle de réunion comme l’ancien bureau de Pascale, en référence à la précédente Directrice. Ces derniers jours nous avons donc réaménagé le numéro 7 de la rue du Petit Rempart.
Au Samusocial, depuis ce matin Rempart 7 signifie donc l’ouverture d’un centre spécifique pour accueillir les patients suspects du COVID-19. Nous avons donc enfin un centre de 19 lits uniquement dédiés aux personnes sans-abris suspectées de porter le virus. Il complète le dispositif Croix-Rouge ouvert il y a quelques jours. La presse s’intéresse à notre Unité d’isolement, un rapide visite à quelques journalistes et on passe au problème suivant.
En effet, comme souvent, à peine une action a-t-elle abouti, qu’un autre front s’ouvre, plus urgent, plus inquiétant. Nos masques de protection dont le port est obligatoire depuis le début de la semaine suscitent de sérieuses questions. Certains de nos travailleurs menacent de ne plus venir si nous ne leur fournissons pas rapidement des masques chirurgicaux.
En urgence, nous trouvons finalement 2 000 masque chirurgicaux, donnés par MSF. Certes, on a dû mendier un peu mais nous avons de quoi tenir quelques jours. Ceci dit, l’inquiétude monte. Sans matériel, nous risquons de ne pas pouvoir tenir le personnel mobilisé.
Icare, mon fils, m’accompagne pour courir. Sans doute un des effets positifs du confinement. Les nouvelles ont tendance à tourner en boucle sur nos téléphones. On ne sait si elles créent une psychose ou si elles ne reflètent qu’une réalité qui va nous éclabousser très vite au visage, à l’italienne ou à l’espagnole. Le week-end est compliqué. La plupart des cadres du Samusocial ont des enfants en bas âge. Le rythme qui leur est imposé par la crise commence à impacter leur visage. Et même s’ils n’en parlent pas, j’ai parfois l’impression que cela impacte aussi leurs relations familiales. Derrière chaque collaborateur se cache une histoire personnelle dont on ne connaît pas les recoins, mais qui impactera inévitablement son engagement dans les semaines à suivre.
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Photo : Christophe Thielens/Samusocial