Les défis de Maxime Prévot : “Il faut toiletter l’espace francophone”
Pendant une semaine, BX1 vous propose une série d’entretiens avec le ministre-président de la Région bruxelloise et les présidents de partis francophones. Comment ont-ils vécu cet été marqué par le Covid 19, les inondations en Wallonie, le changement de régime en Afghanistan ? Comment appréhendent-ils la rentrée et ses grands enjeux politiques, sanitaires, institutionnels ? Aujourd’hui Maxime Prévot, président du CDH.
Il est président de parti, mais aussi bourgmestre de Namur : Maxime Prévot nous reçoit dans son cabinet de l’hôtel de ville. Une longue table dans la salle de réunion, où il nous rejoint alors qu’il était en réunion de brainstorming sur la rentrée avec son conseiller en communication. Mais si on se trouve à Namur, le président-bourgmestre calibre son discours : avec BX1, il veut surtout parler de la Région bruxelloise.
“Ça m’étonne qu’on en parle si peu, et quand on parle, c’est rarement positif. On a quand même un gouvernement régional qui est mou du genou, qui peine à tracer une perspective. Je mets au défi les Bruxellois de dire quel est le projet pour lequel la Région a envie de porter sa population, c’est de la politique à la petite semaine. Et quand on en parle, c’est toujours sur un mode polémique.”
Du coup, on enchaine sur ce qui a fait l’actualité bruxelloise des dernières semaines.
La vaccination à Bruxelles : un manque de leadership
“Il y a d’abord eu un grand cafouillage de communication. Monsieur Maron a probablement plein de qualités, mais certainement pas celle d’assurer un leadership convaincant comme ministre de la Santé. Au départ, s’être préoccupé de l’impact environnemental des écouvillons parce que cela allait représenter des déchets, il doit être le seul ministre de la Santé de la planète à tenir ce type de discours. C’est surréaliste, objectivement. Je pense qu’il y a eu un manque de leadership, de volontarisme, et un ministre-président qui a trop laissé faire, ou mal faire, son ministre de la Santé au lieu de mettre lui-même les mains dans les cambouis. On aime ou pas Alexander De Croo et Frank Vandebroucke, on ne peut pas leur nier d’avoir assumé un leadership et des messages clairs auxquels il est plus facile d’adhérer que lorsque la communication est brouillonne. À Bruxelles, plus qu’à d’autres niveaux de pouvoir, il y a des leçons à tirer sur la manière dont la politique de vaccination a été menée.”
Et ailleurs en Belgique ?
“Il faut qu’on franchisse une étape supplémentaire. Frank Vandenbroucke a raison d’envisager la nécessité de passer à une vaccination obligatoire ou un recours étendu au pass sanitaire. Emmanuel Macron a été courageux. Si on veut atteindre une immunité collective satisfaisante, on ne peut pas brimer 75% de la population au motif que 25% refuse la vaccination parce qu’on ne saurait pas ce qu’on nous injecte. Moi, je suis surpris de voir ces réticences disant ‘on ne sait pas ce qu’il y a dans le vaccin’ alors qu’on fume un paquet par jour en ne se préoccupant pas de ce qu’on avale. De ceux qui parlent de grand complot capitaliste, mais qui utilisent leur smartphone avec identification de leurs données personnelles en permanence… Quand certains ont utilisé le viagra, ils se sont moins posé de questions sur les conséquences à long terme. À un moment, il faut être raisonnable.”
Dérèglement climatique : “ça me heurte”
On aborde l’autre grand dossier de l’été : les inondations en Wallonie et la lutte contre le réchauffement climatique.
“Ces inondations vont nécessiter des mois et des années pour la reconstruction. C’est un coup dur qui s’ajoute à la crise sanitaire. Quand je lis que certains présidents de parti francophone expriment une sorte de relativisme vis-à-vis du réchauffement climatique, ça me heurte. Ça me heurte comme père, comme citoyen, comme président de parti. Cela doit être une évidence pour toutes les formations politiques, a fortiori quand on voit les conséquences sur le terrain, en Belgique et dans le monde. De plus en plus de personnes sont en attente d’un retour du sens. Comme bourgmestre, on a l’ambition de faire de Namur une capitale du développement durable. Donc oui, il va falloir accepter que la voiture ne doit pas être le véhicule roi. Je ne suis pas un anti-voiture, mais qu’il y ait des transitions qui doivent s’accélérer, c’est une évidence. À Bruxelles, on a hurlé quand la ville est devenue zone 30. Mais à Namur, ça fait 10 ans que c’est le cas, on instaure maintenant des zones de rencontre à 20 km/h ça n’a pas diminué l’attractivité de la ville.”
Une TVE à la place de la TVA
“Je préconise un changement fiscal, on connait la TVA. Je pense qu’il faut y substituer une TVE, passer d’une taxe sur la valeur ajoutée à une taxe sur la valeur environnementale. Avec des recettes équivalentes pour le budget de l’État, l’objectif n’est pas de le fragiliser. On ne peut pas continuer à prendre l’avion sans aucune taxe sur le kérosène. On a aussi une réflexion à avoir sur les porte-conteneurs qui représentent l’équivalent-pollution de milliers de voitures. Le fameux tax-shift de Charles Michel n’en a pas été un. On va devoir remettre notre fiscalité à plat. Elle date de l’après-guerre, période durant laquelle on a essayé d’avoir l’assiette la plus large : les travailleurs. Si on a été capable après l’affaire Dutroux de réunir tous les partis pour la réforme des polices, ou de faire des assises de la démocratie, qu’est-ce qui empêche qu’on se réunisse pour mettre à plat la question fiscale ? On doit repartir d’une page blanche.”
Smartmove : “Une erreur stratégique”
On demande au président du CDH si, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, il est prêt à soutenir le projet du gouvernement bruxellois de taxation au kilomètre des automobilistes (qui rencontre une forte hostilité côté wallon). La réponse est négative.
“Ce serait une erreur stratégique si les Bruxellois se coupaient des Wallons. Moi, j’ai passé du temps à convaincre les régionalistes wallons que le premier poumon économique du sud du pays, c’était Bruxelles et qu’ils auraient tort d’affaiblir ce lien. Il ne faudrait pas que Bruxelles soit maintenant tentée par ce même mauvais calcul. Bruxelles cumule les difficultés en termes de mobilité, de sécurité, de mise à l’emploi, avec une dimension multiculturelle plus forte qu’ailleurs, ce qui est une richesse. Mais c’est justement parce que Bruxelles est en difficulté qu’elle doit s’appuyer sur son ‘hinterland’ flamand et wallon. Être dans une démarche isolationniste n’est pas de bon augure. Il ne faut pas édifier des murs, mais travailler avec les Régions qui vous entourent. Bruxelles devrait être une capitale européenne de l’intelligence artificielle. On a les cerveaux pour, la jeunesse pour. Faisons en sorte de porter des projets.”
Réforme de l’État : “il faut un toilettage des institutions francophones”
Comme on parle des relations entre Régions, on aborde la question d’une future réforme de l’État. Message sans ambiguïté du président humaniste : les francophones doivent se préparer et la Fédération Wallonie-Bruxelles est dans le viseur.
“Quand il y a deux ans, l’idée de la Belgique à quatre a émergé, j’avoue l’avoir accueillie avec un certain intérêt. Plus le temps passe, plus je suis dubitatif. Parce que je ne suis pas convaincu que renforcer les Régions au détriment d’une liaison structurelle entre francophones soit opportune. Mais autant je suis convaincu de l’intérêt de garder un lien très fort en Bruxelles et Wallonie, autant je ne suis pas convaincu que la forme de ce lien doive être l’actuelle Fédération Wallonie-Bruxelles.
En termes de gouvernance à l’intérieur de l’espace francophone, il y a un toilettage à opérer. Je ne suis pas sûr qu’on ait besoin d’un parlement et d’un gouvernement spécifiques. On pourrait fonctionner avec des ministres 100% à double casquette. Il y a une administration qui doit être revisitée et certainement des compétences à régionaliser.”
“Je peux comprendre l’énervement flamand”
“On commettrait, nous francophones, globalement, une erreur en se présentant à la table des discussions institutionnelles à venir en 2024 sans avoir fait une opération de simplification intrafrancophone au préalable. Je peux comprendre l’énervement flamand quand on a une telle déperdition d’énergie et d’argent parce qu’on a multiplié les couches dans l’espace francophone.
Quand on parle des fameux 9 ministres de la Santé, il y a un flamand, un fédéral, un germanophone et les 6 autres sont dans l’espace Wallonie-Bruxelles. Il y a quelque chose qui ne va pas.”
“Je lance un appel aux présidents francophones”
“Je renouvelle à travers cette interview l’appel à ce que les présidents francophones de la majorité comme de l’opposition puissent se réunir. Au besoin, sous le sceau de la confidentialité. L’objectif est de convenir d’une feuille de route commune, ce que les Flamands ont fait depuis les années 1990 et leur permet de savoir comment orienter leurs décisions. Ce que nous avons toujours été incapables de faire alors qu’on déplore élection après élection la force de frappe flamande et la faiblesse francophone. Il ne tient qu’à nous de nous saisir de l’enjeu. Ceux qui sont dans l’opposition aujourd’hui seront peut-être dans la majorité demain et inversement. Donc l’enjeu transcende la position qu’on occupe aujourd’hui.
Aujourd’hui on n’a pas de modèle mûr : ni celui des quatre Régions, ni l’alternative avec une fédération qui transférerait une partie de ses compétences et réduirait ses coûts. C’est justement parce qu’il existe un espace entre ces deux scénarios qu’il faut se voir et en parler. Mais parlons-nous.”
On demande alors à Maxime Prévot s’il n’y a pas un problème de confiance entre présidents francophones pour pouvoir mener à bien ce genre de réunions préparatoires.
“Si on est président de parti, c’est qu’on doit être capable de s’exonérer du ressenti qu’on éprouve vis-à-vis de ses collègues que ce soit de l’affection ou de la distance. Sinon on n’est pas à sa place.
Le rendez-vous institutionnel, ce n’est pas une masturbation intellectuelle de haut vol de professeurs d’université ou de politiques désincarnées. Ce sont des décisions qui vont impacter le quotidien des gens chaque jour. On n’a pas le droit de se tromper.”
Le CDH remplacé par un mouvement
On termine l’entretien par l’opération “il fera beau demain”, lancé par le CDH et qui doit déboucher sur une importante réforme des statuts du CDH.
“Les partis politiques sont des figures de style dépassées. Ce n’est pas assez agile comme structure. Les partis subissent l’actualité au lieu de la façonner, ils arrivent en retard quand il faut légiférer. Ils ne sont pas porteurs de projets ou d’utopie. Or, sur les questions de dérèglement climatique, de révolution digitale, de la révolution des migrations, ce sont des enjeux qui n’existaient pas il y a 30 ans. L’intérêt de la démarche « il fera beau demain », c’est de pouvoir se remettre en cause.”
Du changement dans les listes
“En 2024, on ne fera pas juste un copié-collé des listes de 2019. Sinon, on aura du mal à crédibiliser le fait qu’on est devenu un mouvement, que celui-ci est pluriel et qu’on s’est régénéré. Donc oui, il y aura du changement. À Bruxelles et en Wallonie.”
Fabrice Grosfilley