L’attentat du Musée Juif plongeait la Belgique dans la terreur il y a 10 ans
Alexandre Strens, Dominique Sabrier, Emanuel et Miriam Riva : ces quatre noms ont marqué la Belgique le 24 mai 2014. Ces victimes ont péri sous les balles tirées par Mehdi Nemmouche, condamné à la réclusion à perpétuité pour cet attentat, aux côtés de Nacer Bendrer, pour sa part condamné à 15 ans de prison.
Samedi 24 mai 2014, veille d’élections fédérales, régionales et européennes. Dans la rue des Minimes à Bruxelles, Mehdi Nemmouche se rend à l’entrée du Musée Juif de Belgique. Il est 15h27. De sang-froid, l’homme sort un revolver et tire sur un couple de touristes israéliens, Emanuel et Miriam Riva, âgés de 54 et 53 ans. Le tueur contourne les corps puis se rend devant le hall du musée, où il sort une Kalachnikov et tire une nouvelle salve de balles, touchant une bénévole française du musée, Dominique Sabrier (66 ans), et un employé belge de l’institution, Alexandre Strens (25 ans).
Caméras de surveillance
La première décède sur place, tout comme le couple Riva, le second est emmené grièvement blessé à l’hôpital Saint-Pierre, où il décèdera le 6 juin. L’attaque met le pays, jusqu’ici peu confronté à ce type d’assassinats, dans l’effroi. Les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur de l’époque, Didier Reynders et Joëlle Milquet, sont rapidement sur place et évoquent déjà la possibilité d’un lien avec la guerre civile syrienne et le retour de combattants djihadistes en Europe. La menace terroriste, à l’aube des élections, grimpe d’un cran. Mehdi Nemmouche, lui, est reparti aussi vite qu’il est arrivé. La séquence filmée par les caméras de surveillance du musée dure moins de deux minutes. Ces vidéos, ainsi que des photos, sont rapidement diffusées par la police fédérale pour retrouver au plus vite l’auteur des tirs.
Ce dernier est finalement rattrapé six jours plus tard, lors d’un contrôle inopiné dans un bus, à la gare routière de Marseille Saint-Charles, dans le sud de la France. La GoPro utilisée lors du massacre, des armes semblables à celles affichées sur la vidéo, une casquette. Tout semble correspondre. L’enquête confirmera les indices trouvés sur place, et permettra ensuite l’arrestation de Nacer Bendrer, accusé d’avoir fourni les armes de l’auteur. Des manifestations de soutien sont rapidement organisées autour du Musée juif. L’événement tragique a ébranlé l’ensemble des équipes de l’institution, contrainte de fermer ses portes durant quelques semaines, le temps de l’enquête notamment.
L’épreuve du procès
“Dès septembre, nous avons rebondi avec une exposition sur Gotlib”, raconte aujourd’hui Philippe Blondin, président de l’association en charge du musée. “Tout le petit monde autour du musée a souhaité reprendre le travail avec acharnement et plaisir, en sachant que nous devions surmonter un trauma. C’est ce que nous avons fait, je pense, avec beaucoup d’intelligence”. Des mesures de sécurité supplémentaires, comme l’ouverture d’un double sas avant d’entrer dans le musée, l’installation d’un détecteur de métaux et le contrôle des sacs, ont notamment été mises en place pour favoriser le retour des visiteurs dans le musée. Il restait toutefois une épreuve à affronter : le procès de Mehdi Nemmouche et Nacer Bendrer.
Celui-ci s’ouvre devant la cour d’assises de Bruxelles le 10 janvier 2019. Les avocats du principal accusé jouent la carte du complot et laissent entendre que l’attentat serait un coup du Mossad, le service de renseignements israélien. “Ce que Me Courtoy, l’avocat de Mehdi Nemmouche, racontait tenait tellement peu la route que même l’accusé en rigolait. Il avait un sourire narquois à chaque fois que son avocat parlait”, déplore Philippe Blondin. “J’étais présent tous les jours à ce procès et durant ces trois mois, ce n’était pas évident. Mehdi Nemmouche était un homme extrêmement satisfait de ce qu’il avait fait.
“Machine à tuer”
Durant le procès, il est apparu très calme, serein, comme sur les vidéos. On a vu que c’était une machine à tuer. Qu’il l’a fait d’une manière froide”. La sentence tombe au bout de trois mois d’un procès “très bien géré par la présidente de la cour d’assises, Mme Laurence Massart”, également plébiscitée pour le procès des attentats de Zaventem et de Maelbeek, trois ans plus tard. Le 12 mars 2019, Mehdi Nemmouche est condamné à la réclusion à perpétuité assortie d’une mise à disposition du tribunal de l’application des peines pour 15 ans. Nacer Bendrer est, lui, reconnu coupable comme co-auteur des faits et écope de 15 ans de réclusion assortie d’une mise à disposition du tribunal de l’application des peines pour 5 ans.
“Au total, ils doivent près d’un million à toutes les victimes, mais vu qu’ils sont en prison, je ne vois pas très bien comment ils pourraient faire face à ces obligations civiles”, estime Philippe Blondin. Le président du Musée juif est toutefois rassuré de savoir que les deux hommes ne sortiront pas rapidement de prison. La peine de Nacer Bendrer “ne sera pas réévaluée avant 2029, a confirmé son avocat”. Mehdi Nemmouche, pour sa part, devra comparaître en 2025 devant les assises, en France, pour la séquestration de sept personnes, dont quatre journalistes français, en Syrie, en 2013 et 2014.
Le président du Musée juif a conservé des contacts permanents avec les proches d’Alexandre Strens, Dominique Sabrier et Emanuel et Miriam Riva. “Nous conservons des relations intimes avec ces personnes”, explique Philippe Blondin. “C’est plus compliqué pour les filles d’Emanuel et Miriam Riva qui ont été profondément marquées de se retrouver du jour au lendemain sans parents, à l’âge de 14 et 16 ans. Elles ont, vis-à-vis de la Belgique et du musée, une certaine distance. Mais nous avons des nouvelles tout à fait apaisantes à leur propos”, décrit-il.
“Allons rencontrer un juif”
Le musée, pour sa part, a poursuivi ses activités, dans un esprit d’ouverture. Le service éducatif de l’institution s’est développé en 2018 avec l’objectif de créer des ponts et d’éduquer sur la culture juive. Des ateliers, des rencontres, des visites sont ainsi organisés pour les élèves du primaire et principalement du secondaire. “Nous avons notamment créé les événements Let’s meet a jew (Allons rencontrer un juif) avec une note d’humour évidemment, car on se rendait compte que beaucoup de jeunes n’avaient jamais rencontré une personne d’origine ou de confession juive”, explique Barbara Cuglietta, directrice du musée. “Durant les bonnes années, cela nous a permis d’accueillir jusqu’à 10.000 personnes venues de l’associatif ou des écoles.”
Fermeture prochaine
Le conflit actuel entre Israël et le Hamas à Gaza a toutefois bousculé ces activités. “On essaie de répondre aux questions autour de cette guerre, de la manière la plus intelligente et la plus nuancée possible”, indique Philippe Blondin. “Nous leur expliquons l’histoire, ce qui s’est passé ces vingt dernières années. Nous essayons d’éduquer, c’est notre mission”. Cette mission se poursuivra même durant la fermeture du musée, annoncée en septembre en raison de rénovations sur la façade avant, prévues pour environ deux ans.
“Nous pourrons encore accueillir des groupes scolaires et mettre en place des expositions temporaires extérieures, avant la réouverture officielle”, indique Barbara Cuglietta. L’objectif à la réouverture est d’attirer 100.000 visiteurs par an, indique encore le musée juif. L’institution poursuivra par ailleurs son travail de mémoire pour les victimes de cet attentat. Une plaque commémorative est toujours installée à l’entrée du musée et sera maintenue lors de la rénovation. “Nous conserverons toujours une place pour eux”, insiste Philippe Blondin.
■ Reportage de C. Tang Quynh – Texte : Belga