Olivier Deleuze : “La méfiance des gens par rapport à la science, aux faits, m’a choqué”
Bourgmestre de Watermael-Boitsfort, Olivier Deleuze (Ecolo) dit avoir été privilégié dans cette crise. Ingénieur agronome de formation, il s’étonne de la remise en question de la science par une partie de la population.
Lorsque le coronavirus se répand en Chine en janvier 2020, quel est votre état d’esprit?
Je me souviens d’un avion japonais qui rapatriait des ressortissants et le pilote était en scaphandre. Je me suis dit qu’ils étaient fous. J’étais au carnaval de la Nouvelle-Orléans et avec ma compagne, nous trouvions que nous étions très nombreux. Nous pensions que cela n’arriverait pas chez nous. Par contre, lorsque c’est arrivé en Italie, je me suis demandé ce qui se passe. Je n’ai jamais vécu une pandémie, je les ai vues à la télé. Bien sûr, j’ai connu le sida dans les années 80 mais, pour le reste, les pays occidentaux ont toujours été protégés.
Quand arrive le premier confinement, vous êtes surpris?
Ce n’est pas une surprise. Comme bourgmestre de ma petite commune, je participe à la montée de la température et je vois le bazar arriver. La gestion de la commune est ma première considération. Il faut continuer à délivrer les papiers, s’occuper des enfants, veiller à la protection des agents et de la police. Je suis comme un gestionnaire de PME. A ce moment, je n’ai pas une préoccupation globale ou sociétale. Je me demande simplement comment assurer la continuité. Il faut aussi agir avec des gens qui ont peur et d’autres pas. Il est impossible de savoir pourquoi quelqu’un a des craintes. Son parcours est différent et donc je ne juge pas. C’est difficile pour tout le monde mais moins pour moi, bourgmestre de Watermael-Boitsfort, que pour mes autres collègues. J’ai fait des réunions tous les jours à 9h. Le plus complexe à gérer, c’est l’injonction contradictoire envers les habitants : on nous dit porter un masque mais on n’en a pas. C’est le pire en psychologie.
Comment vous organisez-vous?
Dans un premier temps, nous parons au plus pressé. Des bénévoles cousent des masques eux-mêmes. Mais je me rends compte qu’il en faut une montagne et qu’on n’y arrivera pas tout seul. C’est humain et solidaire d’en fabriquer avec sa petite machine à coudre mais cela ne va pas suffire. Je comprends que la Région et le fédéral n’arriveront pas non plus à fournir des protections dans les temps. C’est chacun pour soi. Si je ne suis pas dans les premiers à passer commande, je n’en aurais pas. J’évite les marchés publics en faisant des petites commandes à différents fournisseurs et je suis sur le toit de la maison communale telle Sœur Anne pour attendre le camion. Si lui n’arrive pas, l’angoisse, elle, elle monte. Quand on a reçu les masques, c’était un grand soulagement. Les fonctionnaires ont bossé tous ensemble pour les mettre dans des enveloppes. On a toujours 50.000 masques chirurgicaux stockés dans le grenier de la Maison haute.
Personnellement, comment vivez-vous cette première période?
Je ne suis pas confiné, je suis salarié, je ne suis pas dépendant des aides et je ne le vis pas mal. Mes enfants vont bien. J’ai un enfant qui habite en colocation et qui est un peu inquiet. Ma compagne a un peu trop de télétravail. Globalement, j’ai trouvé cela très intéressant. J’ai souvent demandé à ma grand-mère comment étaient les gens pendant la guerre. Maintenant j’ai compris. Les traits de caractère sont exacerbés sous la pression. Cela m’a intéressé. Et je me suis interrogé sur notre monde aussi. Il y a une chauve-souris qui mange un pangolin voire un laborantin qui ferme mal la porte à l’autre bout du monde et on porte des masques à Boitsfort. L’interdépendance que nous avons constatée doit maintenant nous permettre de réorienter la production pour compter un peu plus sur nos propres forces.
Vous avez un des premiers grands cluster dans la maison de repos privée La Cambre. Pensez-vous que les maisons de repos ont été abandonnées?
Je pense que personne ne savait ce qu’on devait faire. A posteriori bien sûr, c’est facile de dire si j’avais su. J’ai eu en ligne le responsable catastrophé de la maison de repos de la Cambre. Il était désarmé. La prochaine fois, nous serons mieux outillés. Bien malin celui qui savait à ce moment ce qu’il aurait fallu faire.
Trouvez-vous que la coordination entre les bourgmestres a bien fonctionné?
Je trouve que la classe politique s’est bien tenue. Il y a eu quelques exceptions mais elles ne valent pas la peine d’en parler. Je pense aussi que Rudi Vervoort a bien fait ça. Les communes vont prendre du poids politique si chaque bourgmestre ne fait pas de politique politicienne à l’intérieur même de la conférence des bourgmestres. Le bourgmestre est en première ligne avec les gens sur le trottoir : ils demandent un emploi, une poubelle, des Pokémons dans la commune ou des vaccins. Les habitants n’auraient pas compris que les mesures soient différentes entre les communes. L’échelon local est le moins impopulaire et conserver les communes fait partie d’une lutte contre les populistes et les complotistes. La commune a du sens. C’est du concret pour les gens.
Lorsqu’on déconfine en juin 2020, vous vous dites que tout est terminé?
Bien sûr! Et je pars en vacances en Italie. Nous étions quand même bien contents d’entendre Sophie Wilmès dire que tout allait bien. Ayons la modestie de reconnaitre que nous avons apprécié sur le moment, même si après c’était l’abattement et l’énervement. La tension a augmenté au fur et à mesure du deuxième confinement. La santé, c’est beaucoup la psychologie : à chaque fois que la porte de sortie s’éloignait, c’était terrible. Les indépendants ont énormément souffert. La commune a fait des gestes mais nous ne pouvions pas faire plus. Le budget de notre CPAS est aussi en forte augmentation. C’est dans le sud-est de Bruxelles que les gens ont perdu leur emploi. Je ne vois pas encore quelle est la part due au covid et la part structurelle puisque des logements sociaux ont été remis sur le marché, mais 5.000 Boitsfortois ont touché le droit passerelle. Sur une population de 25.000, c’est énorme.
Avez-vous été angoissé parfois?
La seule chose qui m’a angoissé ce sont les enfants. Sinon, quand vous êtes angoissé, vous ne prenez pas les bonnes décisions.
Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
Je crois que c’est passé. Les statistiques sont bonnes, les vaccins sont là. Tant qu’on n’observe pas qu’un variant arrive en étant super contagieux et résistant au vaccin, ça ira. Maintenant, il faut piquer.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?
La méfiance des gens par rapport à la science, aux faits. Bien avant le covid, je connaissais cette phrase : « Expliquer le monde par des complots, cela permet aux cons de se croire intelligents ». Ce n’est pas par le complotisme que j’ai été choqué mais par l’aversion à la science, y compris dans des milieux dits progressistes. Si tu penses qu’il y a réchauffement climatique parce que le GIEC le dit, pourquoi tu penses que l’OMS est une bande d’imbéciles? C’est pourtant la même chose. Si les scientifiques de l’OMS sont à la solde du big pharma, il faut penser aussi que ceux du GIEC sont à la solde des fabricants d’éoliennes. Sinon cela veut dire qu’il y a une cause originelle et elle serait le fait d’être contre le système. Se battre pour la planète, c’est aussi se battre contre le système et c’est chouette tandis que la lutte contre le vaccin, on pense favoriser le système, donc c’est mal. Il y a quand même des faits dans la vie. Il y a une part incertaine dans la médecine ou la biologie, mais quand on a 30.000 Britanniques qui se font vacciner avec AstraZeneca et qui n’ont rien et que statistiquement, on a 600 fois plus de chance d’aller à l’hôpital pour un covid si on n’est pas vacciné, alors on se fait vacciner. La question de la vaccination obligatoire reste à examiner. Il faut protéger l’individu d’éventuelles peurs irrationnelles. Nous devons protéger les autres.
Qu’est-ce qui vous a surpris le plus?
Nous faisons tous partie d’une même boule et nous sommes interconnectés. Il ne faut pas l’oublier.
Qu’est-ce qui vous a choqué?
Le comportement de certains mais ce n’est pas intéressant. Cela ne vaut pas la peine de se retourner.
Qu’est-ce qui vous a manqué le plus?
Les copains! La musique! Jouer tous ensemble!
Qu’est-ce que cela a changé chez vous?
Vive les faits ! Vive la science! Je le pensais déjà, mais c’est la revanche de la raison.
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Vanessa Lhuillier