Vincent De Wolf : “Si les communes n’avaient pas existé, vous auriez vu le désastre”

Vincent De Wolf (MR) est bourgmestre d’Etterbeek depuis 1992. Une crise pareille, jamais il n’avait dû en gérer. Son statut de député-bourgmestre lui a aussi permis de mener certaines batailles comme le contrôle de la quarantaine.

Nous sommes en janvier 2020 et on parle d’un nouveau coronavirus en Chine. Quel est votre état d’esprit?

A ce moment-là, j’ai été con parce que j’ai regardé ça de loin. Je n’ai pas du tout eu la conception de la planète. Je n’y ai pas pensé et je ne suis pas le seul. On devait anticiper. Je me rappelle le premier Belge était rentré et sorti sans mal de l’hôpital Saint-Pierre. Cela avait l’air cohérent de dire que c’était une grosse grippe. Ce n’était pas inquiétant et je pense qu’en Chine, on nous a menti. Par contre, on a fait une erreur de laisser les gens partir à Carnaval. Le 24 février, on avait une école dans le nord de l’Italie et j’ai fait revenir tout le monde. Une semaine après tout était bouché. On aurait dû fermer les frontières dès début février mais c’est facile de le dire après coup.

Comment se passe votre premier confinement?

Je ne suis pas confiné car je crée une réunion de crise tous les jours dès février. Parfois, on se réunit pendant 12h et on prend des décisions tout le temps. L’expérience a aidé. On n’a pas de masque, on ne connaît rien de ce virus. On fait appel aux couturiers pour en confectionner. Et ils ont fabriqué gratuitement 1.000 masques. On les a payés à la deuxième commande. On a aussi pris contact avec les personnes âgées: elles pouvaient cocher ce dont elles avaient besoin sur une liste de denrées. Nos chauffeurs, qui étaient à l’arrêt, allaient jusqu’au supermarché pour chercher les colis de ce public. On a été les premiers aussi à Bruxelles à réquisitionner un hôtel pour les sans-abris, avec l’accord du propriétaire. On a défini le personnel dont il avait besoin et on a tout remboursé à prix coûtant. On a payé une désinfection et un renouvellement de la literie. Maintenant, ces 15 sans-abris sont dans des logements sociaux. Et cela tient. On a aussi mis 300.000 euros sur la table répartis entre les primes pour les commerces, la suppression des taxes… et 100.000 euros pour les hôpitaux publics. D’un point de vue personnel, pendant le confinement, j’ai classé tout ce que j’avais comme matériel de bricolage de mon père qui était ouvrier. J’avais des millions de vis! Le soir et le week-end, comme je ne bougeais pas, je descendais entre 21h et minuit pour travailler dans la cave. Ma femme ne comprenait pas!

Vous êtes la première commune à imposer le port du masque. 

On commande 90.000 masques en tissu par marché public et je réfléchis tout le week-end. Je suis impressionné par une mesure en Allemagne où un collègue a imposé le masque et obtenu une chute vertigineuse des cas. Je me dis alors qu’on ne pourra pas garder les distances avec la réouverture des magasins. Du coup, malgré les réticences de mon staff, je décide le 2 mai de prendre une ordonnance pour le port du masque dans des voiries commerçantes et des lieux précis. J’avais blindé mon arrêté juridiquement.

Vous ne craignez pas d’avoir tort?

Je suis un révolutionnaire doux. Quand je suis convaincu que j’ai raison, je fonce. J’ai cette conviction en moi. J’ai été happé par la presse et c’était polémique mais tous les experts ont suivi. J’ai bien ri quand on a pris la décision du port obligatoire dans tout Bruxelles.

Les homes sont particulièrement touchés à la première vague. Vous trouvez qu’on les a abandonnés?

Les homes sont laissés à l’abandon. Le matériel manque. On n’a rien comme instruction de la Cocom. Le personnel a peur. On a tenu avec 40 masques et des personnes sont mortes étouffées parce qu’on ne les a pas hospitalisées. On a eu des problèmes d’encadrement. On a annulé des congés, réquisitionné du personnel car la continuité des soins était affectée. C’était très dur humainement. Comme dans les hôpitaux, je me souviens, avec mon collègue d’Ixelles, Christos Doulkeridis, on s’est rendu à l’hôpital d’Ixelles-Etterbeek. Les médecins ne pouvaient pas faire d’opérations et j’ai vu des chefs de service demander à des infirmiers urgentistes combien de temps il fallait pour se former comme infirmier urgentiste. Chapeau !

Lorsqu’on déconfine l’été dernier, vous vous dites que c’est terminé?

J’ai cru que ça allait s’éteindre durant l’été. C’est un bouchon qui a sauté pour la population. Je pensais que reconfiner aurait été difficile vu la catastrophe humaine et économique de la première expérience.

Pendant le deuxième confinement, des tensions apparaissent entre les citoyens et la police.

J’ai fait deux nuits avec la police et le taux de respect du couvre-feu était important. Quand on a eu une manifestation contre le port du masque devant le Cinquantenaire, j’ai dit qu’on laissait faire si les gens portaient un masque. Et ils l’ont mis. S’ils ne troublent pas l’ordre public, je m’en fous. Ce qui important, c’est de garder la confiance des habitants.

Vous trouvez que la coordination entre les communes a bien fonctionné?

Tout le monde a fait des erreurs. On n’a jamais été confronté à ça. Tout le monde a appris. A chaque fois que j’ai eu besoin de Rudi Vervoort ou de la haute fonctionnaire, je les ai eus. Avec la conférence des bourgmestres, on s’est réuni. Ça n’a pas toujours été assez anticipé mais Rudi Vervoort connaît la gestion communale. Ça n’a pas si mal fonctionné que ça. Avoir fait directement après un Cores (Conseil régional de sécurité) après chaque Codeco (Comité de concertation), c’était une bonne manière de faire. Je pense que tout ça a rapproché le citoyen des communes. C’est l’instrument le plus crédible et le plus accessible. Aucune commune n’a rien fait. Je crois que les citoyens l’ont bien compris. Si les communes n’avaient pas existé, vous auriez vu le désastre! Ce sont les communes qui ont déposé les masques, qui ont répondu aux appels, qui ont mis en place l’aide d’urgence. La Cocom, le week-end et le soir, c’est fermé.

Vous êtes tout de même plusieurs fois rentré en conflit avec le ministre de la Santé, Alain Maron.

On n’a pas assez écouté le terrain. J’avais tout prévu pour la vaccination et on n’a pas voulu nous donner les vaccins. Ça m’énerve. C’est de l’ego mal placé. Moi Cocom, je vais faire mieux. Je n’ai pas non plus compris le débat sur la quarantaine. On n’a pas reçu un seul cas de quarantaine à vérifier. C’est lamentable et criminel. Cela ne sert à rien. Le contrôle du testing par la police, cela fonctionne. Les personnes qui n’avaient pas fait le testing l’ont fait. On a touché 90% des personnes mais sur la quarantaine on n’a rien. Si vous ne restez pas chez vous, cela ne sert à rien. Mais à la Cocom, on veut faire confiance aux gens. C’est la seule Région où ce n’est pas la police qui peut intervenir en cas de non-respect de la quarantaine. C’est totalement injustifiable. Les trois-quarts des bourgmestres sont dans la majorité régionale et sont emmerdés. D’autres disent que j’ai raison. Moi je vais jusqu’au bout donc je mets en demeure, j’envoie un huissier. J’utilise les moyens légaux mis à ma disposition. L’histoire du cluster au collège Saint-Michel est lamentable aussi. On met du personnel à disposition de l’école, on organise tout pour tester tous les élèves du secondaire et puis Maron dit “non” la veille. Je ne regrette rien. Il faudrait refédéraliser la santé publique.

Vous avez été parfois dur, notamment début mai lors de l’opération Still standing for culture au théâtre 210. Vous êtes le seul à avoir envoyé la police.

On a dû exécuter les règles. Je n’ai pas été le seul à réagir. Cela s’est fait dans une majorité de communes. La police est intervenue mais il n’y a que deux théâtres qui se sont révoltés : le 210 et le Nova. On a fait de la prévention. On a contacté les gens. Comme bourgmestre, on doit prêter serment et on est fonctionnaire fédéral. Quand je reçois un arrêté qui dit qu’au-delà de x personnes ce n’est pas autorisé, je fais quoi ? Je me mets la tête dans le sable ? Non. Je comprends leur réaction mais je ne pouvais pas faire autrement.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?

J’ai une terreur. Alors que je pense qu’on est près de tuer le virus, j’ai peur qu’il revienne avec des variants qui résistent au vaccin. Si on doit refaire tout ça, limiter, surveiller, confiner, fermer, je ne sais pas comment on va gérer. Je ne sais pas si les gens vont être d’accord. S’ils disent non, on fait quoi ? Ça serait dramatique à tous les égards. Je ne veux pas croire ça. Le danger est que tant que le virus existe de part le monde, cela va être dangereux. On a un devoir mondial de distribuer les vaccins le plus vite possible partout dans le monde. Le vaccin doit devenir majoritaire pour que cette saloperie arrête de voyager.

Vous avez eu peur parfois?

Je n’ai pas eu peur. Je suis un drôle de bonhomme pour ça. Je suis un angoissé, j’essaie d’anticiper, mon esprit n’est jamais au repos mais je n’ai jamais peur. Tant que j’agis, je n’ai pas peur. Je suis dans l’action et j’ai l’impression de contrôler. Si sur dix décisions, j’en prends deux mauvaises, ça fait encore une grande distinction!

Qu’est-ce qui vous a surpris?

Ce qui m’a surpris, c’est la collaboration volontaire de beaucoup de personnes. Les gens sont bons. Les volontaires qui ont aidé à fabriquer des masques, les chauffeurs communaux qui ont apporté les courses, les gens des homes, des hôpitaux, les réunions de crise… Il y a beaucoup de belles choses qui se sont faites et sans cela, on ne s’en serait pas sorti. On ne se rend pas compte que les gens ont sauvé des vies avec des réflexes sanitaires de base. J’étais très ému. J’ai applaudi à 20h tous les soirs avec ma femme. Ces gestes sont sincères mais que vont-ils devenir après ? On doit tirer la leçon de ceci. Il y a eu des actes héroïques et des lamentables aussi. Et puis, j’ai eu un appel du Roi le 4 février. On a discuté un moment et il voulait vraiment comprendre comment cela se passait sur le terrain. C’était très sympathique.

Qu’est-ce qui vous a choqué?

La collaboration avec la Cocom et le jeu institutionnel antagoniste. Je trouve ça grave. On a l’obligation morale de collaborer. Le contrôle des quarantaines, c’est pour moi une faute politique. Et puis, il y a aussi les familles de trois membres du personnel des maisons de repos qui ont changé les serrures de peur d’être contaminées par le covid. On a dû leur payer des chambres d’hôtel. Ou le cas de ces fonctionnaires, qui se sont faussement mis en maladie. Mon père qui était prisonnier de guerre me racontait ces gestes.

Qu’est-ce qui a changé chez vous?

Je pense que je suis devenu plus humain. Je crois qu’on s’arrondit au sens propre comme au figuré en avançant en âge. Au fil du temps, on se rend compte que la vie n’est pas aussi simple, que quand les gens déconnent, il y a des raisons. J’ai aussi pris conscience de la fragilité de la vie et de la relativité des choses.

 

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Vanessa Lhuillier

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05 juillet 2021 - 17h00
Modifié le 07 juillet 2021 - 11h54