Une marche blanche également pour Loubna Benaïssa
Le 20 octobre 1996, la famille de Loubna Benaïssa avait été invitée par les parents des victimes de Marc Dutroux pour marcher à leurs côtés dans les rues de Bruxelles. La petite Loubna, 9 ans, avait disparu le 9 août 1992. Lors de la Marche blanche, elle n’avait toujours pas été retrouvée.
Le drame est survenu le 5 août 1992. Loubna Benaïssa est âgée de 9 ans. Elle habite à Ixelles, rue Gray. Elle rentre des courses avec sa mère et sa sœur Nabela. Sa mère s’aperçoit qu’elle a oublié du yaourt et demande à Loubna de retourner le chercher au supermarché de la rue Goffart. Elle passe devant une station service Q8 située au croisement de la rue Wéry et de l’avenue de la Couronne. Jamais elle ne rentrera chez elle.
Lorsque la famille d’origine marocaine se rend au commissariat pour signaler la disparition, les agents prennent la déposition mais ne lance pas d’enquête. Plus tard, Nabela Benaïssa dira qu’elle a eu l’impression qu’elle signalait un vol de portefeuille.
Pourtant, sur le chemin emprunté par Loubna, deux pédophiles sont enregistrés et connus des services de police. Elle les interrogera. Le premier est innocenté car il se trouve en Algérie au moment de l’enlèvement. Le second, Patrick Derochette dit s’être rendu à un déjeuner avec son frère de 11h30 à 13h30. L’alibi suffit aux policiers et n’est pas vérifié.
Pourtant, Patrick Derochette qui est le fils du propriétaire de la station-service, a été condamné pour trois attentats à la pudeur et viols sur des garçons de 9 à 13 ans entre 1982 et 1984. Il passera en correctionnelle et le tribunal le condamne à l’internement. Malgré les rapports des experts, 50 jours plus tard, il sort.
Des manquements dans l’enquête
Pour retrouver Loubna, des chiens pisteurs sont demandés mais 16 jours après le signalement de la disparition, leurs maîtres étant en vacances. Ils ne seront finalement pas utilisés. Aucun juge d’instruction n’est désigné. Les parents sont laissés seuls avec leurs questions.
Jusqu’au jour où l’affaire Dutroux éclate. Les parents de plusieurs enfants victimes de violences sexuelles se regroupent. La famille de Loubna marche aux côtés des Lejeune, Russo, Marchal et Lambrecks. Cela fait quatre ans que Loubna a disparu. L’affaire s’enlise. Un appel est lancé durant la Marche blanche. Il sera entendu par Michel Bourlet, procureur du Roi à Neufchâteau.
Michel Bourlet a mis à jour la cachette de Marc Dutroux et il lancera une cellule “Loubna Benaïssa” dirigée par la gendarmerie bruxelloise. Les gendarmes font le travail qui n’a jamais été effectué précédemment. Ils s’aperçoivent que l’alibi de Patrick Derochette ne tient pas. Son déjeuner avec son frère s’est terminé à 12h30, le moment où Loubna passait devant la station-service.
Dans la nuit du mercredi 5, des gendarmes fouillent une imprimerie désaffectée et une polyclinique, la station ayant été déjà fouillée par la police en 1992. Cette fois, un chien est utilisé. Les hommes retournent quand même à la station-service. Le chien trouvera une malle métallique avec un corps d’enfant.
Rapidement, la gendarmerie identifie Loubna Benaïssa et confirme qu’elle a subi des violences sexuelles. Patrick Derochette a 33 ans. Il est conduit à Neufchâteau.
Michel Nihoul est également inculpé pour l’enlèvement de Loubna Benaïssa mais un non-lieux sera prononcé. Patrick Derochette a agi seul mais n’est pas jugé par la justice. L’expertise psychiatrique le reconnaît irresponsable de ses actes. Il est interné en août 1999 dans un établissement près de Tournai. Il y décède en décembre 2016 à l’âge de 52 ans.
Les suites
Benoît Dejemeppe est procureur du Roi à Bruxelles lors de la disparition de la petite fille. Le rapport de la commission parlementaire Dutroux estime que Benoît Dejemeppe « ne satisfait pas aux conditions requises pour conduire son parquet”. Pendant trois ans, une procédure disciplinaire sera menée contre lui. Benoît Dejemeppe ne démissionne pas et est soutenu par certains magistrats. Il est acquitté en novembre 2000 mais des fautes sont tout de même constatées.
Le fonctionnement de la police ixelloise a aussi été remis en question. A l’époque, pour rentrer dans la police locale, il suffisait de passer un examen devant un jury composé de quelques commissaires, du bourgmestres et de conseillers communaux. Ils vérifiaient les aptitudes en sport, l’obtention du diplôme de secondaires inférieures et les connaissances en néerlandais. “Je me souviens que la police allait souvent faire le plein à cette station-service, raconte Yves de Jonghe d’Ardoy, bourgmestre d’Ixelles en 1997. Le fils Derochette était un peu simplet et rigolait avec les policiers. Ils n’imaginaient pas qu’il puisse être l’auteur de l’enlèvement. Les policiers étaient allés frappés à toutes les portes des voisins pour voir si Loubna n’était pas chez eux mais ils n’ont jamais eu de mandat de perquisition. “
Un soulèvement populaire
Quand le corps de la fillette a été découvert, plusieurs manifestations ont eu lieu dans les rues ixelloises et la tension était palpable. La population remettait en cause les enquêteurs.
Charles Picqué était ministre-président de la Région bruxelloise lors des faits. Pour lui aussi, le choc fut grand. “C’était l’horreur. J’en avais la nausée. Et rapidement, on s’est demandé s’il y avait un lien avec l’affaire Dutroux. Ce n’était pas le cas mais nous nous sommes posés beaucoup de questions, notamment sur les manquements de l’enquête. Très vite s’est imposée la nécessité de réformer les polices avec des moyens supplémentaires. C’était une responsabilité collective à porter.”
L’ancien bourgmestre d’Ixelles se souvient s’être rendu à Tanger pour les funérailles de Loubna. “Des milliers de personnes ont assisté aux funérailles. La veille, j’ai mangé avec la famille Benaïssa qui était très sereine. J’avais une escorte policière car beaucoup de personnes voulaient se venger et comme j’étais le chef de la police, j’étais responsable. Le jour de l’enterrement, le père Benaïssa me tenait le bras en tête de cortège. C’était une leçon de dignité.”
Un lieu de mémoire
La famille Derochette a dû changer de nom et a terminé ses jours dans un logement du CPAS d’Ixelles. Loubna repose en paix à Tanger. Sa famille est retournée au Maroc. Sa soeur, Nabela a fait des études de droits et vit aux Etats-Unis.
La pompe à essence a été rachetée par la commune en 2001 pour un franc symbolique. Elle a été détruite. Aucune plaque commémorative n’a été installée. A la place a été planté un arbre et une fresque recouvre les murs des maisons.
Vanessa Lhuillier – Photo: BX1