Seconde Guerre mondiale : la SNCB a reçu “quasi à coup sûr” des fonds allemands pour déporter des Juifs
La SNCB a “quasi à coup sûr” reçu des paiements allemands pour la déportation de Juifs, de Tsiganes, de résistants et de travailleurs forcés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Telle est la conclusion d’un rapport d’enquête sur le rôle de la SNCB dans les convois ferroviaires de déportation, présenté vendredi au Sénat par Nico Wouters, chef du Centre d’études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines au CegeSoma – Archives de l’État.
Entre 1942 et 1944, le SNCB déporta plus de 25.000 Juifs et Tsiganes. A partir du 4 août 1942, pas moins de 28 convois ont ainsi quitté Malines pour Auschwitz, avec 25.843 Juifs et Tsiganes à bord. Seulement 1.195 en reviendront vivants.
► VOIR AUSSI | Le 8 mai, bientôt un jour férié à Bruxelles : une coalition souhaite un congé dans toute la Belgique
Et pendant l’occupation allemande, elle a reçu plus de 50 millions de francs belges de la part de l’Allemagne, révèle cette étude sur base d’un relevé des paiements du Mitteleuropäische Reiseburo allemand (MER) à Bruxelles et Berlin aux chemins de fer belges. “Il ne fait en effet aucun doute que ces versements ont permis, entre autres, de rembourser les trains de déportation“, a expliqué M. Wouters.
La majorité des déportations ont eu lieu avec des trains dits Sonderzüge (“spéciaux”), qui circulaient en dehors des horaires réguliers. Les machinistes, les chargeurs de charbon et les conducteurs de train belges effectuaient les voyages sous un contrôle armé allemand strict.
Résultat d’une soumission
Le rapport indique qu’aucune décision formelle n’a été prise au sein même de la SNCB. Il ajoute cependant que, selon les sources analysées, il n’y a pratiquement eu aucune protestation du personnel contre ces déportations. Les instructions allemandes stipulaient que seul du personnel belge “absolument fiable” pouvait être utilisé pour les déportations.
Cette participation est, selon l’étude, le résultat d’une soumission tacite à la pression et au contrôle allemand. Selon Nico Wouters, le fait que le conseil d’administration décide en juin 1940, un mois après l’invasion allemande, de relancer la SNCB et de collaborer avec les forces d’occupation était une décision jugée inévitable en vue d’assurer l’approvisionnement de la Belgique, en application de la doctrine “du moindre mal” alors appliquée en Belgique, dite “doctrine Galopin“. Le conseil de direction a lui-même admis que l’entreprise ferroviaire se trouvait dans l'”impossibilité factuelle de refuser“.
► VOIR AUSSI | En Immersion – Des élèves bruxellois à Auschwitz : et devenir… passeurs de mémoire
Le rapport note aussi que les chemins de fer belges ont rapidement effectué des transports à caractère militaire pour les forces d’occupation. Un processus d’augmentation et de normalisation de la pratique s’est ensuite installé. Par exemple, du matériel allemand a été réparé dans des ateliers belges en juin 1941, après les premières défaites allemandes face à l’Union soviétique.
Selon le rapport, l’entreprise ferroviaire considérait ces “services rendus” aux forces d’occupation comme un prix nécessaire au maintien des transports et de l’approvisionnement alimentaire de la Belgique. “Pour la SNCB, les trains de déportation ne représentaient qu’une petite partie de ces ‘services’ beaucoup plus vastes“, explique Nico Wouters. “Lorsque les trains de déportation sont introduits en 1941 et que cela s’intensifie en 1942, ils ne sont pas perçus comme quelque chose de nouveau : il s’agit simplement d’une continuation de ce qui a été accepté depuis longtemps.”
“C’est une découverte choquante”
Le chercheur ne s’est pas prononcé d’un point de vue politique, juridique ou encore moral, notamment sur la question de l’indemnisation des familles des victimes.
La réalisation de cette recherche a été cofinancée par le Sénat et par le ministre fédéral de la Mobilité Georges Gilkinet. “Par respect pour les victimes des déportations et leurs descendants, je vais proposer la constitution d’un groupe de sages, qui pourrait se réunir dans l’enceinte du Sénat et qui serait chargé dans l’année qui vient de réfléchir à la forme que cette suite pourrait prendre“, a réagi le ministre par voie de communiqué.
“Nous ne pouvons pas minimiser l’importance de cette étude“, a réagi la présidente du Sénat Stephanie D’Hose. “Pour la première fois, nous avons un aperçu détaillé du rôle que la Belgique, via la SNCB, a joué dans le transport de personnes vers les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce rôle s’avère important et c’est une découverte choquante. Au sein du Sénat, nous travaillons déjà à l’organisation d’un colloque afin que ces découvertes puissent être largement discutées et ne se perdent pas.”
La SNCB réagit
“La SNCB a depuis toujours pleinement souscrit à ce que toute la lumière puisse être faite sur le rôle des chemins de fer belges de l’époque dans les déportations“, a réagi la compagnie ferroviaire.
“Dans ce contexte, elle a donné accès à l’ensemble de ses archives. La SNCB avait déjà contribué à une étude antérieure, ‘Belgique docile’, également diligentée par le Sénat auprès du même Centre d’études et portant sur le rôle des autorités publiques belges durant l’occupation. Sur le rôle joué par les chemins de fer belges de l’époque dans le cadre de la déportation, il était essentiel qu’une étude complémentaire soit menée afin que la lumière puisse être faite, pour le respect et le devoir de mémoire. Dans ce cadre, une partie du musée de la SNCB, Train World, est consacrée à ce devoir de mémoire. La SNCB et Infrabel vont maintenant prendre connaissance de l’étude et des suites qui y seront données“, ajoutent les deux entreprises.
Belga – Photo : Wiktor Wozniak