Rentrée judiciaire : le procureur général de Bruxelles demande de “lutter plus efficacement contre l’espionnage”
Le procureur général de Bruxelles, Johan Delmulle, a évoqué lundi après-midi, lors de l’audience solennelle de rentrée judiciaire de la cour d’appel de Bruxelles, l’importance de sanctionner efficacement les activités d’espionnage. Pour le magistrat, il ne s’agit pas d’un phénomène du passé et il est primordial de le combattre, aujourd’hui encore, par une interprétation plus contemporaine du code pénal.
Johan Delmulle a également plaidé en faveur de plus d’autonomie du parquet général dans les dossiers d’extradition de combattants djihadistes. L’espionnage en Belgique et à Bruxelles n’est pas quelque-chose de virtuel, c’est une réalité bien présente, comme en attestent plusieurs cas et notamment celui de balises retrouvées sous le véhicule loué par l’ancien président indépendantiste catalan Carles Puigdemont en Belgique. Or, notre arsenal juridique pour poursuivre les crimes d’espionnage est obsolète, a affirmé le procureur général près la Cour d’appel et la Cour du travail de Bruxelles.
Le magistrat a évoqué des cas récents qui montrent que l’accusation doit, pour réclamer une condamnation, se baser sur des articles du code pénal qui n’ont pas été spécialement édictés pour lutter contre l’espionnage. Ainsi, par exemple, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné en avril dernier un ancien consul belge à Casablanca qui, sous couverture diplomatique, avait fourni des renseignements et des documents officiels belges à des agents secrets russes. En langage juridique, cet acte a été sanctionné en termes de faux, usage de faux, corruption et association de malfaiteurs. Le prévenu a également été condamné sur base de l’article 118 du Code pénal, soit “avoir sciemment communiqué à une puissance étrangère, des objets, plans, écrits, documents ou renseignements, dont le secret intéresse la défense du territoire ou la sûreté extérieure de l’État, avec la circonstance que les faits ont été commis par esprit de lucre”. Si le tribunal n’avait pas retenu le but de lucre, l’affaire aurait pu être considérée comme un délit politique et dès lors renvoyée devant la cour d’assises, a rappelé le procureur général dans sa mercuriale.
“La prémisse selon laquelle les crimes d’espionnage sont des crimes politiques, devant donc être portés devant la cour d’assises, est dépassée. Il est temps de donner aux articles pertinents de la loi de notre Code pénal une interprétation plus contemporaine. La réforme prévue du Code pénal est une bonne occasion pour cela”, a-t-il souligné.
Le cas des anciens combattants en Syrie ou en Irak
Johan Delmulle a également évoqué les procédures d’extradition de personnes ayant combattu en Syrie ou en Irak au sein du groupe djihadiste État islamique (EI).
“Les autorités politiques seront confrontées à la question de savoir quoi faire des hommes et femmes belges et de leurs enfants qui ont rejoint les rangs de Daesh en tant que combattants terroristes étrangers et qui souhaitent revenir en Belgique. […] Une fois que la personne en question aura été localisée, le ministère public transmettra-t-il automatiquement la demande d’extradition au ministre de la justice pour qu’elle soit exécutée et transmise à l’autre pays ? Ou bien le ministère public a-t-il lui aussi une obligation d’appréciation et devrait-il décider, le cas échéant, d’abandonner l’extradition ? Je pense que le ministère public doit en effet assumer une responsabilité qui dépasse le simple dossier judiciaire. La mise en œuvre d’un mandat d’arrêt international délivré par un juge d’instruction belge ou en exécution d’un jugement devrait se faire après l’évaluation par les autorités compétentes de la faisabilité juridique et pratique et du risque pour la sécurité publique belge”, a affirmé le procureur général.
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“Une raison de ne pas poursuivre l’extradition peut ainsi être que la personne se trouve dans un camp en Syrie sous l’autorité des Forces démocratiques syriennes que la Belgique ne reconnaît pas comme une autorité. Ou le fait que la Belgique n’a pas de relations diplomatiques avec la Syrie et qu’il n’y a pas de traité d’extradition avec ce pays. Cependant, le ministère public doit également s’abstenir de transmettre les documents d’extradition au ministre de la Justice si l’évaluation révèle qu’un retour, même sous couvert d’une procédure d’extradition contrôlée, constitue en définitive une menace pour la sécurité publique. Par exemple, lorsqu’il existe des informations selon lesquelles un combattant terroriste étranger belge aurait l’intention, une fois de retour et une fois libéré par le juge d’instruction ou après avoir purgé sa peine, de commettre une attaque en Belgique ou de poursuivre ses activités terroristes”, a déclaré le magistrat.
“La situation de la cour d’assises de Bruxelles reste préoccupante”
Johan Delmulle a brièvement évoqué, dans son discours de rentrée judiciaire, les statistiques de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles et de Hal-Vilvorde. Il s’est dit particulièrement inquiet de l’état actuel de la cour d’assises de Bruxelles. “La fin de la correctionnalisation généralisée des crimes réactive la saisine des cours d’assises pour les crimes non correctionnalisables. Vu la situation particulièrement difficile que connaît la cour d’appel de Bruxelles en ce qui concerne l’occupation des cadres, la nécessité de prévoir de nombreuses nouvelles sessions d’assises pose de sérieuses difficultés. A cette situation de pénurie de conseillers s’ajoute la fixation prochaine de dossiers liés au terrorisme, dossiers qui prendront de longs développements”, a-t-il dit.
“Malgré mes interventions répétées auprès de monsieur le premier président de la cour d’appel et les efforts de celui-ci afin de trouver une solution, je ne peux que constater, qu’à l’heure actuelle, le manque de conseillers pouvant assurer une présidence de session d’assises entraîne un allongement inquiétant des délais de fixation, en ce compris dans les dossiers concernant des accusés en détention préventive. Je ne peux dès lors que déplorer qu’aucune session d’assises n’ait pu être fixée entre les mois d’octobre et janvier 2019 alors que plusieurs dossiers sont en ordre utile afin d’être jugés”, a indiqué le magistrat.
Il a confirmé que deux dossiers, dont celui de l’attentat au Musée juif de Bruxelles, sont prévus entre janvier et mars prochains seulement, et que cinq autres dossiers attendent d’être fixés devant la cour.
Johan Delmulle a enfin déploré les dysfonctionnements au sein du corps de sécurité du palais de justice de Bruxelles. Et il a rappelé que le Collège du ministère public a refusé de signer, en juillet dernier, la convention qui prévoit la suppression des cadres légaux des magistrats et du personnel judiciaire dans la loi. “Le Collège estime qu’une telle suppression ne sera acceptable que lorsque […] l’autonomie de gestion […] aura fait preuve d’un bon fonctionnement dans tous ses aspects. Cette autonomie de gestion doit être basée […] sur un budget suffisant qui garantisse que le ministère public puisse réaliser toutes ses missions légales […]. Ces moyens budgétaires ne semblent pas être disponibles”, a-t-il affirmé. (avec Belga – Photo : Belga/Dirk Waem)
■ Images et interview de Jean-Michel Herbint et Yannick Vangansbeeck.