Profilage ethnique au sein de la police, Amnesty International attaque la Belgique

Amnesty International attaque la Belgique pour profilage ethnique au sein de la police - bX1

 Les policiers belges font du profilage ethnique, c’est le constat que pose Amnesty International dans son dernier rapport. Le profilage ethnique est une méthode qui consiste à recourir à des critères tels que la race ou l’origine nationale ou ethnique pour justifier des contrôles en l’absence de motifs objectifs ou raisonnables. Une méthode interdite par la loi belge.

Je fais du profilage ethnique, c’est vrai, mais je ne vois pas comment je pourrais faire mon travail autrement. Sans discriminer, nous ne pourrions jamais arrêter personne.” Ces derniers mois, Amnesty International a interrogé 48 fonctionnaires de police du pays sur les pratiques discriminatoires lors des contrôles d’identité. Les agents manquent d’outils pour éviter le profilage ethnique, déplore l’ONG de défense des droits humains dans un rapport publié mercredi.

L’organisation a interrogé 48 policiers (hauts responsables et agents de terrain) des zones de Bruxelles Capitale-Ixelles, Bruxelles-Nord, Bruxelles-Midi, Charleroi, Liège, Ottignies-Louvain-la-Neuve, Anvers, Genk et Malines-Willebroek entre juin et janvier dernier. L’organisation s’est également entretenue avec 20 personnes issues d’une minorité ethnique ainsi qu’avec des membres du cabinet du ministre de l’Intérieur, de la police fédérale, du Comité P ou encore d’Unia.

La moitié des policiers admettent un problème

La moitié des policiers a admis un problème de profilage ethnique et la même proportion a décrit des pratiques douteuses. Si les agents savent que tout contrôle doit reposer sur un motif légitime, ils manquent de directives claires si bien qu’ils interprètent la loi de manière très large et se fient surtout à leur intuition. Mais ces intuitions sont souvent liées à des stéréotypes, que les agents contribuent consciemment ou non à perpétuer, regrettent les auteurs de l’étude.

Il faut savoir qu’en Belgique, il n’existe pas de statistiques sur le nombre de contrôles d’identité effectués, leurs raisons, leurs résultats et le profil des personnes visées.

Si on passe dans une rue commerciale et qu’on voit une vieille dame de 80 ans faire du lèche-vitrine, on ne va pas y prêter attention. Si c’est un Marocain de 17 ans qui porte une casquette et qui a l’air nerveux, on va le contrôler. Peut-être qu’il a rendez-vous avec sa copine et que ça le stresse, ou alors il se prépare à braquer le magasin“, a par exemple confié un inspecteur.

Des contrôles qui peuvent entrainer un sentiment des stigmatisation. “Une fois, d’accord, mais si on t’arrête toutes les semaines pour un ‘contrôle de routine’, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas, non?“, a ainsi raconté un jeune d’origine marocaine. “Inconsciemment, j’ai commencé à me comporter de manière suspecte. Quand je vois des agents, je détourne la tête, surtout à la gare, je regarde par terre, je ne passe pas à côté d’eux. Du coup, j’ai l’air plus suspect alors que je recherchais l’effet inverse“, a observé un autre.

Les policiers pas assez préparés

Trois zones de police (Malines-Willebroek, Bruxelles-Nord et Anvers) mettent actuellement en place une stratégie de lutte contre le profilage ethnique. Mais globalement, les formations et la supervision des fonctionnaires de police restent insuffisantes pour prévenir ce phénomène, estime l’ONG.

Amnesty International demande à la police et aux autorités belges de reconnaître l’ampleur du problème. Les policiers disposent d’une marge de manoeuvre discrétionnaire, et il est “compréhensible” qu’ils soient alertés par des situations comparables à des expériences passées. Mais “il est nécessaire, avant d’agir par intuition, de réfléchir de manière critique pour déterminer si un motif raisonnable invite à penser que quelque chose ne va pas, ou si le fonctionnaire a un comportement discriminatoire basé sur l’apparence physique. Pour ce faire, les fonctionnaires de police doivent être entraînés à réfléchir de manière critique et à juger leur propre jugement“, recommande l’association.

Celle-ci prône aussi l’enregistrement systématique des données sur les contrôles d’identité ainsi que l’élaboration de directives claires sur les motifs légitimes de ces contrôles.

Jan Jambon : le profilage ethnique n’est jamais une option

Jamais un ministre de l’Intérieur n’a fait autant d’effort pour lutter contre le profilage ethnique“, estime le porte-parole de Jan Jambon, Olivier Van Raemdonck. Les dangers de ce type d’intervention sont abordés lors des formations et plusieurs initiatives ont été prises ces dernières années. Ainsi, les agents de l’aéroport de Zaventem sont formés depuis 2014 au profilage prédictif (ou “behaviour detection”), une technique qui vise à détecter des situations suspectes sur la base d’indicateurs objectifs, souligne M. Van Raemdonck.

Le ministre a assuré à l’ONG que le profilage ethnique n’est jamais une option. Il s’oppose cependant à l’enregistrement systématique des données sur les contrôles d’identité, que l’organisation de défense des droits humains recommande notamment pour éviter que des formes de discrimination restent invisibles. Pour le ministre de l’Intérieur, il faut maintenir une relation de confiance avec les policiers. “Si des fautes sont commises, nous comptons sur le contrôle social interne pour corriger la situation et alerter si nécessaire. Un enregistrement des données pourrait avoir comme effet pervers d’entraver le travail des policiers parce qu’ils se méfieraient de l’administration“, d’après son porte-parole.

“Les propos d’Amnesty sont exagérés”

Les policiers belges sont bien formés pour éviter tout profilage ethnique, réagit mercredi matin Vincent Gilles, président national du SLFP Police, suite au rapport d’Amnesty International.  Pour Vincent Gilles, le profilage ethnique par les policiers n’existe pas. “L’agent analyse la situation et les individus auxquels il est confronté et ne se base pas sur des éléments subjectifs et orientés”, souligne le président du SLFP Police. “Tout contrôle doit pouvoir être justifié donc contrôler une personne juste parce qu’elle est d’origine marocaine, ce n’est pas possible.” Pour le syndicaliste, “il faut garder les pieds sur terre” et les “propos d’Amnesty International sont exagérés”. D’autant plus que le résultat de 48 interviews ne peut être considéré comme scientifique, estime M. Gilles. “Nous dénonçons tout abus de pouvoir et la multiculturalité est un des éléments essentiels de la formation des policiers mais en ces temps de terrorisme islamiste, il est normal qu’on ne se dirige pas vers des Suédois”, s’exclame-t-il.

Pour Stéphane Deldicque, vice-président de la CSC Services publics, “on ne peut nier qu’une telle problématique existe” mais il faut la remettre dans un contexte plus général. Un profilage ethnique peut être constaté “mais cela reste marginal”, souligne M. Deldicque. “Je ne veux pas minimiser le phénomène mais il ne faut pas prêter une intention malveillante à tous les policiers qui, en toute conscience, contrôleraient en fonction de l’origine ethnique”, insiste le syndicaliste. “Il existe des règles mais il est vrai que la réalité du terrain” peut être différente, nuance le vice-président de la CSC Services publics.

Pour Stéphane Deldicque, les policiers sont bien formés pour éviter cet écueil mais “il faut rester vigilant et attentif”. Il lance un appel au ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, pour qu’il rencontre le Comité permanent de police locale afin d’examiner “s’il serait intéressant d’établir un plan d’action” pour lutter contre ce phénomène, par le biais de sensibilisation ou de campagnes internes par exemple. “Il faut garantir l’image d’impartialité de la police”, conclut-il.

Avec Belga