Procès des attentats de Bruxelles : place aux explications des experts

Après presque quatre semaines de témoignages de victimes des attentats à Zaventem et Maelbeek, ce sont des témoins de contexte qui seront entendus jeudi par la cour d’assises de Bruxelles. Un dernier moment sera consacré aux récits des victimes lundi prochain avant le début de l’interrogatoire croisé des accusés.

La cour entend ce jeudi des membres du RCCU (Regional Computer Crime Units) ainsi qu’un professeur en géopolitique qui reviendra sur la situation en Syrie. Il était également prévu qu’un islamologue de la police vienne ajouter sa pierre au procès, mais son témoignage a une nouvelle fois été postposé. L’après-midi, il sera question de radicalisation. Deux criminologues, de l’UCLouvain et de l’ULB, aborderont la question sur l’angle de la criminologie, tandis qu’un psychiatre viendra ensuite compléter le tableau avec l’aspect psychologique.

Dix hommes sont accusés dans le procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles. Oussama Atar, qui serait mort en Syrie, fait défaut. Huit autres – Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa, Ali El Haddad Asufi et Smail Farisi – sont accusés de participation aux activités d’un groupe terroriste, d’assassinats terroristes sur 32 personnes et de tentatives d’assassinat terroriste sur 695 personnes. Le neuvième, Ibrahim Farisi, ne doit répondre que de participation aux activités d’un groupe terroriste.

Rappel des faits, profils des inculpés, témoignages des victimes : notre dossier sur les attentats de Bruxelles


12h49 – La propagande de l’EI a attiré des volontaires étrangers aux profils divers

À partir de 2014, l’État islamique (EI) commence à s’étendre à travers le monde à la faveur d’un changement de sa propagande, a exposé jeudi Thomas Pierret, professeur spécialiste de l’islam sunnite et de la Syrie. Le chercheur s’exprimait en tant que témoin devant la cour d’assises de Bruxelles, au procès des attentats du 22 mars 2016.

Après la prise de Mossoul en Irak, et le rétablissement du califat (l’autorité politique et religieuse censée s’appliquer à l’ensemble des musulmans, NDLR) en juin 2014, l’État islamique opère un changement dans sa stratégie de communication et de recrutement, a expliqué le chercheur. Si, auparavant, les volontaires étrangers étaient principalement des hommes décidés à en découdre dans des zones de conflit, comme en Afghanistan ou en Tchétchénie ; des recrues aux profils très diversifiés vont être attirées par l’État islamique. “Des femmes, des familles avec enfants, des personnes âgées” adhèrent alors au projet de l’État islamique. “L’organisation veut construire un état, une société islamique idéale, une société qui assure le bien-être moral et matériel de ses membres ici et maintenant”, a souligné Thomas Pierret. “Jusque-là, la propagande était presque toujours axée sur la notion de souffrance et la faiblesse des populations musulmanes, en raison des occupations étrangères, des oppresseurs“.

À partir de 2014, l’État islamique change de stratégie et met l’accent sur “la force et la fierté de ces populations après des années d’oppression“, en invitant les candidats au djihad à offrir “du sang, de la peine, des larmes et de la sueur”, a déclaré le professeur, paraphrasant Winston Churchill. “Il y avait une volonté très forte de projeter l’image d’un état fonctionnel“. L’année 2014 coïncide d’ailleurs avec le pic des arrivées de jeunes Européens en Syrie, a-t-il souligné. Plusieurs accusés au procès des attentats de Bruxelles y ont ainsi séjourné.


19h16 – “Les dégâts collatéraux en Syrie n’incitent pas à la compassion pour les victimes”

Les frappes de la Coalition internationale en Irak et en Syrie visant l’État islamique (EI) à partir de 2014 ont fait de nombreuses victimes “collatérales”, a rappelé Fabienne Brion, professeur de criminologie à l’UCLouvain, jeudi après-midi devant la cour d’assises de Bruxelles. Un nombre qui n’a pas incité à beaucoup de compassion de la part des personnes concernées pour les victimes de terrorisme en Occident, a-t-elle souligné.

Fabienne Brion a commencé son exposé en exprimant ses craintes de choquer les victimes des attentats de Bruxelles. Elle a précisé que le travail universitaire consistait à prendre de la distance et que son objectif n’était pas de blesser. La criminologue a d’abord expliqué à la cour que les attentats-suicides à travers l’histoire et le monde sont le plus souvent liés à des conflits dans lesquels il y a une intervention militaire. “On retrouve cette configuration dans 95% des cas. Il ne s’agit pas nécessairement de mouvements religieux”, a-t-elle indiqué.

L’organisation État islamique a revendiqué en tout 113 attentats commis hors de la zone Syrie-Irak, dont les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles sur lesquels la cour d’assises se concentre. 108 de ces attaques visaient des pays membres de la Coalition internationale et ont été commises après le début des frappes internationales contre l’EI. Cinq attentats font donc exception, parmi lesquels celui du musée juif de Belgique le 24 mai 2014. “La logique stratégique (dans le chef de l’EI, NDLR) est de faire pression sur un État démocratique pour qu’il interrompe une intervention militaire“, selon elle. Les personnes qui commettent ces attaques peuvent être expressément redéployées en Belgique ou elles peuvent être des “loups solitaires“. “Quel que soit le modus operandi, il s’agit de faire pression pour atteindre un objectif politique.

Plus tard dans son exposé, la professeure a été interrogée sur l’éventuelle compassion qu’ont ressentie ou non les personnes parties en Syrie pour les victimes d’attentats en Occident. “Bien sûr, il a pu y avoir une prise de conscience, que ce soit sur place ou ici.” Elle a ensuite souhaité mettre en perspective les attentats terroristes en Europe avec le “nombre de frappes qu’il y a eu en Syrie-Irak et le nombre de morts qu’elles ont fait.” Ces frappes sur place, dont les victimes sont souvent qualifiées de “victimes collatérales’, n’incitent pas les personnes concernées à la compassion pour les victimes d’attentats, a-t-elle estimé.  “Pour les victimes chez nous, les attaques sortent de nulle part. Pour les personnes qui les ont commises, c’est tout sauf ‘out of the blue’.

Avec Belga – Photo : Belga

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30 mars 2023 - 13h11
Modifié le 30 mars 2023 - 19h29