Procès des attentats de Bruxelles : les accusés racontent par bribes les préparatifs dans la rue Max Roos
La cour d’assises de Bruxelles a poursuivi ce mardi l’interrogatoire croisé des accusés des attentats du 22 mars 2016 à Maelbeek et Zaventem.
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L’interrogatoire croisé des accusés des attentats du 22 mars 2016 a repris ce mardi, après une trêve de quatre jours due au week-end de Pâques. La cour a interrogé les accusés sur les préparatifs de ces attentats.
C’est dans un appartement de la rue Max Roos, à Schaerbeek, que les bombes ont été confectionnées. Mohamed Abrini y a passé plusieurs jours. Au cours de l’audience, il a expliqué la vie qu’il y menait, juste avant les attentats. L’accusé a fait part du contraste surréaliste qui y régnait : d’un côté, dans la cuisine et dans la chambre, Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui préparaient le TATP qui servira à l’attentat de Zaventem, tandis que de l’autre, Mohamed Abrini et Osama Krayem jouaient à la Playstation dans le salon. Le perdant devait s’occuper de la vaisselle et il s’agissait souvent de Mohamed Abrini.
Tous les accusés répondent aux questions, mais parlent pour eux-mêmes. Ils ne souhaitent balancer personne. Abrini n’a, par exemple, pas souhaité s’exprimer sur une éventuelle implication d’Osama Krayem dans la confection des bombes. L’interrogatoire ne donne donc pas encore toutes ses réponses.
Salah Abdeslam a réaffirmé qu’il n’avait rien à voir, à ses yeux, avec les attentats de Bruxelles. “Cela fait quatre mois qu’on me traite d’assassin, mais ce ne sont pas mes victimes”, a-t-il affirmé durant l’audience du jour.
Plusieurs questions n’ont pas obtenu de réponses, les accusés arguant ne pas se souvenir de tous les détails car les faits remontent à sept ans.
L’interrogatoire se poursuivra ce mardi et devrait se conclure ce jeudi.
10h10 – Le terroriste du Thalys Ayoub El-Khazzani témoignera en présentiel devant la cour
L’audition en tant que témoin d’Ayoub El-Khazzani devra être effectuée en présentiel, a acté mardi la cour d’assises de Bruxelles dans un arrêt. Le parquet fédéral avait demandé à ce que l’homme puisse être entendu par vidéoconférence dans le cadre du procès des attentats de Bruxelles.
Selon le parquet, l’usage de la vidéoconférence était justifié par le coût élevé et les risques sécuritaires du transfèrement du détenu jusqu’en Belgique. La cour a toutefois jugé, dans son arrêt, que ces difficultés n’engendraient pas d’impossibilité et qu’un témoignage sur place était préférable, déboutant de facto la demande du parquet fédéral et donnant raison à la défense des accusés Ali El Haddad Asufi et Bilal El Makhoukhi.
La demande initiale du parquet concernait également Bilal Chatra, qui devait participer à l’attentat déjoué dans le Thalys mais qui avait pris la fuite quelques jours auparavant, ainsi que Muhammad Usman et Adel Haddadi. Ces derniers n’avaient pas pu rejoindre à temps les commandos terroristes responsables des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Les trois hommes, également condamnés à de lourdes peines de prison en France, ont néanmoins refusé de témoigner et le parquet a donc renoncé à leurs témoignages.
11h19 – Abdeslam affirme avoir dû “donner des gages” de sa loyauté à son retour de Paris
Salah Abdeslam a affirmé que la lettre intitulée “Abou Abderrahman” (nom de guerre de Salah Abdeslam, NDLR) et dans laquelle l’homme écrit vouloir “finir le travail” en Europe avait été rédigée un mois ou un mois et demi après les attentats de Paris pour “donner des gages” de sa loyauté.
“Ce ne sont que des paroles. Entre les paroles et le passage à l’acte, il y a une marge“, a expliqué celui qui devait se faire exploser à Paris le 13 novembre 2015.
“Quand je suis revenu de Paris et que j’ai expliqué que ma ceinture était défectueuse, ils ont eu des doutes et m’ont demandé des gages. Je ne dirai pas qui me l’a demandé, mais ils ne sont plus de ce monde.“
“Moi, je voulais retourner en Syrie, mais on m’a dit que c’était trop dangereux car j’étais l’ennemi public numéro 1 et que je risquais de me faire arrêter“, a poursuivi Salah Abdeslam. “Ils ne voulaient pas prendre le risque que je balance si je me faisais arrêter. Ils n’ont pas voulu non plus me laisser sortir pour que j’aille voir ma famille.”
“On m’a demandé si j’étais prêt à faire une opération tout seul si on me confiait une kalachnikov, par exemple. J’ai catégoriquement refusé. Là, on m’a dit qu’on allait me trouver un chemin vers la Syrie car je n’avais ‘rien à faire ici’“, a affirmé l’accusé, précisant qu’il attendait dans la planque de la rue du Dries qu’une telle route s’ouvre. “Vous savez, il n’y a pas beaucoup d’alternative quand on est embarqué dans ce genre de situation. Soit on meurt en martyr, soit on retourne en Syrie. Moi je voulais aller en Syrie“, a conclu l’accusé.
12h14 – “Comment voulez-vous qu’on réponde correctement aux questions ?” : Abrini dénonce les mauvaises conditions de transfert
Revenant sur une audition remontant à octobre 2018, le vice-président de la cour, Thibaut de Sauvage, a cité des propos de Mohamed Abrini plaçant Salah Abdeslam dans l’appartement schaerbeekois de la rue Max Roos. Ce que “l’homme au chapeau” a contesté : “Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça ce jour-là” ou “pourquoi l’enquêteur a noté ça“.
“C’est pour ça que je me suis battu” contre les conditions de transfert (port d’un masque et d’un casque, fouilles à nu,…). “Comment voulez-vous qu’on réponde correctement aux questions ? J’ai été interrogé de Bruges à Bruxelles, de Bruxelles à Beveren. Ce sont des heures de trajet. On vous met un masque et un son qui vous rendent juste dingue“, a-t-il souligné, en référence à la musique à volume élevé à laquelle les accusés étaient exposés au début des transferts.
“Ce ne sont pas des choses à faire si vous voulez des auditions de qualité, sans incohérence ni contradiction. À ça, il faut ajouter la pression des policiers, le stress,…” Après le transfert, a-t-il poursuivi, “on vous dépose devant un juge ou un enquêteur et vous devez encore répondre à des questions toute la journée.” “Je ne comprends pas comment on peut faire les choses comme ça“, a-t-il conclu.
14h34 – L’interrogatoire des accusés tente de reconstituer le puzzle pré-22 mars
La magistrate a adressé de nombreuses questions détaillées aux sept hommes présents à l’audience. La chaise d’Ibrahim Farisi, qui comparaît libre, est restée vide et Osama Krayem ne participe pas à l’audience.
La présidente est notamment revenue sur la confection artisanale du drapeau de l’État islamique trônant dans le salon de l’appartement de la rue Max Roos, le déplacement d’armes depuis cette planque ou encore l’achat du matériel qui a servi à la confection des trois bombes. La présidente a ainsi tenté de retracer qui était où et quand, ainsi que les relations entre les différents protagonistes du dossier.
Les accusés, qui ont troqué les vêtements de sport arborés ces dernières semaines pour des chemises plus classiques, ont livré des réponses plus ou moins précises en fonction de leurs souvenirs.
Bilal El Makhoukhi a refusé de s’étendre sur certains points, affirmant ne vouloir “enfoncer personne“. Son ami et co-accusé Hervé Bayingana Muhirwa s’est montré, lui, plus prolixe sur ces mêmes questions.
L’interrogatoire a parfois pris des allures de puzzle géant, chacun apportant sa pièce pour reconstituer l’ensemble du tableau. Toutefois, les accusés ont souligné qu’ils étaient peu (ou pas du tout) en contact avec les autres membres de la cellule lorsqu’ils ne logeaient pas ensemble et que ceux qui avaient la meilleure vue d’ensemble – les frères El Bakraoui et Najim Laachraoui – étaient morts le 22 mars 2016.
16h09 – Des lettres étaient “certainement” écrites au nom des membres de la cellule, dit Abdeslam
Salah Abdeslam a expliqué que cela “se faisait certainement“ d’écrire des lettres au nom des membres de la cellule terroriste. Cette intervention faisait suite à une question de la présidente de la cour à destination de Mohamed Abrini.
Laurence Massart désirait savoir qui était l’auteur de la “Lettre à Nawal”, ce prénom correspondant à la fois à celui de l’ex-compagne de Mohamed Abrini mais aussi au prénom de la veuve de Khalid El Bakraoui. Au procès des attentats de “Paris, on a dit que c’était Khalid El Bakraoui, maintenant on dit que c’est moi. Étant donné que lui n’est plus là, on cherche à me mettre ça sur le dos… Mais je vous le confirme: ce n’est pas moi qui l’ai écrite“, a répondu l’accusé.
“Est-ce que Khalid El Bakraoui se permettait d’écrire des lettres en votre nom ?“, a poursuivi la présidente. “Peut-être mais alors je ne suis pas au courant“, a assuré Mohamed Abrini, avant que Salah Abdeslam n’affirme que “cela se faisait certainement“.”Moi, quand j’ai voulu partir en Syrie après Paris, je n’ai eu de contact avec personne. On a parlé en mon nom aux chefs en Syrie“, a-t-il ajouté.
“Lettre à Nawal” est un testament retrouvé sur le PC utilisé dans l’appartement de la rue Max Roos à Schaerbeek. Durant leur présentation devant la cour, les enquêteurs chargés du dossier des attentats à Bruxelles ont conclu que la paternité du document devait finalement être attribuée à Mohamed Abrini plutôt qu’à Khalid El Bakraoui, contrairement à ce qui apparaît dans le dossier.
17h04 – De l’argent grâce aux armes ?
À l’occasion de l’interrogatoire des accusés, la présidente de la cour, Laurence Massart, est revenue sur la journée du 21 mars et la mission assignée à Bilal El Makhoukhi : récupérer les armes de la planque schaerbeekoise deux jours plus tard. Des photos retrouvées sur le PC Max Roos montrent en effet les kamikazes de l’aéroport, Najim Laachraoui et Ibrahim El Bakraoui, ainsi que l’accusé Mohamed Abrini, posant avec des armes devant un drapeau artisanal de l’État islamique. Une autre photo met en scène cet arsenal.
Sept ans après les attaques, cinq armes d’assaut apparaissant sur ces photos sont toujours manquantes. Bilal El Makhoukhi a reconnu en juin 2022 qu’il avait déménagé les armes avant les attentats. Il devait ensuite contacter “Abou Ahmed” – identifié comme Oussama Atar, jugé par défaut à Bruxelles car présumé mort en Syrie – le 23 mars pour recevoir la suite des instructions, a confirmé l’intéressé. Cependant, ce contact n’a jamais pu se réaliser.
“J’ai essayé d’appeler, mais je n’ai jamais eu de réponse”, a déclaré l’accusé. “Que faites-vous, alors ?”, l’a interrogé la présidente. “Je me suis dit que j’allais cacher les armes, puis les utiliser pour me faire de l’argent : me payer de faux papiers et rejoindre la Syrie avec le maximum d’argent“, a répondu le trentenaire. Parti en Syrie fin 2012, le Belgo-Marocain était rentré en Belgique après 14 mois pour se faire soigner d’une blessure au combat. “Vous avez vendu les armes ?”, a rebondi la présidente. “Non, je n’en ai pas eu le temps”, a-t-il conclu.
■ Images et interviews de Camille Tang Quynh et Loïc Bourlard
La rédaction avec Belga – Dessin : Janne van Woensel Kooy