Procès des attentats de Bruxelles : les accusés s’expriment une dernière fois avant la délibération sur les peines
Me Jonathan De Taye, conseil d’Ali El Haddad Asufi, clôture les plaidoiries sur la peine, lundi matin, devant la cour d’assises de Bruxelles, au procès des attentats du 22 mars 2016. Les parties auront ensuite encore droit à un dernier “tour de table” pour répliquer et enfin la parole sera donnée aux huit coupables pour s’adresser une ultime fois à leurs juges, s’ils le souhaitent.
Me Jonathan De Taye n’a pas caché, lundi, devant la cour d’assises de Bruxelles, être tombé de haut après le verdict sur la culpabilité de son client, Ali El Haddad Asufi, dans le procès des attentats du 22 mars 2016. “Monsieur El Haddad n’est ni un assassin ni un terroriste. Ça, c’est ma conviction d’homme et on ne me l’enlèvera pas”, a-t-il dit.
Néanmoins, l’avocat voit “la lumière au fond du trou” dans une petite phrase de l’arrêt de culpabilité et demande aux jurés de prononcer une peine qui tient compte du fait que le Schaerbeekois de 38 ans est déjà condamné à 10 ans de prison dans le cadre du procès des attentats à Paris.
“Il a, à tout le moins, volontairement renoncé à se poser les bonnes questions”, voilà le passage de l’arrêt de culpabilité qui représente, aux yeux de Me Jonathan De Taye, une lueur d’espoir pour que son client bénéficie d’une certaine clémence sur la peine. Pour le pénaliste, cette phrase signifie que les jurés admettent qu’Ali El Haddad Asufi n’était peut-être en effet pas au courant des projets meurtriers de son ami d’enfance, Ibrahim El Bakraoui.
Sa culpabilité réside donc dans le fait, non pas d’avoir volontairement gardé le silence sur une planification d’attentats, mais d’avoir renoncé à se poser plus de questions sur le comportement étrange et sur la radicalisation de son ami, qu’il fréquentait assidûment durant la période infractionnelle. Cette réalité doit conduire le jury à ne pas prononcer à l’égard d’Ali El Haddad Asufi une peine aussi élevée que pour d’autres, selon Me Jonathan De Taye et son co-plaideur, Me Jean-Christophe De Block. Le parquet fédéral a requis à l’encontre d’El Haddad Asufi, coupable d’assassinats et tentatives d’assassinat terroristes, une peine de réclusion à perpétuité, une mise à disposition du tribunal d’application des peines (TAP) durant 15 ans, ainsi qu’une déchéance de sa nationalité belge.
Mes De Taye et De Block ont, eux, demandé aux jurés et juges de ne pas entrer “dans la logique perverse du parquet” et de retenir des circonstances atténuantes, mais surtout de tenir compte de la peine de 10 ans de prison qui a déjà été prononcée par la justice française à l’encontre d’El Haddad Asufi dans le procès des attentats du 13 novembre 2015.
“Prenez en compte la peine globale qui sera purgée par monsieur El Haddad”, a prié Me De Taye.
Parmi les circonstances atténuantes que les juges et jurés devraient retenir, les deux pénalistes ont cité l’absence d’antécédents judiciaires d’El Haddad Asufi (en dehors de quelques infractions de roulage), les expertises psychiatriques qui concluent que l’homme ne présente pas de troubles de la personnalité, n’est pas radicalisé et ne représente pas un danger social, et enfin le fait qu’il a toujours travaillé et est très entouré par sa famille et ses amis.
“Dire qu’il n’y a pas de circonstance atténuante pour Ali El Haddad Asufi comme l’a fait le parquet fédéral, c’est objectivement faux. Condamnez-le à une peine d’espoir, pour lui, pour sa compagne, pour toute la société”, a plaidé Me De Block. Concernant la possibilité de déchoir une personne de sa nationalité (si celle-ci en possède deux), c’est “dégueulasse et nauséabond”, a lancé Me De Taye. “Cette peine, telle qu’elle existe dans notre code est raciste et lâche”, a-t-il dit. “Monsieur El Haddad est un Belge, d’origine marocaine, qui de temps en temps va en vacances dans le pays d’origine de ses parents. C’est tout”, a affirmé le pénaliste, qui réclame donc de ne pas prononcer de déchéance de la nationalité belge à Ali El Haddad Asufi.
Pour Me De Taye, cette sanction n’a pas de sens puisque son client n’a aucune attache au Maroc, si ce n’est une grand-mère âgée “et des tantes qui gravitent autour d’elle” ainsi qu’un lopin de terre aride.
12h10 – Les débats sur la peine sont clos au procès des attentats du 22 mars 2016
12h52 – Mohamed Abrini, pessimiste pour l’avenir, réitère ses excuses aux victimes
Les coupables des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles ont eu droit à une dernière prise de parole lundi avant la fin des débats sur les peines qui leur seront infligées. Si la plupart des sept hommes (le huitième coupable, Oussama Atar, est jugé par défaut car présumé mort en Syrie) ont été brefs, Mohamed Abrini s’est exprimé plus longuement.
“Je n’oublierai pas les victimes. Ces gens-là étaient innocents, ils ne demandaient qu’à vivre leur vie. Personne dans ce box ne se réjouit de ce qu’il s’est passé“, a débuté Mohamed Abrini. “Je suis pessimiste de nature et je pense que ça ne changera pas. Il y a des millions de musulmans sur terre, il y en a toujours qui voudront instaurer un califat. J’ai peur qu’il y ait d’autres attentats, il faut faire quelque chose pour que ça n’arrive plus”.
“Je voudrais demander pardon aux victimes et je suis encore plus désolé parce qu’elles ont été abandonnées par les autorités et par les assurances. C’est rajouter du malheur au malheur“, a poursuivi l’homme au chapeau, avant de remercier les avocats de la défense, qui n’ont “pas eu la tâche facile“.
“Moi, je vis au jour le jour. C’est vraiment triste d’être là aujourd’hui. Je me demande parfois si tout cela est bien réel“, a ajouté Mohamed Abrini.
“Je trouve injuste la peine demandée contre El Haddad Asufi et Bayingana (la réclusion à perpétuité pour le premier et 10 ans de prison pour le second, NDLR)”, a-t-il ensuite conclu à l’adresse du jury. “Je ne comprends pas comment le parquet a pu réclamer une telle chose. Je pense que vous saurez être juste et que vous avez la capacité de faire la part des choses“.
13h30 : Dans son dernier mot, Salah Abdeslam se dit victime de sa médiatisation
Salah Abdeslam s’est longuement exprimé lundi lors du dernier mot des coupables devant la cour d’assises chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles. L’homme, reconnu comme co-auteur des attaques, a réaffirmé qu’il n’était pas au courant de ce qui se préparait et a affirmé que c’est sa médiatisation qui avait poussé le jury à le déclarer coupable.
“Pour commencer, je voudrais m’adresser aux victimes : ne croyez pas tout ce qu’on vous a dit dans les médias. Moi, j’ai eu de l’empathie pour vous, je me suis remis en question“, a assuré le trentenaire.
Salah Abdeslam a ensuite tenu à expliquer raconter le parcours qui l’avait mené à rejoindre l’État islamique. “Au départ, j’avais une vie ordinaire, j’étais un gars banal. J’avais une famille aimante, un travail, j’allais me marier (…). J’ai commencé à être révolté par les actes contre les musulmans partout dans le monde, puis j’ai vu mon quartier se vider, les gens partaient en Syrie, certains ne revenaient pas et ceux qui revenaient racontaient ce qu’il se passait là-bas. (…) À ce moment-là je me suis un peu plus intéressé à ce conflit. J’ai appris l’existence de l’EI, j’ai appris qu’il combattait pour instaurer la Charia sur le territoire et je savais que la loi de mon seigneur est parfaite et que seul lui est digne de juger, donc j’ai été d’accord avec ça. J’étais d’accord, mais je suis quand même resté chez moi.”
“À ce moment-là, l’EI n’était pas en conflit avec l’Europe, mais nos dirigeants ont pris des décisions. Ils savaient que s’ils s’engageaient il y aurait des conséquences et ils ont quand même pris le risque. La suite, vous la connaissez“, a expliqué Salah Abdeslam.
“J’ai participé au 13 novembre, à (la fusillade de la rue du) Dries, j’ai dit ce que j’ai fait et ce que je n’ai pas fait. Ici, je vous ai dit que vous n’êtes pas mes victimes, j’ai peut-être été maladroit“, a-t-il ensuite justifié. “Mais je n’ai pas participé au 22 mars, je ne connaissais pas le projet. On a dit que Belkaid et Ayari n’ont rien avoir avec le 22 mars mais que Abdeslam oui. Je subis un harcèlement juridique.”
“Je ne suis pas d’accord avec votre verdict (sur la culpabilité, NDLR). Dois-je vous en vouloir ? La question se pose“, a poursuivi Salah Abdeslam en s’adressant au jury. “Mais vous n’êtes pas des magistrats professionnels, l’erreur est humaine et moi je suis Salah Abdeslam. (…) Vous avez condamné quelqu’un qui ne le méritait pas. Ce que je voudrais c’est qu’on me juge comme les autres. Je vous demande d’être juste dans cette dernière décision.”
“Je suis en prison depuis mes 26 ans, j’en ai 34. Les années passent, on se remet en question, on essaye d’être meilleur, mais on ne veut pas me donner ma chance, m’aider dans ce sens“, a-t-il ajouté. “Quand je parle des droits de l’homme ça fait tache, quand je demande quelque chose qui est dans mon droit, ça dérange.”
Et l’homme de conclure à destination des victimes. “Je ne sais pas comment je pourrais vous consoler, vous aider. Je n’ai pas les mots pour vous. Je souhaite quand même que ce que j’ai dit vous aidera un petit peu dans votre processus de reconstruction”.
15h07 : Ali El Haddad Asufi demande une peine qui lui “correspond”
“Tout ce que je demande au jury c’est de me donner une peine qui me correspond à moi, pas une peine exemplaire“. C’est par ces mots qu’Ali El Haddad Asufi a conclu sa dernière intervention au procès des attentats du 22 mars 2016. Il a également réaffirmé qu’il n’avait “jamais voulu ça“.
“Vous m’avez reconnu coupable d’assassinats. Je dois avouer que je ne m’y attendais pas“, a d’abord déclaré le Belgo-Marocain en s’adressant au jury. “Ça a été un coup de massue pour moi et ma famille. C’est désormais une vérité judiciaire et je l’accepte, mais je ne suis ni un terroriste, ni un assassin. Je n’ai jamais voulu tout ça.”
“Ibrahim El Bakraoui a détruit ma vie, mais je l’ai détruite aussi. J’aurais dû me poser les bonnes questions. Tous les jours dans ma cellule je me demande comment j’ai pu être aussi stupide, aussi aveugle. Je vais devoir vivre avec ça“, a ajouté Ali El Haddad Asufi.
“Je ne peux pas changer le passé, j’espère que les victimes comprendront que je n’ai jamais voulu ce qu’il leur est arrivé, même si je suis condamné”, a-t-il poursuivi. “J’ai été l’ami d’Ibrahim El Bakraoui et j’ai honte de l’avoir été.”
“Tout ce que je demande au jury c’est de me donner une peine qui me correspond à moi, pas une peine exemplaire“, a-t-il terminé.
Plutôt enjoué à l’entame du procès, le presque quarantenaire a perdu de sa superbe après avoir été reconnu coupable d’assassinats et tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste. À l’ouverture des débats sur les peines, il est apparu très abattu, et même parfois en pleurs, notamment lorsque le parquet avait requis la réclusion à perpétuité et une déchéance de la nationalité belge à son encontre.
15h20 : “Je n’arrive pas à me trouver d’excuses”, affirme Bilal El Makhoukhi
Invité à s’exprimer une dernière fois devant la cour d’assises chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, Bilal El Makhoukhi a affirmé ne pas pouvoir se trouver d’excuses par rapport aux actes commis. Le Belgo-Marocain a été reconnu coupable d’assassinats et tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste.
“Peu importe la peine à laquelle je vais être condamné, ce ne sera jamais à la mesure de la peine que les victimes subissent depuis sept ans“, a d’abord expliqué l’homme. “Ici (devant la cour d’assises, NDLR) j’ai vu tout ce que j’avais toujours refusé de voir : l’impact sur les victimes, sur leurs familles… Même pendant l’enquête je n’avais jamais cherché à regarder.”
“Quand on est en cellule, ça nous poursuit de savoir si on regrette ou pas. Le plus dur, ce n’est pas de dire ici qu’on regrette, c’est de se le dire à soi-même“, a-t-il raconté.
“Il y a des victimes, même si on a pas la religion en commun, elles ressemblaient à n’importe quel membre de la famille“, a enchainé Bilal El Makhoukhi. “Je n’arrive pas à me trouver de circonstances atténuantes ou d’excuses, mon implication a été trop grande et ce serait malvenu de ma part (…). Je ne sais pas comment ça peut être réparable, peu importe la peine à laquelle je vais être condamné“.
15h49 : “J’aimerais œuvrer pour quelque chose de meilleur”, assure Hervé Bayingana Muhirwa
Dernier coupable à prendre la parole au procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, Hervé Bayingana Muhirwa a indiqué vouloir “œuvrer à (son) niveau pour quelque chose de meilleur“. Le Rwandais d’origine a été reconnu coupable de participation aux activités d’un groupe terroriste pour avoir notamment hébergé à deux reprises Mohamed Abrini et Osama Krayem.
“Au début, je voulais dire, qu’au bout de sept ans de prison, j’avais mûrement réfléchi, que j’avais pris conscience de mes erreurs de parcours qui me valent d’être ici aujourd’hui et que tout cela est derrière moi. Mais ça ne sera jamais derrière moi“, a d’emblée expliqué Hervé Bayingana Muhirwa. “Ce n’est pas quelque chose dont on peut se débarrasser, c’est quelque chose que je vais trainer jusqu’à la fin de mes jours.”
“Être lié au 22 mars, ça marque une vie“, a ajouté l’homme. “Tout au long de ce procès, j’ai entendu tant de récits de victimes… J’ai pris la pleine conscience du mal qu’elles ont subi. On ne peut pas remonter dans le passé et effacer ce qui est arrivé. Je me suis rendu compte que je me suis retrouvé dans quelque chose qui me dépassait.”
“Tout ce que j’espère c’est d’avoir des actions réparatrices même si on ne répare pas le 22 mars. J’aimerais œuvrer à mon niveau pour quelque chose de meilleur“, a-t-il terminé.
Hervé Bayingana Muhirwa risque un maximum de 10 ans de prison pour participation aux activités d’un groupe terroriste. Compte tenu des sept ans d’emprisonnement déjà prestés, celui-ci pourra quoi que décide le collège (le jury et la cour) demander sa remise en liberté à la fin du procès.
■ Reportage de Thomas Dufrane, Yannick Vangansbeek et Hugo Moriamé
La Rédaction avec Belga – Dessin : Belga / Janne Van Woensel Kooy