Procès des attentats de Bruxelles : les plaidoiries des parties civiles débutent
Ce mardi, le parquet fédéral mettra la touche finale à son réquisitoire sur la culpabilité concernant les dix accusés. Après avoir fait un sort en matinée aux frères Smail et Ibrahim Farisi, le ministère public cédera la tribune aux parties civiles.
Smail Farisi est resté inconnu des enquêteurs jusqu’à ce que l’accusé Osama Krayem mentionne son studio, situé au numéro 39 de l’avenue des Casernes à Etterbeek. Domicilié depuis mars 2015, l’Anderlechtois le met à disposition du kamikaze Ibrahim El Bakraoui, pour le dépanner selon lui. Le matin des attentats, c’est de cette adresse que partiront Osama Krayem et Khalid El Bakraoui pour rejoindre le métro à la station Pétillon.
Smail Farisi était-il au courant du projet qui animait ses sous-locataires ? L’homme est poursuivi pour participation aux activités d’un groupe terroriste, assassinats et tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste.
Le dernier accusé, son frère Ibrahim Farisi, ne doit, lui, répondre que de participation aux activités d’un groupe terroriste. Le cadet n’a jamais eu de contacts avec les protagonistes du dossier des attentats bruxellois, à l’exception de son frère, selon l’enquête.
Le 23 et le 25 mars 2016, il aidera son frère à vider l’appartement de tous les effets abandonnés par Khalid El Bakraoui et Osama Krayem. Dans ses déclarations, il a toujours maintenu n’être au courant de rien.
Les parties civiles prendront ensuite la parole l’après-midi. Plusieurs pénalistes, réunis en collectif, ont organisé leurs plaidoiries pour aborder les faits par thématique et par accusé. Les parties civiles devraient donc débuter mardi par une introduction, suivie d’un “mot au nom des victimes“ porté par Mes Valérie Gérard (Life4Brussels) et Nicolas Estienne (V-Europe).
10h30 : Le parquet fédéral demande que Smail Farisi soit condamné uniquement pour participation à des activités d’organisation terroriste, et non pour meurtre
Le parquet a requis, mardi matin, la culpabilité de Smaïl Farisi pour avoir participé aux activités d’un groupe terroriste.
La chambre des mises en accusation l’avait également renvoyé devant la cour pour assassinats terroristes et tentatives d’assassinat terroriste, mais le parquet estime ne pas avoir suffisamment d’éléments pour aller dans ce sens.
Bien que Smaïl Farisi ait été acquitté dans le volet bruxellois des attentats de Paris pour des faits similaires, la période infractionnelle est ici différente, et le parquet estime qu’au fil du temps, il est impossible que l’accusé n’ait pas pris conscience du caractère terroriste des personnes à qui il apportait son aide.
Le procureur Bernard Michel a mis en avant, pour appuyer son réquisitoire, les nombreuses visites qu’a rendues Smaïl Farisi au studio de l’avenue des Casernes qu’il avait mis à disposition d’Ibrahim El Bakraoui, et son frère Khalid. “Cela veut dire qu’il a continué à les côtoyer, à voir leur évolution, à les voir prier à toute heure du jour et de la nuit. Cela a dû travailler son esprit critique, il a dû se poser des questions.”
Parmi les autres éléments d’aide apportés, le procureur note qu’au cours des multiples visites (entre 20 et 30 par mois), Smaïl Farisi à apporter à manger à ses locataires, les a aidés à sortir les poubelles, a évacué des sacs du studio, … Pour le parquet, “petit à petit, Smaïl Farisi intègre l’idée, mais ne se révolte jamais“.
Plusieurs éléments auraient dû lui mettre la puce à l’oreille, comme l’arrestation de Mohamed Bakkali, l’apparition d’Osama Krayem dans le studio, la parution des photos de frères El Bakraoui dans la presse, … “L’étau se resserre, il n’a pas pu ne pas savoir“, en conclut Bernard Michel.
“Il a acquis la connaissance et la volonté qui faisaient défaut dans la période infractionnelle de Paris“, estime-t-il.
Par contre, si le parquet l’estime coupable de participation aux activités d’un groupe terroriste, il relève que le dossier ne met pas en évidence sa complicité dans la perpétration des attaques. “Rien ne permet de dire qu’il était informé de l’imminence d’un attentat“, le parquet demande donc aux jurés de répondre non à la question de sa participation en qualité de complice des attentats terroristes et tentative d’attentats terroristes.
12h04 : l’acquittement requis pour Ibrahim Farisi
La procureure fédérale Paule Somers a requis, mardi matin, devant la cour d’assises de Bruxelles, l’acquittement d’Ibrahim Farisi pour participation aux activités d’un groupe terroriste, soit le seul chef d’accusation duquel celui-ci doit répondre devant la cour.
Ibrahim Farisi est en effet le seul des dix accusés à ne devoir répondre que d’une prévention de participation aux activités d’un groupe terroriste. Tous les autres accusés ont été renvoyés devant la cour pour cette prévention, mais aussi pour crime d’assassinats et de tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste.
“La question est de savoir si, en acceptant d’aider son frère Smail à déménager et à faire disparaître les traces du passage des terroristes dans l’appartement de l’avenue des Casernes, Ibrahim Farisi savait que son frère faisait partie d’un groupe terroriste et lui a ainsi procuré une aide“, a résumé la procureure. Après avoir passé en revue les indices de culpabilité que contient le dossier, elle a conclu que rien ne permettait de répondre affirmativement à cette question.
Parmi les indices de culpabilité au sujet d’Ibrahim Farisi, la procureure a rappelé qu’il est vu, sur les images de caméras de vidéo-surveillance de l’immeuble de l’avenue des Casernes le 23 mars 2016, transportant un sac à dos avec un gant. Il s’agissait du sac que Krayem portait, et dont on sait qu’il avait vidé le contenu explosif dans les sanitaires. Ibrahim Farisi savait-il que cet objet avait contenu du TATP, raison pour laquelle il avait pris soin d’enfiler des gants ? Selon la procureure, rien ne permet de l’affirmer, “ce n’est donc pas un élément à charge“, a-t-elle dit.
Il était également question dans le dossier d’une réunion qui s’est tenue dans la famille Farisi après les attentats, destinée à savoir ce qu’il convenait de faire au sujet de l’appartement de Smail. Cela ressort de l’audition de l’ex-petite amie de ce dernier. Mais, selon la procureure, “un doute existe sur la raison de cette réunion, et sur la présence ou non d’Ibrahim” ainsi que sur le moment où elle a eu lieu. Les Farisi ont déclaré, dans leurs dernières auditions, que celle-ci ne s’est pas tenue juste après les attentats, mais le 9 avril, soit après la divulgation dans les médias d’images de l’appartement de Smail comme ayant été un repaire des auteurs des attaques.
Enfin, quant aux sacs de vêtements que Smail et Ibrahim ont évacué de cet appartement les 23 et 25 mars 2016, il apparaît que certains ont été ramenés dans la maison familiale des Farisi mais que d’autres ont été jetés. “Pour quelle raison jeter certains vêtements si ce n’est pour les faire disparaître?“, s’est interrogée Paule Somers. “Je reste avec cette question et je n’ai pas de réponse“, a-t-elle admis.
Sans élément probant attestant qu’Ibrahim Farisi savait que son frère Smail a participé aux activités d’un groupe animé d’intentions terroristes, la procureure a requis l’acquittement sur toute la ligne du dernier de la fratrie.
15h15 : “Les accusés incarnent la banalité du mal” (partie civile)
L’émotion s’est à nouveau fait ressentir dans la salle d’audience, lorsque les avocats représentant les victimes ont pris la parole. Le discours structuré et technique des procureurs a cédé la place à une plaidoirie à plusieurs voix de la partie civile.
“Les accusés incarnent la banalité du mal. Ce sont de simples hommes capables des pires atrocités. Ils les ont commises par rapport à toute notre société : des femmes, des enfants, des citoyens, quelle que soit leur philosophie, leur religion… Chacun des accusés dans le box est impliqué dans les attentats“, a entamé Me Maryse Alié.
Me Nicolas Estienne et Me Valérie Gérard ont ensuite rappelé l’atrocité des attentats et la douleur des victimes. Ils ont estimé qu’il était nécessaire de remémorer aux jurés ce que les premiers intervenants sont venus décrire il y a quelques mois devant la cour, soit le chaos et l’horreur des deux scènes des attaques, mais aussi ce que les victimes ont confié et révélé de leur expérience extrêmement traumatisante.
“Mon rôle est de vous rappeler l’atrocité des attentats“, a affirmé Me Gérard. “Nous sommes tous devenus des témoins indirects de ces horreurs au travers de ces six mois de procès. Je vais devoir parler des lésions, des scènes de guerre, du chaos, de l’horreur extrême, provoqués par une cruauté aveugle, animée par le fait de faire un maximum de victimes“.
Me Estienne a évoqué plus précisément les différentes victimes qui, le 22 mars 2016, se trouvaient à l’aéroport et dans le métro, “sur le chemin de la vie avec ses hauts et ses bas, sur ce chemin que nous empruntons tous chaque jour et qui fait de nous des êtres humains“.
■ Duplex de Camille Tang Quynh et Yannick Vangansbeek
Avec Belga – Dessin : Jonathan De Cesare