Procès des attentats de Bruxelles : les enquêteurs racontent les explosions à Brussels Airport

Le planning avait été modifié par la présidente de la Cour d’assises : les enquêteurs seront d’abord interrogés avant les accusés.

Ce mercredi, le procès des attentats du 22 mars 2016 à Zaventem et Maelbeek reprend avec l’audition des enquêteurs et juges d’instruction qui feront rapport de leur vaste enquête autour de ces attaques terroristes. Leur audition est prévue pour un mois environ.

L’équipe d’enquête n’était pas attendue avant février, soit après l’interrogatoire des accusés, les auditions des personnes constituées partie civile et les auditions de “témoins de contexte”. Mais la présidente de la cour d’assises, Laurence Massart, en a décidé autrement mardi. Dès le début de la matinée, elle a sollicité des greffiers qu’ils convoquent les magistrats instructeurs et les enquêteurs pour le lendemain, mercredi. En fin d’audience, 14 membres de l’équipe d’enquête avaient déjà répondu qu’ils seront bien présents dès mercredi matin pour exposer les investigations qui ont été menées dans cet imposant dossier des attentats à Bruxelles.

Les victimes entendues avant les accusés

Selon le nouveau planning, les enquêteurs et juges d’instruction seront entendus jusqu’au 30 janvier. Cinq jours d’audience sont ensuite réservés pour les questions éventuelles des différentes parties à ces témoignages. Celles-ci ne peuvent intervenir avant. À partir du lundi 13 février et jusqu’au jeudi 9 mars, les parties civiles prendront la parole. Les victimes viendront témoigner de ce qu’elles ont vécu. Ce n’est qu’à partir du lundi 13 mars que commencera alors l’interrogatoire des accusés. Il devait initialement débuter ce mercredi matin, mais a finalement été reporté en raison de la procédure en référé entourant les conditions de transfert des détenus accusés de la prison de Haren au Justitia, non loin de là, où a lieu le procès.

Découvrez ci-dessous le récit de cette nouvelle journée d’audience.

Notre dossier complet sur les attentats de Bruxelles et le point sur le procès


10h00 – Deux nouvelles parties civiles

Il y a désormais 1.070 parties civiles au procès des attentats à Bruxelles du 22 mars 2016. Deux autres sont en effet venues s’ajouter mercredi matin aux 111 personnes qui s’étaient constituées de la sorte lors de l’audience de mardi et aux 957 autres qui l’avaient déjà fait au préalable.

La cour d’assises de Bruxelles avait acté, mardi, 111 nouvelles constitutions de partie civile. Parmi ces dernières personnes qui ont sauté le pas de se constituer partie civile dans ce procès hors-normes figurent des victimes directes de l’attentat dans la station de métro Maelbeek ou de l’attentat dans le hall des départs de l’aéroport de Bruxelles-National à Zaventem, ainsi que des proches de ces victimes.

Lire aussi | La présidente change le planning, 111 nouvelles parties civiles constituées

Certaines ont décidé de témoigner devant la cour, d’autres non. Parmi les nouvelles constitutions annoncées mardi figure notamment la Stib, la société de transports en commun bruxellois, qui était déjà constituée comme “personne lésée”. Quatre de ses agents, présents lors de l’attentat à Maelbeek, se sont aussi constitués partie civile.

Photo : Belga/Pool Didier Lebrun

11h45 – La présentation de l’enquête divisée en trois thèmes

La présentation de l’enquête sur les attentats du 22 mars 2016 sera divisée en trois thèmes afin d’être plus digeste pour les jurés, ont expliqué mercredi matin les trois juges d’instructions chargés de l’enquête à l’époque.

La taille du dossier est en effet inhabituelle. Au total, celui-ci se compose de “300 cartons” qui représentent “plusieurs dizaines de milliers de pages”, ont expliqué les trois juges. Environ 10.000 procès-verbaux ont également été dressés alors que les enquêteurs ont saisi près de 6.000 objets, procédé à plus d’un millier d’auditions et à “82 perquisitions, mais certaines concernaient plusieurs adresses ou boxes, cela fait donc beaucoup plus en réalité”, ont indiqué les magistrats. L’analyse de la téléphonie était également un “gros morceau” avec des millions de communications provenant de 272 numéros.

Afin d’alléger la présentation, les juges d’instructions ont aussi précisé que les fausses pistes avaient été volontairement omises et que, pour des raisons pratiques, il était impossible de faire témoigner toutes les centaines de personnes impliquées. Chaque unité des services concernés a donc désigné un responsable chargé de témoigner en son nom.

Durant l’exposé, qui sera divisé en trois phases et devrait durer entre quatre et cinq semaines, les juges d’instruction, des policiers, des militaires et des membres des services de secours viendront présenter leur rôle dans l’enquête ou les interventions successives aux attentats.


12h44 – Un commissaire de la police aéronautique témoigne

Après les quelques mots d’introduction des juges d’instruction en charge du dossier, un premier témoignage a eu lieu, celui du premier commissaire de la police aéronautique à l’aéroport Zaventem. Il a expliqué à la cour d’assises quel avait été son vécu des événements ce jour-là. Il a notamment raconté s’être demandé “ce n’est pas le son d’un avion ?” au moment de la première explosion, à 07h58.

Mais, dès la 2e explosion, environ 20 secondes après la première, il a compris qu’il ne s’agissait pas d’un accident. Il est alors immédiatement sorti de son bureau, situé plus ou moins en face du hall des départs et a vu des gens courir dans tous les sens, paniqués, disant “bombes” ou “explosions”.

Après avoir été chercher son gilet pare-balles, il se dirige vers le hall. Il assiste alors au phénomène des “touristes catastrophes”, selon son récit devant la cour d’assises, c’est-à-dire de gens sortis du hall des départs et qui regardent ce qui s’y passe et prennent des photos. Face au risque qu’il y ait un autre auteur, il fait évacuer les personnes devant le bâtiment vers le poste de police et se dirige en courant vers le hall des départs.

Le commissaire de police confie avoir été sous le choc de ce qu’il y a vu, se rappelant des odeurs présentes, de la fumée et du feu. De nombreuses victimes appelaient à l’aide et sa première idée est d’en aider le plus possible. Le responsable de la police et ses collègues continueront ensuite à venir en aide aux victimes.

Explosion Attentat 22 mars 2016 Brussels Airport - Belga Dirk Waem
Le hall des départs de l’aéroport de Zaventem après les explosions, le 22 mars 2016 – Photo : Belga/Dirk Waem

13h15 – Récit de la journée à Zaventem

L’évacuation des victimes est une “étape très difficile” étant donné leur nombre et l’effondrement du plafond, rapporte encore le commissaire de la police aéronautique. Les policiers s’affairent autant que possible à en évacuer vers l’extérieur du terminal, avec les services de secours arrivés sur place. Ils doivent également empêcher d’autres passagers d’entrer dans le hall des départs pour y ramasser leurs bagages.

Le commissaire, informé que deux de ses collègues ont été blessés, dont un grièvement, demande alors de faire intervenir en urgence le service de déminage de l’armée, le SEDEE. À 09h00, toutes les victimes qui ont donné signe de vie se trouvent à l’extérieur du hall, décrit-il. Ordre est donné à tout le monde de rester à 50 mètres du terminal. Ensuite, quinze minutes plus tard, le SEDEE arrive sur place et effectue un premier contrôle du terminal. Selon son analyse, il y a deux “taches” d’explosion et aucune personne vivante ne se trouve encore dans le terminal.

Peu après 12h00, le commissaire est appelé par un collègue qui visionnait les images de vidéosurveillance à l’envers. Celui-ci l’informe qu’il y a en réalité trois assaillants et qu’il pourrait donc y avoir encore une bombe dans le bâtiment. Les forces de l’ordre décident de suspendre les actions en cours dans le terminal et de l’évacuer immédiatement, ainsi que l’hôtel Sheraton situé en face. La 3e bombe est finalement localisée là où le 3e auteur, “l’homme au chapeau” (c’est-à-dire Mohamed Abrini), a été vu pour la dernière fois avec la bombe en question. Le SEDEE procédera à l’explosion contrôlée de celle-ci à 13h57.

En fin de soirée, vers 22h00, après avoir réglé de nombreuses dispositions pratiques, le commissaire rentre finalement chez lui. Il racontera à la cour d’assise que ce trajet en voiture de 45 min a été le “plus long de ma vie”, avec de nombreux “flashbacks” qui lui sont revenus en tête.

Arrivé chez lui, le policier est accueilli par sa femme et ses deux filles. L’une d’elles, âgée de 14 ans, lui expliquera vouloir dormir dans le couloir devant la porte de la chambre de son père, afin de l’obliger à lui passer dessus le lendemain s’il voulait retourner à l’aéroport, ce que la jeune fille ne souhaitait pas.


15h07 – Cinq nouvelles parties civiles

Cinq nouvelles parties civiles se sont signalées à la reprise de l’audience, ce mercredi après-midi. Elles viennent ainsi s’ajouter aux 1 070 qui s’étaient déjà constituées auparavant. Avec les 111 nouvelles constitutions actées mardi et les 957 autres qui s’étaient signalée au préalable, les sept nouvelles parties civiles de mercredi font grimper le total de celles-ci à 1 075.


16h36 – Le major des pompiers de la zone Brabant flamand à la barre

Le major des pompiers de la zone incendie du Brabant flamand, l’un des premiers à intervenir à l’aéroport de Zaventem le matin du 22 mars 2016, a retracé le cours de sa journée qui avait commencé par le signalement, à 8h02, quatre minutes après la première déflagration, d’une “explosion” à l’aéroport. Il est revenu sur les différentes missions qu’ont eu à remplir les nombreux hommes du feu déployés à Brussels Airport ce jour-là.

Face à des “circonstances de guerre”, il explique qu’il a dû, pour la première fois de sa carrière, demander à tout le corps des pompiers de la zone, soit environ 700 personnes, de se tenir prêt. Il a confié à la présidente avoir craint pour sa vie ce jour-là, redoutant une autre attaque.

Arrivé sur place, il raconte avoir été “confronté à la dure réalité d’une zone de guerre, voyant des victimes transportées vers l’extérieur, “avec des membres manquants et complètement ensanglantées”. Du jamais vu dans sa carrière de 36 ans.

Durant la matinée, les différents services sur place recevront plusieurs fausses alertes. La première concernait la présence d’un tireur sur le toit alors qu’une deuxième portait sur la possibilité qu’une voiture piégée se trouve à côté du bâtiment, la caserne de pompiers de l’aéroport, qui accueillait le poste médical avancé. “J’ai alors dû prendre l’une des décisions les plus difficiles de ma carrière. J’ai dit à tous les secouristes d’évacuer les lieux et laisser victimes sur place”, raconte le major. “C’était inconcevable, mais on n’avait pas le choix ici, on était obligés de le faire.” Pour lui, les victimes ont alors “traversé l’enfer” pour la 2e fois.

Lorsqu’il est apparu qu’il pourrait y avoir une 3e bombe dans le terminal, secouristes, pompiers, policiers et militaires se sont réfugiés dans l’hôtel Sheraton en face du terminal. Mais les analyses montraient qu’ils n’y étaient pas en sécurité en cas d’explosion. Décision a donc été prise d’évacuer le bâtiment par l’arrière, vers un parking. C’est à ce moment qu’a eu lieu une troisième fausse alerte, une nouvelle fois pour un tireur se trouvant sur un toit. L’ensemble des personnes qui avaient évacué le Sheraton s’est alors couché sur le sol. “J’ai pensé que c’était la fin”, a dit le major des pompiers devant la cour d’assises.

Le responsable a encore confié dans son témoignage avoir vu des hommes, pour certains expérimentés, qui pleuraient car ils n’avaient jamais assisté à une expérience comme celle-là et avaient été “confrontés à l’horreur”.


18h24 – “La troisième bombe aurait pu exploser en cas de choc”

L’audience du jour s’est terminée par l’audition d’un officier du Service d’enlèvement et destruction d’engins explosifs (SEDEE). Lors d’un exposé long et technique, le militaire a détaillé toutes les étapes de l’intervention du SEDEE à l’aéroport après son arrivée sur les lieux, peu après les deux détonations.

“Nous sommes partis d’initiative, nous ne savions pas précisément ce qu’il se passait à l’aéroport”, a affirmé l’officier. “À notre arrivée c’était le chaos. J’ai un déclic dans ma tête, je ne suis plus à Bruxelles, je suis en Afghanistan.”

Étant le plus gradé sur les lieux, l’homme prend les choses en main afin de coordonner l’action de tous les intervenants sur place. L’objectif est non seulement de sécuriser les lieux, mais également de sauvegarder les éventuelles pièces à convictions, notamment en coupant les arrivées d’eau et d’électricité. Le SEDEE se chargera également d’organiser l’évacuation des débris et des bagages abandonnés sur place. “On ne pouvait pas utiliser les chiens détecteurs d’explosifs car l’air était empli de particules des deux bombes qui avaient explosé.”

Début d’après-midi, l’officier est informé de la présence d’une troisième bombe dans le hall des départs. Après avoir demandé l’évacuation des lieux et visionné les images de surveillance, il parvient à localiser l’emplacement approximatif du bagage contenant l’explosif, qui est ensuite localisé à l’aide de rayons X. Les images montrent un cylindre métallique dans lequel se trouve une charge ainsi que des vis et des boulons.

“J’ai retrouvé le sac dans le même état que ce qu’il était sur les vidéos, personne n’y avait touché et il n’avait été percuté par des débris”, a expliqué le militaire. À la question de la présidente de la cours sur la possibilité d’une détonation si l’explosif avait subi un choc, il a répondu par l’affirmative. Le SEDEE finira par faire exploser le dispositif sous contrôle et prélèvera ensuite des pièces à conviction, notamment des frottis sur les lieux de détonation.


■ Reportage de Camille Tang Quynh, Nicolas Scheenaerts et Laurence Paciarelli.

Gr.I. avec Belga – Photo : Belga/Pool Benoit Doppagne

Partager l'article

21 décembre 2022 - 18h25
Modifié le 23 décembre 2022 - 12h32