Procès des attentats de Bruxelles : “Ce tribunal est un endroit sinistre, mais il s’y passe de belles choses aussi”
Plusieurs victimes et leurs proches ont témoigné à leur tour ce mardi devant la cour d’assises Bruxelles, dans le cadre du procès des attentats du 22 mars.
En début de journée, la cour a notamment entendu Jaana Mettälä, une Suédoise qui était enceinte de six mois lorsqu’elle a été prise dans l’attaque de Maelbeek.
Après le témoignage, il y a près de deux semaines, de la famille d’Yves Ciyombo, c’est son épouse qui est venue évoquer la perte de cet homme de 27 ans, père de leurs deux filles.
Sabine Borgignons est également venue déposer son histoire. Cette rescapée de la station de métro bruxelloise s’est réveillée quelques semaines après les faits avec les tympans percés et des brûlures, mais sans aucun souvenir des attaques.
Des témoignages de victimes des attentats à Bruxelles du 22 mars 2016 sont encore prévus le lundi 3 avril en matinée, alors qu’aurait normalement dû débuter à ce moment-là l’interrogatoire croisé des accusés. Plusieurs témoins prévus mardi après-midi ont en effet été repoussés à cette date, le programme initial n’ayant pas pu être respecté.
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12h27 – “Ce tribunal est un endroit sinistre mais il s’y passe de belles choses aussi”
L’audience de mardi au procès des attentats du 22 mars 2016 s’est ouverte sur le témoignage de Jaana Mettälä, une Suédoise grièvement brûlée à Maelbeek par la bombe du kamikaze Khalid El Bakraoui. Durant près de deux heures, elle a détaillé l’explosion, son parcours de soin et son acharnement à mettre au monde dans les meilleures conditions le bébé qu’elle portait alors. Le procès devant la cour d’assises de Bruxelles est une nouvelle étape dans sa reconstruction.
“J’avais décidé il y a longtemps que j’allais y assister. Mais j’ignorais l’importance qu’il allait relever“, a souligné cette femme de 50 ans, au visage doux et lisse malgré les graves brûlures endurées – “j’ai beaucoup travaillé pour ça“, lance-t-elle, photo de son masque de compression en silicone à l’appui. De son propre aveu, ce n’est qu’au Justitia qu’elle a accordé une place aux accusés. “J’essaie de ne pas trop imaginer à quoi ils pensent: est-ce qu’ils ont des remords ? Pour avoir des remords, il faut d’abord se sentir concerné par la souffrance de toutes les personnes venues témoigner. Se sentent-ils concernés ?“, interroge-t-elle sans vraiment attendre de réponse.
Les neuf accusés présents pourraient tout aussi bien encore s’accrocher à l’idéologie djihadiste et rester imperméables à la douleur des victimes qui, depuis le 6 mars, prennent la parole devant la cour, poursuit-elle. Affirmant ne pas vouloir “se livrer à cette spéculation“, Jaana Mettälä écoutera avec intérêt l’interrogatoire des accusés, s’ils acceptent de parler. “Je suis consciente qu’il s’agit de neuf individus différents et qu’il faut les séparer.” Ce sera le travail du jury. Le sien consistera peut-être à pardonner. Mais pour l’envisager, “il faut un échange, une demande de pardon“. Par contre, ajoute directement cette mère de désormais deux enfants, “je ne pardonnerai jamais les trois terroristes de Zaventem et Maelbeek“.
Sa fille Maylie était, à 6,5 mois de grossesse, encore bien au chaud dans le ventre de sa mère lorsque Janaa a été soulevée du quai par le souffle de l’explosion. “Comment lui expliquer que ce que j’appelais pour la préserver ‘un accident’ était en fait un acte intentionnel ?“, se demande la fonctionnaire européenne, pour qui il est “incompréhensible de passer tant de temps à chercher comment fabriquer une bombe, trouver des cibles pour faire le plus de blessés et de morts possibles“.
“Ce tribunal est un endroit sinistre et je ne pensais pas y passer trois mois, déjà. Mais il s’y passe de belles choses aussi“, a salué la Suédoise, remerciant notamment les autres victimes pour le partage, la compréhension, l’écoute et même l’affection qui y règne entre des personnes qui, avant, ne se connaissaient pas. “Après sept ans, il faut tourner la page“, estime la quinquagénaire. Non sans “continuer à parler de ce qui s’est passé. Le passé fait partie de notre présent et de notre futur“, conclut Jaana Mettälä, avec une pensée pour les 32 personnes décédées à Zaventem et Maelbeek auxquelles elle se sent “connectée“.
14h29 – “C’était toute ma vie et vous me l’avez enlevé”
Après le témoignage, il y a près de deux semaines, de la famille d’Yves Ciyombo, c’est son épouse qui est venue évoquer la perte de cet homme de 27 ans, père de leurs deux filles. Elle a expliqué avoir décidé en dernière minute de venir à la barre après avoir entendu les plaintes des accusés quant à leurs conditions de transfert et des fouilles à nu avec génuflexions auxquelles ils étaient soumis jusqu’il y a peu. “Cela m’a donné le courage de venir aujourd’hui.”
“J’ai tenu à venir pour que mon mari ne soit pas juste un nom. Derrière ce nom, il y a une personne qui aimait la vie, positive, joyeuse, un vrai soleil“, a-t-elle ajouté.
Le soir des attaques, cette juriste âgée aujourd’hui de 32 ans s’est rendue avec sa famille à l’hôpital militaire de Neder-over-Hembeek pour tenter de trouver des informations concernant Yves. “On nous a laissés à notre propre sort. J’étais en mode zombie. On ne ressent plus rien dans ces cas-là. C’était toute ma vie et vous me l’avez enlevé“, a-t-elle lancé, pleine de colère et de larmes, se souvenant avec douleur de l’incertitude du moment.
“Ce jour-là, mon coeur était mort“, a confié la jeune femme à propos du jour où elle a appris le décès de son mari. “Je n’ai plus rien ressenti pour personne. J’étais dans mon lit et je ne ressentais plus rien.” Après les attentats, elle est restée cloîtrée, “muselée dans (s)on coin“, de peur de souffrir, de ne “pas être entendue de toute façon“, a-t-elle expliqué.
“J’aurais aimé être à sa place. Lui, il aurait assuré sur tous les fronts, il aurait profité de la vie.”
La témoin a décrit un mari et un père aimant, qui préparait des gâteaux pour ses filles de 3 et 4 ans à l’époque. “À chaque fois que c’est possible pour moi, je leur parle de lui, de ce qu’il aimait.”
“Une chose que ces personnes-là ne pourront jamais nous enlever, c’est l’amour que l’on se porte à l’autre. Il me manque énormément et à mes filles aussi“, a poursuivi la veuve d’Yves. Elle regrette plus que tout que ses filles n’aient jamais la chance de voir leur papa venir les chercher à l’école, qu’on leur ait enlevé la chance de vivre avec “un papa en or”. “Dans les pires moments, ma fille aînée a déjà dit qu’elle voudrait le rejoindre au ciel car elle ne veut plus vivre“, a encore confié la trentenaire. La plus petite, quant à elle, ne se souvient plus vraiment de son père.
“J’ai délaissé mes filles pendant des années car je n’avais plus rien à leur donner“, s’est-elle remémorée, évoquant une tentative de suicide ratée. “J’aurais aimé être à sa place. Lui, il aurait assuré sur tous les fronts, il aurait profité de la vie.”
Assurant ne ressentir “aucune émotion pour les accusés“, la jeune veuve a néanmoins souhaité devant la cour que le jury les condamne à “la peine maximale” et “qu’ils souffrent le plus possible“. “Les vrais musulmans ne feraient jamais de mal à une mouche“, a-t-elle ajouté, déplorant une “capacité de réflexion limitée” des accusés. “Je ne pense pas qu’on puisse commettre des actes pareils quand on a connu l’amour comme celui d’Yves et moi. Mais je pense qu’ils ne ressentent rien car, pour eux, on n’est que des mécréants.”
Boule anti-stress en main, la trentenaire a reproché aux accusés d’avoir ôté “tous leurs droits” aux victimes décédées. “Je ne vous pardonnerai jamais. Je suis incapable de vous pardonner, alors que je sais que c’est mon salut.”
“C’est la première fois que je parle et que j’ouvre mon coeur“, a-t-elle conclu, la présidente de la cour lui répondant que c’est là “le début d’une nouvelle page“. En sortant de la salle d’audience, elle dévisagera les accusés, les lèvres serrées.
16h30 – “J’aimerais rencontrer la personne qui m’a sortie du métro”
Artisane joaillière, Sabine Borgignons se soigne par l’art. Mais aussi en témoignant au procès des 10 hommes accusés des attentats-suicides de Zaventem et Maelbeek, qui ont tué 32 personnes et blessé des centaines d’autres le 22 mars 2016. Parmi ces vies écorchées, la rescapée du deuxième wagon (celui-là même où s’est fait exploser le kamikaze Khalid El Bakraoui) pense aux personnes venues en aide aux victimes peu après l’attaque.
“J’aimerais bien rencontrer la personne qui m’a sortie du métro. Lui dire que je suis toujours vivante, que je vais bien“, encourage la quadragénaire. “Je voudrais juste dire ça aux premiers intervenants. Je sais qu’ils ne vont pas bien et savoir qu’ils ont sauvé quelqu’un peut leur mettre un peu de baume au coeur“, a-t-elle ajouté avec douceur.
À côté de sa mère, également venue témoigner, la bijoutière demande de projeter une photo du métro éventré. La carcasse de fer est barrée d’une croix rouge près de la porte explosée. “J’étais assise près de la fenêtre et le kamikaze était juste derrière“, explique l’artiste, qui n’a aucun souvenir de l’attentat. Elle raconte avoir un “trou de cinq ou six mois“.
Outre les séquelles physiques (brûlures, éclats de métal toujours logés dans son corps), elle a dû abandonner la bijouterie, un art auquel elle s’est formée dès ses 15 ans. “Je ne sais plus fabriquer de bijou, mes mains restent bloquées. Et j’ai peur du chalumeau, un des outils principaux” dans l’orfèvrerie. Mais “peut-être qu’il est temps de faire autre chose“, sourit-elle tranquillement.
17h34 – “Non, je ne crois pas qu’il y ait eu de la chance ce jour-là”
“Non, je ne crois pas qu’il y ait eu de la chance ce jour-là. Juste des gens qui ont fait le choix conscient de tuer d’autres personnes, aveuglément“, a confié mardi après-midi une victime de l’explosion à la station de métro Maelbeek le 22 mars 2016. Mathilde Reumaux se trouvait dans la troisième voiture du convoi, celle où le kamikaze s’était initialement positionné avant d’en changer, puis de déclencher sa charge explosive quelques instants plus tard.
Que cette femme, âgée aujourd’hui de 35 ans, et son mari soient sortis indemnes de l’attaque, ils le doivent, selon elle, à un “concours de circonstances” et à la décision de Khalid El Bakraoui de changer de voiture alors que le métro se trouvait à la station de métro Maelbeek.
“Non, je ne crois pas qu’il y ait eu de la chance ce jour-là“, a-t-elle ajouté, en réponse à ceux qui soulignent sa bonne fortune de s’être placée sur le quai “quelques mètres” en retrait de la deuxième voiture, ce 22 mars 2016. “Il y a juste eu des gens qui ont fait le choix conscient de tuer d’autres personnes, aveuglément. Qui ont fait le choix de tuer au nom d’une cause qu’ils n’ont finalement fait que desservir.”
La trentenaire ne peut s’empêcher de se demander ce que les accusés pensent des témoignages qu’ils ont entendus jusqu’à présent. “Vous êtes tellement blindés et aveuglés que cela ne vous atteint plus ?“, s’est-elle interrogée. Si leur idée, avec les attaques, était d’ébranler le modèle et les structures de l’État belge, “je ne crois pas que cela ait marché“, a fait remarquer Mathilde Reumaux.
“J’ai hésité à venir. Je me suis demandée la valeur ajoutée de mon témoignage. Comment parler après toutes ces personnes (grièvement blessées, NDLR) ? Que peut-on rajouter quand on n’a pas été touchée de la même manière ?“, a-t-elle poursuivi devant la cour d’assises. Mais “c’est ici que justice doit être faite“, a-t-elle raisonné, et “c’est à nous de vous raconter ce qu’il s’est passé ce jour-là“.
Mathilde Reumaux a donc rapporté son vécu des événements du 22 mars 2016: la manière dont elle et son mari ont ressenti l’explosion, leur réflexe de s’accroupir juste après, puis les odeurs de brûlé alors que les lumières du métro étaient éteintes. Ce pilotage automatique qui s’est mis en route et les a aidés à sortir de la rame, puis de la station. Elle a aussi décrit les corps qui gisaient sur le quai, “parfois ce qu’il en restait”, et l’air irrespirable qui régnait sur place. “On suit le mouvement. Pour autant, on est aussi attirés par ce qu’il se passe derrière nous pour voir si quelqu’un a besoin d’aide.”
Une fois à l’air libre, le couple réalise ce qui vient d’arriver. Il commence par aller chercher assistance auprès du personnel de l’hôtel Thon tout proche, puis vient en aide à plusieurs victimes, “parfois sans savoir où donner de la tête“. “Beaucoup d’entre elles sont complètement sous le choc, hébétées“, se souvient la témoin.
La femme et son mari rentrent à leur domicile à la mi-journée. Ils décompressent le lendemain, pleurant alors pour la première fois. Tous deux se fixent comme objectif de reprendre le métro dans les jours suivants, ce qu’ils font 10 jours après les attentats. Leur trajet débute, comme toujours, à Pétillon et passe par Maelbeek, où le convoi ne s’arrête pas vu les travaux de réparation de la station en cours. “On s’effondre à l’idée que des gens gisaient sur le quai. Ce premier trajet en métro est très éprouvant, stressant“, se souvient-elle. Le couple sortira un arrêt avant sa destination finale “à bout de souffle, à bout de nerfs“.
Les derniers témoignages des victimes prévus le 3 avril
Des témoignages de victimes des attentats à Bruxelles du 22 mars 2016 sont encore prévus le lundi 3 avril en matinée, alors qu’aurait normalement dû débuter à ce moment-là l’interrogatoire croisé des accusés. Plusieurs témoins prévus mardi après-midi ont en effet été repoussés à cette date, le programme initial n’ayant pas pu être respecté.
La présidente a ainsi déplacé les témoignages de trois personnes à lundi et en a ensuite rajouté un quatrième. Ce n’est qu’ensuite que l’interrogatoire croisé des accusés pourra commencer. Il devrait s’étaler sur deux semaines, avec de possibles audiences le vendredi alors qu’il s’agit normalement d’un jour de relâche. Avant cela, les victimes auront encore la parole mercredi. Ce sera notamment le cas de Karen Northshield, qui avait été grièvement blessée dans les attaques à Brussels Airport, et de Patricia Mercier, qui se trouvait dans la deuxième voiture du métro, à quelques mètres du kamikaze. Jeudi, des experts en géopolitique, en criminologie et en psychiatrie (pour évoquer le processus de radicalisation) seront entendus.
Avec Belga – Photos : Belga/Laurie Dieffembacq