Olivier Maingain : “J’ai joué le rôle de lanceur d’alerte”
Le bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert, Olivier Maingain (DéFI) a été le premier à prendre la décision d’imposer une quarantaine aux familles revenant d’Italie en mars 2020. Il a été très critiqué pour cette décision mais la suite des événements lui a donné raison.
Nous sommes en janvier 2020 et la Chine lutte contre le covid-19. Quel est votre état d’esprit?
Comme beaucoup avec des informations assez lacunaires, je regarde ça en me disant que le risque d’une migration n’est pas nul mais que les instances de l’OMS vont prendre les mesures préventives. Le phénomène va être circonscrit.
Pourtant vous êtes le premier à prendre des mesures de restriction dès les vacances de carnaval.
Les directions d’école m’interpellent. Une famille va en Chine et la direction s’étonne qu’il n’y ait pas de mesure plus ferme pour lui interdire d’y aller. Et surtout pour le retour, que faisons-nous ? J’ai des alertes de parents qui vont en Italie. Je m’en préoccupe dès la mi-février. Je tente de savoir si nous avons des instructions qui viennent des autorités supérieures. Je m’attends à devoir ordonner la mise en quarantaine des enfants de personnes revenant de zones à risques. Je ne vois rien venir. Je suis moi-même en congé mais je gère à distance et je demande que mon service juridique me prépare une ordonnance de police pour imposer une quarantaine. C’est une mesure préventive en matière de santé publique. Directement, le secrétaire du Conseil des ministres m’appelle et me demande pourquoi j’ai pris cet arrêté. Je lui envoie l’arrêté de l’ordonnance de police qui n’a jamais été contesté sur le plan juridique. Le 2 mars, nous sommes convoqués à un premier Conseil régional de sécurité par le ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort. J’expose mon ordonnance, la discussion est ouverte et je dis que si le ministre-président prend une ordonnance pour tout le territoire, je retire la mienne. Il ne le fait pas, je maintiens mon ordonnance.
Vous étiez très seul à ce moment-là.
Personnellement, je me suis dit que le risque sanitaire était réel. Cette ordonnance était un signal d’alerte aussi. Maggie De Block (NDLR la ministre de la Santé de l’époque) a dit que mon ordonnance n’était pas utile. Je me sens seul, je fais l’objet de railleries. J’assume mes responsabilités. Les pouvoirs de police ne sont pas facultatifs. Les pouvoirs sont des devoirs. La suite des événements m’a donné raison. J’ai joué le rôle de lanceur d’alerte.
Comment organisez-vous la commune lors du premier confinement?
Nous passons un temps considérable à lire les circulaires, les arrêtés ministériels, on se pose 36.000 questions. J’ai mis en place une cellule de gestion. Nous avons tout fait en visioconférence. J’ai tenu régulièrement des réunions avec les chefs de service. Nous n’avons jamais été en rupture de stock de matériel de protection pour les fonctionnaires. Nous avons continué à travailler avec une permanence pour chaque service. La disponibilité du personnel a été totale et nous n’avons jamais été à l’arrêt. Nous avons aussi distribué à la population deux masques par habitant. Ça a tourné parfaitement, sans difficulté majeure. Nous n’avons jamais été en défaut d’assumer nos obligations.
Les maisons de repos ont été très touchées lors de la première vague. Pensez-vous qu’elles ont été abandonnées?
Les maisons de repos ont été abandonnées. Si je garde un moment d’émotion, c’est quand j’ai réuni les directions de maisons privées pour faire le point. Nous avons tenté de palier le manque d’équipement en fournissant des visières. Les fonctionnaires ont distribué du matériel sur le budget communal. Au début, les maisons de repos étaient livrées à elles-mêmes. Elles étaient très démunies pour l’accompagnement de leurs équipes. Il n’y avait pas toujours un médecin référent efficace. Dans la commune, nous n’avons pas eu un taux de décès élevé, mais il est clair que la capacité d’avoir du matériel et le délai de prise de mesures ont facilité la propagation du virus. Il faut tirer des enseignements sur la gestion de cette crise.
Lesquels selon vous?
Il faut une unité de commandement. La force de la gestion de la commune dans une crise est que le bourgmestre assure la prise de décision et l’unité de commandement. J’assume car la loi me l’y oblige. Au fédéral, en période de crise, quelle est l’autorité qui peut prendre la décision ? Je trouve qu’il y a une réflexion à avoir. Je crois que le niveau communal est très opérationnel avec une capacité d’adaptation plus grande. Nous gérons une multiplicité de missions quotidiennement. Les communes sont des pouvoirs tout-terrain. Le personnel ouvrier de la commune est allé distribuer des repas à domicile pour les personnes âgées. La Région s’en est remise aux communes pour la vaccination, mais nous aurions pu avoir un centre de vaccination par localité. Pour convaincre la population d’adhérer, rien ne vaut l’autorité communale. Il n’y a plus ni de curé ni de médecin de famille mais il y a encore les bourgmestres. La confiance de la population est réelle. J’ai des gens qui me demandent s’ils doivent se faire vacciner. L’autorité du bourgmestre est réellement respectée.
Vous trouvez que la coordination entre les bourgmestres et la Région a été efficace?
La coordination entre les bourgmestres s’est mise en place rapidement. Nous avons eu une capacité d’anticipation comme lors de l’imposition du port du masque dans certaines voiries. Sur le plan pratique, les bourgmestres ont été plus proches de la réalité que les autorités supérieures. Sans les communes et sans les bourgmestres, gérer la crise aurait été impossible. A part lors des Conseils régionaux de sécurité où le ministre-président nous écoutait, jamais les ministres de la Santé ou de l’Intérieur n’ont réuni les bourgmestres pour recueillir leur expérience de terrain, ne serait-ce que par province. Les autorités supérieures n’ont pas écouté. Les 19 bourgmestres bruxellois ont été les plus coordonnés et les plus disciplinés. On dit toujours “Bruxelles est ingérable”. Pas du tout! Nous avons montré notre entente, tous partis confondus. La conférence des bourgmestres a toujours eu une expertise en maintien de l’ordre et dans l’urgence. Nous sommes efficaces.
Comment vivez-vous personnellement le premier confinement?
Je vis le premier confinement avec beaucoup de prudence car je ne dois pas tomber malade. Je me consacre à ma fonction matin et soir. Je viens tous les jours à la commune. Parfois je m’interroge sur les mesures à prendre en me disant qu’il serait plus simple qu’elles viennent d’en haut, mais ce n’est ni dans ma nature ni dans ma vision de la fonction d’attendre. Cependant, nous ne sommes pas préparés à cela. Nous avons eu des exercices de simulation pour des attentats terroristes, mais jamais pour une crise sanitaire. Cela nous manque d’ailleurs. Au début, personne ne nous dit pas de manière précise ce à quoi nous devons être attentifs en tant que bourgmestre dans la gestion de la crise. Je vois cela avec mon œil de juriste. J’ai une multitude de gens qui m’écrivent. Est-ce que je peux voyager? Est-ce que je peux faire ci ou ça? Nous sommes submergés, mais nous assumons comme nous pouvons. J’ai aussi l’inquiétude de ne pas être à la hauteur et cela m’a empêché de dormir. Ça m’a occupé l’esprit. Rétrospectivement, je ne sais pas comment j’aurais fait si j’avais été encore député et président de parti.
Quand on déconfine en juin 2020, vous pensez que tout est fini?
Je suis très confiant. J’ai des amis médecins qui disent qu’avec l’été, les rayons UV vont tuer le virus. Je pars en vacances dans ma maison en Bourgogne. Je reste prudent mais je pense que l’été va effacer le risque. Je déchante très vite. Début septembre, je comprends qu’il faut reconfiner. Et là, je me dis que les mesures doivent être fortes.
Ce deuxième confinement semble interminable. Comment gérez-vous les tensions naissantes?
Nous avons tenté, avec les deux autres bourgmestres de la zone de police, de faire de la pédagogie. Je ne dis pas que cela a été appliqué de manière uniforme par tous les agents de police, mais nous leur demandions de procéder d’abord par avertissement. J’ai parfois eu du courrier de gens qui râlaient mais cela était très marginal. La lassitude gagnait les esprits notamment dans les écoles. Les équipes pédagogiques étaient très fatiguées.
On a beaucoup parlé des difficultés de contrôle des quarantaines.
Je n’ai pas signé l’accord de coopération pour le contrôle des quarantaines. Cela me pose un problème de respect de la vie privée. Pour tout ce qui relève du suivi du traçage ou de la quarantaine, la Région a tardé et ne nous a pas écouté. Il y a une grande imprécision et une lacune juridique. Il faut revoir l’architecture légale. Quand un policier contrôle une quarantaine, il n’est plus dans l’espace public mais dans le privé. Je vais d’ailleurs soulever ce point lors d’un prochain Conseil régional de sécurité.
Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
Je suis moins confiant que l’an dernier. Je crains que la vaccination ne soit pas suffisante pour tenir jusqu’à la fin de l’année face à certains variants. On aura peut-être une troisième dose. Même pendant cette période de vacances, il faut être prudent. Je crains que cela ne soit la cause d’une reprise de l’épidémie.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?
La charge de travail a été colossale, mais par rapport à d’autres professions, c’est relatif. Tout ce qui fait le bonheur de vivre a été supprimé. Mais je n’étais pas isolé car j’étais tous les jours en activité.
Qu’est-ce qui vous a surpris?
Ce qui m’a surpris, c’est l’impréparation totale en ce y compris de la communauté scientifique, à gérer ce genre de pandémie. Et de manière positive, je trouve que nous avons eu une population très sereine qui a pris conscience du danger. Elle a traversé la crise avec maîtrise et compréhension.
Qu’est-ce qui vous a choqué?
Le manque de courage de certains politiques m’a choqué. On ne peut pas demander à la communauté scientifique de rendre des avis et ensuite prendre uniquement ce qui nous convient et dévaloriser les autres points qui ne nous arrangent pas. Personne ne demande aux scientifiques de prendre des décisions, seulement d’éclairer. Je n’aime pas comment certains se sont défaussés sur eux. Il faut revoir le statut du scientifique, lui donner un statut correct financièrement et il faut peut-être créer une instance permanente pour surveiller le risque de pandémie.
Qu’est-ce qui vous a manqué?
Sur le plan personnel, j’aime voyager, aller au théâtre, me donner du temps de vivre autrement. Je suis quelqu’un capable d’assumer seul des activités. Je peux être autonome pendant longtemps donc cela a été.
Qu’est-ce que cette crise a changé chez vous?
J’ai encore plus l’envie de vivre plus intensément. Je dis toujours à ma femme, dès qu’on pourra, on fera ceci ou cela. J’aime l’idée qu’on puisse à nouveau être curieux de tout sans limite.
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Vanessa Lhuillier