Les premières victimes témoignent au procès des attentats de Bruxelles : “Leur montrer que j’ai pu me reconstruire”
C’est une étape importante. Attendue mais aussi redoutée par les victimes qui assistent au procès. Pendant un mois, quelque 50 victimes se succèderont devant la cour. Deux semaines pour les victimes de l’aéroport et deux semaines pour celles du métro Maelbeek.
La cour d’assises juge 10 hommes pour leur implication dans ces attentats. Oussama Atar, qui serait mort en Syrie, fait défaut. Huit autres – Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa, Ali El Haddad Asufi et Smail Farisi – sont accusés de participation aux activités d’un groupe terroriste, d’assassinats terroristes sur 32 personnes et de tentatives d’assassinat terroriste sur 695 personnes. Le neuvième, Ibrahim Farisi, ne doit répondre que de participation aux activités d’un groupe terroriste.
Lundi, Sofien Ayari, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa et Ali El Haddad Asufi ainsi que – une fois n’est pas coutume – Osama Krayem et Mohamed Abrini ont assisté à l’audience. Salah Abdeslam a, lui, demandé à rejoindre le cellulaire. Les frères Smail et Ibrahim Farisi, qui comparaissent libres, n’étaient pas présents de la journée.
Les médecins décrivent les dégâts chez les victimes, marquées dans leur chair
Avant d’aborder les témoignages des victimes, moment-clé dans ce procès fleuve, la cour d’assises chargée d’examiner les attentats du 22 mars 2016 a entendu des médecins spécialistes, lundi matin. Du haut de leur expertise, ils sont venus expliquer les dégâts chez les rescapés, marqués dans leur chair et psychologiquement.
“Nous avons accueilli 23 victimes à l’hôpital de à Neder-Over-Heembeek, brûlés à des degrés divers. La plus sévère, un enfant âgé de 12 ans, était brûlée sur 40% du corps, mais la moyenne oscillait entre 8 ou 10%. Les patients souffraient également de lésions dues au polycriblage, résultant de la projection de toute sorte d’objets sur le lieu de l’explosion. On n’avait jamais vu ça en Belgique… C’est plutôt le genre de scènes de guerre que nos médecins militaires observent en Afghanistan“, témoigne Serge Jennes, anesthésiste-réanimateur, spécialiste des grands brûlés.
Les brûlures constituent souvent les traumatismes les plus sévères endurés pour l’homme. Elles se doublent d’une souffrance intense. “Ces plaies nécessitent des greffes et des séjours longues durées à l’hôpital. Il faut compter en moyenne un à deux jours d’hospitalisation par pourcentage de peau brûlée“, poursuit Serge Jennes. “Les cicatrices ont un impact psychologique certain et les patients doivent porter des vêtements compressifs qui exercent une pression sur la peau 23 heures sur 24 pendant un à deux ans“. Les plaies récidivantes et les démangeaisons sont légion.
D’un point de vue professionnel mais aussi personnel, le handicap est persistant: “un tout grand brûlé ne transpire plus, donc on contrindiquera tout travail exercé dans une atmosphère très chaude“, pointe encore le médecin anesthésiste. “Ce sont des martyrs comparés à d’autres traumas“, résume-t-il enfin.
Les sujets les plus sévèrement atteints devront passer par des services de revalidation et de réadaptation. “Nous intervenons après la vague des sauveteurs, des services d’urgence, des urgentistes,… On va aider les personnes à se réinsérer dans la société. On ne pourra pas les guérir mais les soigner le mieux possible, à l’aide d’une équipe pluridisciplinaire“, explique Thierry Lejeune, médecin spécialiste en médecine physique et réadaptation.
De nombreuses victimes des attentats ont par ailleurs souffert de troubles ou lésions auditives, à la suite des explosions (effet de souffle, le “blast”) responsables de cas de surdité, de pertes d’équilibre, d’instabilité à la marche, d’acouphènes, d’hyperacousie et d’autres maux aux séquelles très handicapantes et souvent définitives, pour lesquels les traitements sont limités et restent – pour certains – encore à un stade expérimental, selon Gérald Van Geert, expert ORL en dommages corporels.
Si pendant l’hospitalisation, la sécurité sociale prend en charge une bonne partie des frais médicaux, plusieurs coûts devront ensuite être assumés par le patient au fil de sa rééducation (déplacements, bandages, prothèses auditives,…), indiquent les praticiens. Le chemin vers une forme de guérison peut durer des années voire toute une vie, concluent-ils.
►Les détails de la matinée, avec Arnaud Bruckner
Certaines victimes n’auront pas le courage de venir témoigner, prévient Me Aline Fery
Plusieurs victimes des attentats du 22 mars 2016 ayant ont été appelées à la barre n’auront pas le courage de venir témoigner, a prévenu Aline Fery, avocate de l’association de victimes Life4Brussels, dans un commentaire précédant les témoignages tant attendus. Elle a regretté que, près de sept ans après les faits, de nombreuses victimes n’ont toujours pas été indemnisées.
“Plusieurs dizaines de victimes vont expliquer dans leur chair, dans leur être, de ce qu’ils ont vécu de cette funeste journée du 22 mars“, a-t-elle exposé. “Pour certaines, c’est un combat quotidien, d’autres ne s’en relèveront jamais“, a-t-elle souligné. Certaines victimes ne se présenteront pas à la barre, a-t-elle fait savoir. “Certaines personnes n’ont pas la force d’affronter la cour d’assises, le regard des accusés, la souffrance. Cela ne veut pas dire qu’elles ont un désintérêt pour la cour d’assises, loin de là. Elles n’ont tout simplement pas le courage“, a-t-elle indiqué, enjoignant dès lors la cour à faire preuve de compréhension à leur égard. L’avocate a également dénoncé le fait que, près de sept ans après les faits, bon nombre de victimes n’ont toujours été indemnisées et assument seules leurs frais médicaux. “Elles se battent toujours contre les compagnies d’assurance“, a-t-elle fustigé, estimant qu’elles étaient maltraitées par le système.
L’athlète paralympique Béatrice De Lavalette est la première à témoigner
La première victime à s’exprimer est Béatrice De Lavalette, qui était dans le hall des départs le 22 mars et y a laissé ses deux jambes, à 17 ans. “Je ne me rappelle pas de la bombe. Je me souviens de me réveiller sur le sol du hall de l’aéroport, et de voir ma jambe à angle droit. Il y a une dame en vie, avec ses cheveux en feu. J’ai voulu les éteindre avec ma main. Quand elle a compris que j’étais là, elle a tenu ma main“, témoigne-t-elle.
À la barre, elle témoigne aussi, photos à l’appui, de son parcours de reconstruction. “Cela montre la personne que j’étais avant, pendant et après. Je crois que c’est important que les accusés le voient, que malgré ce qu’ils ont fait, j’ai réussi à continuer ma vie.” Ce qui l’a aidée, c’est sa famille, ses amis, mais aussi sa passion pour le cheval. “J’avais 17 ans et je pensais que ma vie était derrière moi. Quand j’ai vu mon cheval, j’ai réalisé qu’il m’attendait et que je devais faire de mon mieux pour remonter en selle.”
La jeune femme de 24 ans vit désormais aux États-Unis, le pays qu’elle a représenté lors des derniers jeux paralympiques. Venir témoigner en Belgique s’est révélé être un véritable parcours du combattant pour elle.
Deux proches de victimes décédées renoncent à témoigner devant la cour d’assises
Deux proches de victimes décédées à Zaventem et qui devaient s’exprimer lundi après-midi devant la cour d’assises de Bruxelles ont renoncé à prendre la parole. À la place, la présidente Laurence Massart a lu à l’audience une lettre adressée à la cour par l’épouse d’un ressortissant américain, puis un procès-verbal pour suppléer le témoignage de la mère d’une trentenaire de nationalité allemande.
Fonctionnaire d’État américain, Bruce Baldwin avait 66 ans lorsqu’il a été fauché par la première bombe déclenchée à Zaventem. “Personne ne devrait être hanté par le fait d’avoir conduit son mari à l’aéroport“, écrit l’épouse du sexagénaire à l’entame de sa missive. “Par la décision d’avoir pris un chemin plus rapide pour s’y rendre, par le baiser rapide donné avant de le voir partir en tirant sa valise. Rien de tout cela ne devrait vous revenir en mémoire, tout comme l’horrible bruit après“, celui de la double explosion des kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui.
L’un a enclenché sa charge à 07h58 dans l’ancien hall des départs du terminal “low cost” et l’autre, quelques secondes plus tard, dans le nouveau bâtiment, tuant ensemble 32 personnes et faisant des centaines de blessés. Après l’enterrement de Bruce Baldwin dans son Midwest natal, sa veuve est retournée à Bruxelles pour travailler à l’Otan. “Bruce se matérialisait partout: en rue, traversant la Grand-Place…“, décrit-elle. Affectée à un poste au Caire à l’été 2017, où elle passera quatre années “extraordinaires” entourée d’amis communs du couple, elle met un terme à sa carrière diplomatique car “sans Bruce, ce n’était plus envisageable”. Cinq mois plus tard, un cancer du sein lui est diagnostiqué. “Quand j’étais trop faible pour me lever ou quand j’ai commencé à perdre mes cheveux, Bruce aurait dû être là.”
“Si Bruce était mort d’une mort naturelle, ce serait une tristesse saine“, conclut Mme Baldwin. “Son meurtre de Bruce m’a abîmée.” D’un coup d’oeil dans le rétroviseur, elle s’imagine partir “10 minutes plus tard de notre appartement“. “Nous aurions pris une autre route et serions restés bloqués dans les embouteillages.”
L’audition de la mère de Jennifer Waetzmann-Scintu a finalement esquissé le portrait de la jeune Allemande de 29 ans, fan de handball, “franche”, “impulsive”, “attentionnée”. Le témoin ne se sentait en effet “pas capable de venir témoigner”, demandant “la compréhension de tous”.
Rédaction – Photo : Belga
■ Reportage d’Arnaud Bruckner, Charles Carpreau et Manu Carpiaux