Les défis de Raoul Hedebouw : “La révolution sera européenne”

Pendant une semaine, BX1 vous propose une série d’entretiens avec le ministre-président de la Région bruxelloise et les présidents de partis francophones. Comment ont-ils vécu cet été marqué par le covid 19, les inondations en Wallonie, le changement de régime en Afghanistan ? Comment appréhendent-ils la rentrée et ses grands enjeux politiques, sanitaires, institutionnels ? Aujourd’hui Raoul Hedebouw, porte-parole national de PTB.

“C’est le couloir de la mort” dit-il en rigolant. Pour accéder aux bureaux du groupe PTB à la chambre, il faut d’abord passer devant les locaux de la N-VA et du Vlaams Belang. Comme il doit participer dans la foulée à une réunion de son groupe parlementaire, c’est donc au parlement fédéral que Raoul Hedebouw a décidé de nous recevoir ce mardi 24 août. Un local avec une machine à café à gauche (mais il parle tellement que sa tasse va refroidir) et le drapeau du parti à droite. Trente minutes de conversation où les convictions marxistes s’exposent franchement, qu’on parle du covid et des inondations, incontestablement l’événement qui l’aura le plus touché ces derniers mois.

“En région liégeoise, tout le monde connait quelqu’un qui est touché. Ce qui m’a le plus touché, c’est la solidarité massive entre les gens. Avec une sorte d’auto-organisation pour nettoyer ou apporter des repas. Beaucoup de Flamands sont venus apporter un coup de main, c’est un fait politique.

La deuxième composante, c’est la discussion sur la gestion de crise par l’Etat. Nos états en Occident, et singulièrement l’Etat belge, ne sont pas souvent à la hauteur en cas de forte crise. Ce qui revient de tous les acteurs de terrain, c’est qu’il n’y avait pas de centralisation. La coordination, est-ce que c’est la Province, le gouverneur, la Région, le fédéral? Tout le monde se renvoie la balle. On a le même phénomène qu’au moment de la crise du covid. Ce genre de moment peut déclencher des réflexions politiques plus en profondeur notamment sur la place de l’Etat.

D’une part, les services publics sont sous-financés. Pour la protection civile, 800 agents en moins. On est dans la conséquence du désinvestissement public. Mais il y aussi la question du leadership. Quand quelque chose se passe en Belgique, la première question c’est qui peut décider ?  Le bourgmestres, le gouverneur ? C’est le préalable à toute réunion de crise. Ca pose la question d’une force de frappe fédérale dans ces situations-là. Que le plan d’urgence fédéral ait déjà été remis dans son tiroir fin juillet, je trouve ça fou. Il y a besoin de ressources, ce n’est pas qu’une question de philosophie politique ou institutionnelle. Dans les moments de crise, il faut concentrer les ressources.”

“Le marché ne pourra pas répondre”

“Le débat aura aussi lieu pour la reconstruction. Le marché, avec la loi de l’offre et de la demande, ne pourra pas répondre à ce moment de crise. On a vécu la même chose avec les médicaments et le covid. Il faut une coordination fédérale. Dans ces moments, on voit que le tout au marché avec une main invisible qui interviendrait, ça ne marche pas du tout.

Et qui paye les pots cassés de cet absence de service public ? Ce sont les plus pauvres. Comme pour le covid, les conséquences vont être plus grave pour les pauvres. On a la même chose avec les inondations, les maisons les plus pauvres sont dans les fonds de vallée. La loi de l’offre et de la demande ne va pas permettre de reconstruire. Le pouvoir d’achat n’est pas là, les carnets de commandes des acteurs de la construction sont pleins. S’il n’y a pas une intervention de l’Etat, la vallée de la Vesdre va mourir. On est dans les limites de ce que le capitalisme peut gérer. Quand tout va bien, avec la croissance et l’exploitation des travailleurs, il n’y a pas de problème. Quand une crise arrive, il y a une faillite de l’Etat.”

“Il faut des investissements massifs”

“Pour lutter contre le réchauffement climatique, je ne crois pas au capitalisme vert avec des technologies qui nous sauveraient. Il  y a un système productiviste et consumériste qui doit être remis en cause. Le tout aux énergies fossiles par exemple. On est encore en train d’ouvrir des mines de charbon, on cherche du pétrole de plus en plus profond. Tant que l’offre continue d’arriver, aucune alternative n’est là. Pour avoir un approvisionnement énergétique équivalent, on a besoin d’investissements massifs que le marché ne fera pas parce que cela ne rapporte pas assez. On parle de dizaines de milliards. Il n’y a que la force publique qui peut faire cela.”

L’interdiction des moteurs thermiques ?  “Une mauvaise décision”

 

“Le problème, c’est que les plus pauvres coupent déjà dans leur mode de vie. Je rappelle qu’un riche pollue déjà 19 fois plus que les plus pauvres de la planète. J’ai un peu du mal quand on dit en général on va couper. Il faut offrir des alternatives. Si on dit qu’on interdit les moteurs thermiques qui seront les plus touchés ? Ceux qui ne savent pas se payer une voiture électrique, qui vont rester avec leur vieille voiture de 8-9 ans d’âge? Ce sont donc les plus pauvres qui vont payer. On ne peut pas découpler le social de l’écologique pour des questions de justice sociale mais aussi pour la portée de ces mesures.

Je pense que l’interdiction à Bruxelles est une mauvaise solution tant qu’on n’a pas d’alternative. Il faut des investissements massifs de l’Etat dans les énergies vertes et les transports en commun. Il faut une telle révolution énergétique, décentralisation de la production, investissement dans l’hydrogène… Une petite loi, c’est facile. On vote une loi demain, interdiction des voitures thermiques. On croit qu’on a résolu le problème, mais ça ne résout rien du tout. Au lieu d’intervenir dans le tissu économique, on prend des décisions de plus en plus anti-sociales. On a encore d’incroyables capacités solaires et éoliennes qui sont là.”

Contre l’obligation vaccinale du personnel soignant

On poursuit l’entretien avec les mauvais chiffres de la vaccination en Région bruxelloise. Le porte-parole du PTB ne veut pas qu’on impose le vaccin au personnel des maisons de repos ou des hôpitaux.

“Pour moi, la plupart des gens qui sont méfiants vis-à-vis de la vaccination, c’est d’abord une rupture de confiance pour l’autorité publique. En France, ça prend des tournures extrêmes parce que le gouvernement Macron a été un des plus autoritaires, mais la même méfiance existe en Belgique. Pour la résoudre, il faut un travail de proximité, du porte-à-porte, le travail des maisons médicales, la problématique de la médecine de première ligne. Mais l’obligation et la contrainte j’y crois, j’y crois pas. Ca va faire plus péter le bazar. Je reçois beaucoup de témoignages de gens du milieu des soins. On nous a abandonnés pendant des années, on a fait l’austérité, on a eu aucun retour après la crise. La seule conséquence de cette obligation, ça va être la fuite de gens du secteur. Ce ne sont pas des gens qui s’en foutent de leurs patients. Il faut laisser sa chance à la conviction et à la discussion.

Pour Bruxelles, il y a des spécificités sociologiques. La Région bruxelloise a un défi supplémentaire à résoudre, mais elle s’y est mal pris. En centralisant la vaccination dans des grands centres, on a oublié une partie des gens. Ce sont les couches populaires qui sont les plus méfiantes vis-à-vis du politique, et donc il faut se remettre en cause.”

Belgique à 4 ? “Je ne suis pas d’accord”

Comme avec chacun des interlocuteurs rencontrés pour cette série d’entretiens, on évoque l’idée d’une Belgique à 4. L’occasion pour Raoul Hedebouw de parler … révolution.

“La question cruciale dans un pays, c’est de savoir qui décide in fine. La formule Belgique à 4 est une formule sans instance qui tranche. Des entités fédérées qui ont le même pouvoir que le fédéral, contrairement au modèle allemand par exemple, ça va nous conduire encore plus au chaos. Je peux comprendre la volonté de donner une identité à la Région bruxelloise. Le fait bruxellois existe, avec sa diversité, des francophones, des Flamands. Mais si c’est dans le cadre d’une Belgique à 4, on va vers de plus en plus de confédéralisme. En juillet 2020, Paul Magnette et Bart De Wever ont été très loin dans une logique confédérale. Pour moi, c’est le mauvais chemin.

Maintenant le gouvernement va s’atteler à régionaliser les soins de santé. Il faut savoir ce que ça veut dire. Ca veut dire que les Bruxellois, qui sont les citoyens les plus pauvres, vont avoir un système de santé différent de celui en Flandre et en Wallonie. Pour moi, c’est inconcevable. S’il y a bien une leçon de la crise tirée par la sagesse populaire, c’est que 9 ministres de la santé, ça n’a pas été efficace du tout. Donc moi la Belgique à 4, je ne suis pas d’accord.”

La révolution citoyenne va se passer au niveau européen.

Le PTB  plaide donc pour la re-fédéralisation des compétences. On demande à Raoul Hedebouw s’il ne serait pas un peu belgicain.

“Pour l’histoire sociale oui, pas pour le roi. On est républicain. C’est notre héritage historique des luttes ouvrières. La question est stratégiquement importante pour un marxiste. Savoir dans quelle zone on pose son action. Pour moi, la révolution citoyenne va se passer au niveau européen. Peut-être pas à 28 pays, mais avec une dizaine de pays.

Le capitalisme est organisé au niveau européen, les multinationales aussi, la résistance ouvrière devrait être aussi au niveau européen. Ce qui nous manque, c’est la conscience politique du monde du travail de cette réalité européenne, parce qu’il y a des cultures nationales très différentes. Le capital est en avance sur nous. C’est un vrai défi pour la gauche de gauche d’avoir cette unité de combat avec les Français, les Italiens, les Espagnols… Et la Belgique est un laboratoire de ce défi. La Wallonie, ce n’est pas la Flandre. Ce sont des Régions différentes économiquement et politiquement. Nous devons résoudre des équations complexes, mais qui sont celles de toute la gauche au niveau européen. Tenir compte d’opinions publiques différentes, mais en même temps avoir un besoin d’unité, en Belgique, on y est confronté.

Tous ces milliers de Flamands qui sont venus dans la vallée de la Vesdre, ça veut dire quelque chose. Ca veut dire qu’il y a une conscience nationale. C’est quelque chose sur lequel on peut se reposer  pour construire la Belgique du futur.”

Fabrice Grosfilley