L’éditorial de Fabrice Grosfilley : élargir sans se trahir

Dans son édito de ce vendredi 29 septembre Fabrice Grosfilley revient sur les têtes de liste des Engagés.

Les Engagés ont donc décidé de tirer les premiers. Circonscription après circonscription, ils sont en train de dévoiler leurs têtes de liste. Hier, c’était au tour de l’arrondissement de Bruxelles : Élisabeth Degryse et Pierre Kompany tireront la liste du parti (pardon, il faut dire mouvement) pour les élections fédérales, la chambre des députés, en juin de l’année prochaine. Pourquoi annoncer un duo ? Parce que les engagés espèrent retrouver le deuxième siège qu’ils ont perdu en 2019 (le parti ne compte plus qu’un seul élu à la chambre, Georges Dallemagne, qui ne se représentera donc pas). Le parti a aussi officialisé la candidature d’un autre bruxellois, Yvan Verougstraete, comme tête de liste pour le Parlement européen. Pour les élections régionales pas de communication officielle, mais Christophe De Beukelaere semble le mieux placé depuis que Céline Fremault a annoncé qu’elle ne représenterait pas.

Ce qui a attiré l’attention hier, c’est donc la personnalité d’Élisabeth Degryse, vice-président de la mutualité chrétienne qui décide donc de se lancer en politique. Accorder la tête de liste à une personnalité issue de la société civile, les Engagés en ont fait une marque de fabrique pour cette campagne électorale. Jean-Jacques Cloquet, ancien footballeur et directeur de l’aéroport de Charleroi, tirera leur liste à Charleroi, Olivier De Waseige, ancien président de l’union Wallonne des Entreprises sera tête de liste à Liège, Yves Coppieters, épidémiologiste de l’ULB, sera tête de liste dans le Brabant Wallon. Et annonçant ces ralliements les uns après les autres, et en le faisant avant tous les autres partis, les engagés ont réussi à imprimer une sorte de feuilleton, avec un message clef : nous ne ferons plus de la politique comme autrefois, nous faisons confiance à la société civile, nous sommes une formation politique ouverte sur l’extérieur et capable de rajeunir ses équipes. On notera en outre qu’avec Jean Jacques Cloquet et Olivier de Waseige d’un coté, Elisabeth Degryse et Yves Coppieters de l’autre, l’ancien parti social-chrétien déploie clairement sa campagne sur deux axes. : l’activité économique et l’entreprenariat d’un côté, la santé de l’autre.

Cette stratégie a quand même ses limites. Pour Elisabeth Degryse, il est sans doute exagéré de parler de ralliement. Être vice-présidente des mutualité chrétiennes, c’est quand même être à la tête d’une organisation qui n’est pas si éloignée que cela du parti, c’est ce qu’on appelait autrefois le “pilier chrétien.” Et on notera que dans son curriculum vitae Elisabeth Degryse a commencé par la politique. Conseillère d’un échevin, attachée parlementaire elle travaille ensuite au cabinet de Joëlle Milquet quand celle-ci est ministre de l’emploi du gouvernement fédéral. Bref Elisabeth Degryse n’a jamais été très loin du PSC et du CDH. Sa nomination comme tête de liste des engagés est plus un retour aux sources qu’un véritable transfert. Et puis surtout il faut que ces candidats de la société civile aient la force de se couler dans un nouveau rôle. Être élu dans un parlement impose de sortir de son domaine d’expertise et de devoir embrasser de nombreuses problématique. Être un king dans son domaine ne fait pas de vous un bon généraliste. On a pu voir avec la première interview d’Yves Coppieters chez nos confrères de RTL que celui-ci semblait complètement largué dès qu’on parlait de l’historie de la Belgique, du mouvement qu’il venait de rejoindre ou du fonctionnement des institutions.

Au-delà des stratégies électorales, on voudrait surtout que les engagements en politique reposent sur des convictions et puissent s’inscrire dans la durée. Quittons les Engagés et intéressons-nous à ce qui se passe à Schaerbeek. Avec une nouvelle défection hier d’une élue qui a décidé de quitter la liste du bourgmestre et qui du coup prive la majorité communale de majorité. Ce départ, qui n’est pas le premier, plonge la commune dans une situation de crise politique. Si elle ne trouve pas d’accord avec l’un ou l’autre partenaire cela veut dire que la majorité communale n’est plus en mesure de prendre de décision, alors qu’il reste quand même plus d’un an à tenir avant les prochaines élections communales. Un an d’affaires courantes, c’est long même pour une commune.

C’est le revers des stratégies d’ouverture ou d’extension lorsqu’on recrute les candidats. En allant chercher des personnalités extérieures à sa formation politique, on attire des électeurs liés à cette personnalité. Mais on prend aussi le risque que l’ambition personnelle soit plus importante que le projet politique, et qu’au final les groupes politiques finissent par manquer de cohérence. Comme pour une équipe de foot : on peut aligner les stars, cela ne créée pas un esprit d’équipe. On pourrait appeler cela le syndrome PSG. En politique, c’est pareil. Les listes du bourgmestre aux élections communales ont parfois tendance à faire le grand écart, de droite à gauche ou inversement. C’est porteur au moment de l’élection. C’est plus délicat à gérer dans l’après-élection. Tous ceux qui sont en train de faire des listes, en allant chercher de nombreux candidats d’ouverture, doivent bien garder cette éventuelle difficulté dans un coin de leur tête.

Fabrice Grosfilley