L’édito de Fabrice Grosfilley : surenchère sur le permis de conduire
Ils ont l’art de s’empoigner. Et ils y mettent la manière et une pointe d’emphase. Depuis 48 heures le Mouvement Réformateur et le Parti Socialiste s’invectivent par réseaux sociaux interposés sur l’examen du permis de conduire. Il faut rappeler qu’au royaume de Belgique, le code de la route reste globalement une compétence fédérale : c’est le même pour tous, avec quelques exceptions sur les limitations de vitesse (sauf sur l’autoroute qui reste une compétence fédérale), le montant des amendes, la manière de placer les panneaux ou la réglementation des transports dangereux par exemple . L’organisation du permis de conduire et le contrôle technique sont en revanche des compétences régionales. Depuis 2018 Bruxelles, la Flandre et la Wallonie peuvent donc avoir des manières de faire différentes.
Favoritisme
Dimanche on apprenait que 3 députés du groupe socialiste du Parlement bruxellois souhaitaient donc apporter une modification aux règles en vigueur au sein de la Région Bruxelloise. Leur idée : permettre de passer les différents examens, théorique et pratique dans d’autres langues que les langues nationales. Aujourd’hui, on peut passer son permis à Bruxelles en français ou en néerlandais. On peut également le passer en anglais, en allemand ou en langue des signes à condition de prendre à sa charge les frais d’interprète. Ce que les socialistes bruxellois proposent, c’est donc d’étendre cette possibilité à d’autres langues (les 8 langues les plus parlées à Bruxelles disent-ils, on y trouve donc l’arabe mais aussi l’italien et l’espagnol) . Il faut rappeler que cela existait dans le passé, mais qu’on y avait mis un terme en 2019 : on suspectait les interprètes d’être un peu trop explicites dans leur traduction, ce qui avait tendance à favoriser les candidats.
Comme on est en campagne électorale, les députés socialistes ont assuré la promotion de leur proposition, notamment avec une vidéo d’Hassan Koyuncu sur Tik-Tok. “La maitrise d’une langue nationale ne doit pas être un frein pour passer l’examen” y-dit-il. Riposte immédiate de David Leisterh, chef de file du MR en Région Bruxelloise sur le réseau X, anciennement Twitter : “Le communautarisme n’a décidément qu’une seule langue, celle de la gauche.” Commentaire sur le même réseau de Christophe Magdalijns, député indépendant et chef de file pour Plan B : “Quand on ne veut pas vraiment intégrer les populations nous venant du monde entier, en leur apprenant vite et bien le français nous aboutissons à des propositions électoralistes qui morcellent la société bruxelloise.”
Jambe gauche et jambe droite
On aurait pu en rester là dimanche soir, mais le ton est finalement encore monté d’un cran avec la riposte de Ridouane Chahid, chef de groupe socialiste au Parlement bruxellois :“À droite, on devient de plus en plus extrême” a-t-t-il écrit sur les réseaux sociaux avant d’envoyer un communiqué de presse accusant le président bruxellois du MR, donc David Leisterh, d’utiliser sa jambe gauche pour rassurer quelques candidats de sa liste et sa jambe droite pour flirter avec l’extrême-droite”. La proposition est une proposition concrète pour améliorer la vie des bruxellois plaide-t-il, “la cohésion sociale ne doit pas être compromise par une stratégie électoraliste”.
Évidemment, quand on commence à polémiquer sur les réseaux sociaux, les internautes s’en mêlent. On a eu droit à des échanges intenses hier toute la journée, avec des accusations croisées : les uns traitant les autres de communautaristes, tandis que les autres parlaient de fachos dans le camp d’en face.
Meilleurs ennemis
Cette proposition veut-elle une telle polémique ? Probablement pas. Parce-que cela ne concerne sans doute que quelques centaines d’examens par an. Peut-être même moins. Ensuite parce qu’on aimerait bien que notre classe politique se penche sur des problèmes qui sont au cœur des difficultés que rencontre aujourd’hui la Région bruxelloise. Un budget qui dérape, le chômage, la précarité, le financement du métro, les grands projets, la qualité de l’air… Vous me direz “passer son permis de conduire, c’est avoir la perspective d’avoir un travail, cela participe à l’intégration sociale“. C’est vrai. Mais ce n’est pas la baguette magique qui va résoudre tous les problèmes.
En réalité hier MR et PS ont joué aux meilleurs ennemis. Une manière de polariser le débat qui leur permet d’être en première ligne, de mobiliser leur électorat respectif et de renvoyer les autres intervenants en division 2. Mais cette manière de cliver la campagne autour des questions d’intégration et d’identité a quelque chose de désagréable. On peut débattre de cette proposition. Est-elle vraiment utile? Combien de personnes sont-elles réellement en difficulté lorsqu’il faut passer un examen en français ou en néerlandais? Quelles sont les exceptions à prévoir? Mais s’accuser systématiquement de communautarisme sur tous les sujets, chercher à cliver délibérément le débat, monter dans les tours, c’est une manière de faire de la politique inspirée de la France ou de la Flandre.
Vouloir faire de “l’identitaire” un sujet de campagne, c’est puiser dans les recettes de partis qui ont dans leurs programmes ou leurs historiques des relents xénophobes. Qu’est ce que l’identité de Bruxelles, cette ville historiquement flamande devenue francophone avec le temps et accueillant 180 nationalités et qui s’enorgueillit d’être la capitale de 450 millions d’européens si ce n’est l’ouverture aux autres ? N’avons-nous pas déjà un parcours d’intégration pour accompagner les nouveaux arrivants (on pourrait en parler et l’évaluer plutôt que d’aborder le sujet par des détours périphériques). Il y a dans cette manière d’attiser constamment les craintes, les divisions, quelque chose qui n’est pas très inclusif. Et surtout, une manière de parler d’autre chose que des vrais défis qui se poseront demain à la Région bruxelloise… et que PS ou MR, ou les deux, devront pourtant essayer de relever demain.
Fabrice Grosfilley