L’édito de Fabrice Grosfilley : quand la “startup nation” cultive la nostalgie
Dans son édito de ce mercredi 17 janvier, Fabrice Grosfilley revient sur le discours d’Emmanuel Macron.
Une France plus juste, une France plus forte, et la promotion des valeurs de la République. Voici en résumé la tonalité de l’intervention d’Emmanuel Macron hier soir à la télévision française. Le président de la République s’est exprimé au travers d’une conférence de presse. Première partie, avec une prise de parole un peu plus courte et moins assurée que d’habitude (il a parfois bafouillé). Deuxième partie, les questions des journalistes et les réponses du chef de l’État. Une formule qui est donc à mi-chemin entre l’allocution solennelle où le Président s’exprime tout seul face aux Français qu’il regarde dans les yeux par caméra interposée, et l’interview en direct où il doit répondre du tac au tac à des interviewers qui peuvent être plus ou moins coriaces.
Que retenir de cet exercice ? D’abord, quelques annonces et confirmations. La plupart d’entre elles concernaient la jeunesse et l’école. Avec la confirmation du retour des uniformes pour tous les écoliers français, d’abord dans des écoles-tests (volontaires) dès cette année, puis pour tout le monde à partir de 2026. L’introduction d’un cours d’instruction civique obligatoire dans les collèges (les premiers degrés de l’enseignement secondaire), l’instauration d’une cérémonie de remise des diplômes en fin d’année (comme aux États-Unis ou en Angleterre) et des élèves qui devront pratiquer le théâtre (Manu aime beaucoup le théâtre, et son Premier ministre Gabriel Attal en faisait aussi). Emmanuel Macron a aussi indiqué que le service national universel sera “généralisé” pour les jeunes français. Le service national universel est une sorte de service civique qui est proposé aux lycéens sous forme d’un stage de 12 jours. On doit le prester en dehors de son département, et il peut être prolongé de 12 journées supplémentaires par une mission d’intérêt général, auprès d’une association, par exemple, sur un chantier, dans l’aide aux enfants en difficultés ou aux personnes âgées. Ce service, qui se fait aujourd’hui sur base volontaire, a séduit 400.000 jeunes Français. Le terme “généralisé” signifie-t-il “obligatoire”, comme l’était autrefois le service militaire ? Ce n’est pas encore très clair, le Président ayant indiqué que ce chantier serait lancé dans les prochaines semaines.
À retenir également : l’idée qu’il va falloir réglementer l’usage des écrans chez les plus jeunes. À l’école, mais aussi en dehors. Il n’est donc pas impossible que la France se dote d’une réglementation qui limiterait le temps d’écran des enfants et des ados… comme la Chine a aussi tenté de le faire. On peut évidemment être dubitatif sur ce type de mesures qui voudraient imposer aux familles de fermer ordinateurs, smartphones ou tablettes à la maison, mais c’est bien l’idée suggérée. On ajoutera un volet sur la natalité avec un congé parental porté à six mois et un grand plan contre l’infertilité pour encourager les Français à faire des enfants, ou encore une préoccupation sur la sécurité avec l’annonce de grandes opérations contre le trafic de drogue. Des opérations “place nette” qui seront au nombre de dix par semaine, a annoncé le chef de l’État. Sur la politique économique, il a principalement renvoyé à la Déclaration gouvernementale que Gabriel Attal devra prononcer dans une dizaine de jours au Parlement, se contentant juste de confirmer sa promesse de baisser les impôts des Français de deux milliards. Promesse qui date de sa réélection à la Présidence de la République, mais dont on n’a toujours pas les détails pratiques. Enfin, Emmanuel Macron a également indiqué qu’il irait en Ukraine dans le courant du mois de février.
Bref, vous l’avez compris, Emmanuel Macron était dans une posture régalienne et républicaine hier soir. Régalien, en incarnant l’autorité de l’État. Républicain, en voulant faire de l’école le lieu qui cimente la nation, l’endroit où les Français apprennent à se connaitre les uns les autres, et où on inculque les notions de respect et les grandes valeurs : liberté, égalité, fraternité. Le lieu où l’on remettrait les compteurs de l’inégalité sociale à zéro en assurant la possibilité de s’élever par le mérite individuel. On peut être sceptique. La polémique autour de la ministre de l’Éducation, qui avait délibérément choisi l’enseignement privé et dénigrait l’école publique, est un premier faux-pas à contre-courant de la bonne parole présidentielle. Plus largement, ce n’est pas faire des enfants ou apprendre la Marseillaise à l’école qui aidera la France à se projeter dans le futur. Les uniformes, le retour d’un service civique, la volonté de limiter le temps que les petits Français passent sur les écrans : tout cela avait un petit côté vieille France. Comme si, en organisant une conférence de presse à la manière du Général de Gaulle, Emmanuel Macron en avait aussi récupéré l’esprit. L’emploi récurrent du terme “réarmement” avait un parfum de Guerre froide et d’indépendance à la française. Il ne manquait plus que la dissuasion nucléaire. La France du Général était celle des années 50-60…. Il est étonnant qu’Emmanuel Macron, le Président de la “startup nation”, qui voulait projeter la République dans le monde des GAFAM, utilise pour se relancer des recettes qui semblent tournées vers le passé. C’est le nouveau “en même temps” : vouloir affronter les problèmes de demain en recyclant les recettes d’avant-hier.
Fabrice Grosfilley