L’édito de Fabrice Grosfilley : minuit moins cinq pour les pensions
Aurons-nous cette nuit un accord sur la réforme des pensions ? Alexander De Croo, Karine Lalieux et l’ensemble des vice-premiers ministres se retrouvent ce soir à 19h. Mais rien ne garantit qu’ils trouveront un accord.
8, 9, 10 réunions… on ne compte plus les conseils restreints consacrés à cette question des pensions. Hier, les ministres concernés ont commencé à 9 heures, ils se sont séparés à 1h30 du matin sans accord. Plus de 15 heures de réunion qui se sont donc révélées infructueuses. Alors bien sûr, on ne négocie pas non-stop pendant 15 heures. On commence par une réunion où tout le monde est là, on dépose un document, on demande à chacun ce qu’il en pense. Puis le Premier ministre revoit les partis un par un, pour voir quelles sont les marges de manœuvre, comment on peut amender le texte pour obtenir l’adhésion. On rédige un nouveau projet et on recommence.
Ce lundi, on a resserré le périmètre de négociations. On ne parle plus de pensions anticipées, le fait de pouvoir partir avant l’âge légal, ni de pensions à temps partiel. Ces points ont été retirés des discussions. Il reste le nœud central, c’est-à-dire le nombre de jours de travail effectif pour pouvoir bénéficier de la pension. Et plus précisément la prise en compte des périodes assimilées. Est-ce que le fait d’avoir été en congé maternité, ou en congé invalidité ouvre les mêmes droits que des périodes de travail en bonnes et dues formes, comment est-ce qu’on calcule le temps partiel, et cerise sur le gâteau, est-ce qu’on touche ou pas aux régimes préférentiels dont jouissent aujourd’hui les cheminots ou les militaires, par exemple ? Pour la droite du gouvernement, il faut inciter les Belges à travailler plus longtemps et donc durcir les règles. Pour la gauche du gouvernement, il faut protéger ceux qui tombent malade et prévoir des corrections qui tiennent compte des inégalités entre hommes et femmes, puisque les femmes travaillent moins et avec de moins hauts salaires.
Ce clivage pension est exemplaire d’un affrontement gauche-droite, sur fond de rigueur budgétaire : quand les dépenses de pensions dérapent, c’est le budget fédéral qui trinque. Avec un axe qui se dessine de manière assez explicite dans les déclarations des uns et des autres. À gauche, le PS et sa ministre des pensions Karine Lalieux, mais aussi Ecolo qui semble sur ce dossier sur une position assez proche. À droite, les libéraux, le CD&V, mais aussi Vooruit, le parti socialiste flamand soucieux de limiter les dépenses. On notera la position plus nuancée de l’Open VLD qui cherche à obtenir un accord (normal, c’est le parti du Premier ministre), alors que le Mouvement Réformateur adopte une posture plus radicale. On a pu l’observer ce week-end quand des concessions ont été faites par le Premier ministre en direction du PS, mais ont rencontré l’hostilité du MR.
Depuis des semaines, on assiste donc à une crispation grandissante autour de ce dossier. Pourtant, il faut rappeler que l’un des points essentiels : le montant de la pension minimum a déjà été réglé. Cette pension passera à 1 715 euros en 2024, ce qui donnera 1 630 euros nets. Le fait qu’on n’arrive pas à se mettre d’accord sur la période de travail qui y donne droit serait une illustration du célèbre adage qui veut que le diable serait dans les détails. Sauf que le détail, ici, concerne des millions de futurs pensionnés. Vérifier si on aura droit ou pas à cette fameuse pension minimum, c’est ce que feront tous les travailleurs concernés une fois l’accord conclu. C’est donc extrêmement sensible. Accorder la pension à tout le monde serait injuste vis-à-vis de ceux qui ont travaillé dur toute leur vie. Laisser trop de monde sur le bord du chemin, c’est créer une société à deux vitesses qui manque de solidarité.
Pour l’équipe De Croo, il est temps de conclure. Le Premier ministre a lui-même indiqué qu’il voulait un accord pour le 21 juillet. S’il n’y arrivait pas, ce serait un solide coup de pouce à la thèse de la N-VA pour qui l’écart entre francophones et néerlandophones sur ces questions de société est désormais si profond, que le pays serait en train de devenir ingouvernable. Une telle démonstration le jour de la fête nationale, ce serait un petit séisme.