L’édito de Fabrice Grosfilley : la stratégie du pourrissement
C’est un bras de fer qui n’en finit plus. Un bras de fer dont l’enjeu est la gestion d’une Région bruxelloise mal en point. Avec un constat qui s’impose : la plupart des partis politiques ne cherchent pas vraiment à sortir du blocage. Certains affichent même une stratégie de pourrissement. Plutôt que de monter dans un attelage qui ne leur convient pas, ils préfèrent ne pas gouverner. Tant pis pour l’électeur qui leur a fait confiance pour le faire. Toutes ces voix, qui se comptent par milliers pour les uns, en dizaines de milliers pour les autres, qui finalement ne servent à rien. Autant d’électeurs qui, aujourd’hui, en Région bruxelloise, ont bien raison de se sentir trahis par ceux qu’ils ont élus.
Petite photo instantanée de la situation de ce vendredi matin. Une nouvelle réunion de négociation autour du budget de la Région bruxelloise est programmée dans la matinée. Les sept partis invités à former une majorité se retrouvent théoriquement à 9 heures et entendront, théoriquement à 10h45, un rapport du directeur de l’Agence de la dette. On dit “théoriquement” parce que la présence de Frédéric De Gucht pour l’Open VLD n’est pas garantie. Le négociateur libéral flamand avait déjà boudé la réunion de mercredi et laissait, hier, planer le doute sur sa participation à cette nouvelle réunion. “Oui, à condition qu’elle soit utile, avec un ordre du jour clair et explicite”, disait-il.
Derrière cette participation incertaine de l’Open VLD se joue en fait le statut de ces discussions. Sommes-nous uniquement dans la recherche d’une solution temporaire pour le budget 2025 ? Dans ce cas-là, l’Open VLD veut bien y participer. Ou sommes-nous déjà dans une négociation portant sur la rédaction d’un programme de gouvernement ? Dans ce cas, l’Open VLD ne veut pas en entendre parler. Le simple fait d’évoquer une trajectoire pluriannuelle est un problème pour les libéraux néerlandophones. Pourtant, cette trajectoire pluriannuelle est la logique même d’un point de vue budgétaire : on ne peut pas résoudre la question du déficit en six mois. Mais entrer dans cette discussion, c’est déjà s’inscrire dans la durée et se rapprocher de l’idée d’une participation à une majorité régionale. Et cela, Frédéric De Gucht ne veut pas en entendre parler si l’on n’invite pas également la N-VA à y participer.
Hier, les banques ING et Belfius ont redonné un peu d’air à la Région bruxelloise. ING a indiqué que la Région conservait la ligne de crédit de 500 millions dont elle bénéficiait jusqu’à présent, et Belfius, qui avait annoncé son intention de réduire la sienne de 500 à 200 millions, n’en fera finalement rien. Au total, cela fait donc un milliard de facilités de trésorerie. C’est déjà ça. Une ligne de crédit, c’est la possibilité d’être en déficit et de rembourser plus tard, une facilité, une sorte d’autorisation de découvert pour les gros clients. Ce ballon d’oxygène est le bienvenu. Il apporte un démenti à ceux qui voudraient faire circuler l’idée d’une banqueroute imminente, mais il n’empêche que la situation reste préoccupante.
Cette idée d’une Région bruxelloise très bientôt à genoux sur le plan budgétaire, on la retrouve derrière de nouvelles déclarations de Georges-Louis Bouchez hier soir sur LN24. Le président du MR y a répété que, faute d’accord, la mise sous tutelle de la Région bruxelloise serait inévitable. “Une partie de la classe politique bruxelloise a montré son incapacité à gérer cette Région. Il vaut mieux que le fédéral fasse les choses dans l’intérêt des Bruxelloises et des Bruxellois.” Fin de citation.
On décode assez bien la communication du président libéral : si on n’arrive pas à un accord à Bruxelles, le fédéral, lui, pourra agir. Tant pis pour les partis qui ne sont pas membres de la coalition Arizona. Dans les faits, cette “mise sous tutelle” n’est pas réellement à l’ordre du jour, en tout cas pas dans ces termes-là. Ce que les textes prévoient, c’est que le fédéral puisse bloquer des décisions en matière d’urbanisme qui pourraient être jugées dommageables pour l’image de marque de Bruxelles. Et aussi – cela, c’est vrai – que si la Région bruxelloise devait emprunter à l’avenir, le gouvernement fédéral pourrait, via un arrêté royal, limiter sa capacité d’emprunt pendant deux ans afin de ne pas porter atteinte à “l’union économique et monétaire” . Un dispositif imaginé pour éviter qu’une Région ne s’endette à des conditions défavorables et que cela n’impacte les comptes du royaume tout entier. Il faudrait toutefois une décision prise au consensus en Conseil des ministres… on a compris que le MR la soutiendrait. Ce ne serait pas forcément le cas de Vooruit ou des Engagés, mais il faudra leur poser la question pour le savoir.
Dans ce contexte tendu, un vote important a eu lieu hier soir en commission logement du Parlement bruxellois. Une proposition d’ordonnance renforçant la lutte contre les loyers abusivement élevés a été adoptée en commission par 8 voix contre 7. Le texte prévoit la possibilité d’interdire la mise sur le marché de logements dont le loyer serait en trop grand décalage avec la grille des loyers, ainsi que la possibilité pour les locataires d’obtenir un droit à la révision. Ce texte, déposé par le PS et Ecolo, a obtenu le soutien des formations de gauche et d’extrême-gauche. Les partis de droite et du centre (y compris Défi) ont voté contre.
Le texte doit encore être confirmé en séance plénière. Mais il est difficile de ne pas y voir, indépendamment du fond, un message très politique. À Bruxelles, si l’on ne forme pas de majorité gouvernementale, le Parlement sera libre d’avancer comme bon lui semble. C’est le principe même de la démocratie. Ceux qui détiennent la légitimité du mandat confié par l’électeur, ce sont les députés – pas les présidents de parti, ni les négociateurs qu’ils désignent. Et parmi ces députés bruxellois, il y a aujourd’hui une majorité qui pourrait pencher à gauche.