L’édito de Fabrice Grosfilley : la mobilité, gestion concrète

Aller au-delà des postures et entrer dans le détail des politiques de mobilité. C’était l’objectif d’un débat public que j’ai été chargé de modérer hier soir. Débat organisé par trois associations actives dans le domaine de la mobilité douce, une qui défend les cyclistes, l’autre qui se préoccupe des piétons et la troisième qui demande davantage de sécurité routière. C’est donc leur point de vue, et pas celui d’autres acteurs de la mobilité comme les automobilistes, qui était confronté aux propositions des six grands partis francophones qui se présentent aux élections de juin prochain. Ce débat était instructif. Puisque la poursuite ou non du plan Good Move est devenu un des enjeux de la campagne, ces échanges ont permis d’en savoir un peu plus sur ce que les uns et les autres prévoient pour la mobilité de demain. On rappelle que le plan Good Move, adopté pendant la législature précédente, est théoriquement prévu pour se déployer jusqu’en 2030. Il ne concerne pas que les mailles apaisées qui ont suscité beaucoup de protestations, mais aussi des mesures comme la ville 30, le déploiement des transports publics, le réaménagement des carrefours dangereux, ou encore l’encadrement des enfants qui prennent leur vélo pour aller à l’école…

Au-delà des déclarations de campagne, on notera que tous les partis, sans exception, se disent toujours en accord avec les objectifs poursuivis par le plan Good Move. Il n’y a personne aujourd’hui qui dit brutalement et frontalement qu’on va revenir en arrière, qu’il faudrait donner plus de place à la voiture, ou que la promotion de la mobilité douce serait une erreur. Sur les grands principes, tout le monde semble à priori d’accord. C’est sur l’application concrète de ces grands principes, sur leur traduction dans la réalité que les divergences apparaissent. Est-ce qu’on va trop vite, trop loin, est-ce qu’on concerte assez les habitants, est-ce qu’on a le courage de prendre des mesures qui peuvent fâcher les uns ou les autres, comment on évite que les différents modes de déplacement entrent en confrontation les uns avec les autres, et puis surtout, où place-t-on ses priorités, notamment les priorités budgétaires ?

De ce débat d’hier ou de la lecture du chapitre mobilité des partis bruxellois, on retiendra que plusieurs partis parlent d’évaluer Good Move. Et surtout d’évaluer les zones 30. Cela veut dire en clair que certains partis, mais pas tous, envisagent de repasser certains axes de 30 à 50 km/h. Tous les partis disent également qu’il faut continuer à investir dans les pistes cyclables, si possible des pistes séparées du trafic automobile. Tout le monde est également d’accord pour dire qu’il faut continuer à développer les transports en commun. Étrangement, c’est plus compliqué quand on parle de la marche à pied; quand on évoque la largeur des trottoirs, ou qu’on préconise comme le font les acteurs associatifs l’idée de grands axes piétons qui permettraient de relier un quartier à un autre, là les partis politiques deviennent moins précis et moins enthousiastes. On n’est donc pas tout à fait prêt à avoir un piétonnier qui relierait les quartiers nord au Bois de la Cambre. Les vraies divergences, et elles sont parfois profondes, sont évidentes aussi lorsqu’on commence à parler budget. Est-ce qu’on va investir dans les trottoirs, avec une attention pour les personnes à mobilité réduite, dans des infrastructures pour les cyclistes, dans les transports en commun, dans les trams, dans le prolongement du métro, dans la réfection des tunnels ? L’argent est le nerf de la guerre et la répartition du budget agit comme le vrai révélateur des priorités de chacun. Et il est assez saisissant de constater que si tout le monde défend la marche à pied, parce que tout le monde est piéton, ne serait-ce que pour quelques dizaines de mètres, ce n’est pas le premier poste budgétaire dont vont vous parler les partis politiques au cours de cette campagne électorale.

Dans ce débat, on a aussi parlé de la taille et du poids des véhicules automobiles, de la fameuse taxe Smartmove, qu’une majorité de partis continue d’envisager, ou encore des rues scolaires aux abords des écoles. Il y a sur tous ces points des différences d’un parti à l’autre. Mais on n’a pas vu divergence irrémédiable. Quand on entre dans le fond des dossiers, quand on met de côté les slogans un peu simples (“non à Good Move, non à Smartmove, non au métro”), on sent que la discussion reste possible. Il faudra d’ailleurs qu’elle soit possible, une fois que l’élection du 9 juin sera passée et qu’on rangera les slogans et les postures dans l’armoire des archives. Il faudra que les projets s’accordent, que les priorités budgétaires se négocient. Qu’on continue d’avoir une vision et une politique de la mobilité pour la Région bruxelloise. Qu’on dépasse les clivages et les blocages. Et ce qui est vrai pour la mobilité l’est pour tous les autres domaines. L’art de la politique, ce n’est pas seulement la capacité à gagner une élection. C’est aussi et surtout l’art de gouverner et d’avoir un projet.

Un édito de Fabrice Grosfilley