L’édito de Fabrice Grosfilley : comment PS et MR se sont définitivement éloignés (fuites)

Dans son édito de ce jeudi 3 avril 2025, Fabrice Grosfilley revient sur la fuite de la note du MR.

C’est un baromètre imparable. Dans une négociation gouvernementale, quand les négociateurs croient en la proximité d’un accord, ils se concentrent sur ce qui se passe à la table de négociation. Ils évitent les fuites dans la presse, s’éloignent des micros et des caméras, et s’interdisent les petites phrases assassines. À l’inverse, quand les discussions tournent au vinaigre, qu’il n’y a aucun espoir de s’entendre, on se lâche. On explique pourquoi son projet est le meilleur et combien celui du voisin ferait mal au citoyen.

Ce matin, il n’y a pas photo : nous sommes bien, en région bruxelloise, dans une situation de crise où la compétition entre partis prime sur toute possibilité d’entente. La meilleure preuve, c’est la fuite de documents de négociation qui sont arrivés ces dernières heures dans les mains des journalistes. Ces documents, que nous avons reçus ici à BX1, mais que nos confrères de La Dernière Heure ou de Bruzz évoquent aussi, permettent de comprendre ce qui s’est joué ces derniers mois entre négociateurs, et principalement entre le PS et le Mouvement Réformateur.

Parmi ces documents, deux retiennent l’attention. Le premier est une sorte de pré-accord qui remonte au mois de juillet de l’année dernière. C’est un moment où le tandem MR-Engagés, d’un côté, et le Parti socialiste, de l’autre, ont décidé de gouverner ensemble. Ils multiplient alors les réunions et invitent Elke Van den Brandt, pour Groen. On a donc autour de la table quatre partis, dont les grands vainqueurs des élections de juin.

Cette note de départ fait huit pages, elle est assez générale. Elle liste en fait dix points d’attention prioritaires. On pourrait dire que c’est une sorte de pré-accord de gouvernement, avec des intentions qui relèvent davantage de principes politiques sur lesquels les négociateurs se sont mis d’accord que de réelles mesures détaillées et chiffrées. On retiendra de ce premier document que les quatre partis s’étaient entendus pour revenir à l’équilibre budgétaire dans un délai de dix ans, qu’ils voulaient accompagner les demandeurs d’emploi, en particulier les jeunes, vers le travail, qu’ils exigeraient du fédéral un renforcement du personnel policier dans les zones de police, ou encore – et c’est important pour la suite – qu’ils maintiendraient un plan pluriannuel d’investissement dans le logement social et lutteraient contre les loyers abusifs, avec une régulation du marché locatif. C’est écrit noir sur blanc dans le document.

Huit mois plus tard, autre climat, autre document. Nous sommes au mois de mars, il y a quelques semaines, au début de la mission d’information d’Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer. Il est alors question d’écarter la N-VA. Chaque parti est invité à présenter ses priorités dans ce nouveau contexte. Le Mouvement Réformateur fait donc part des siennes dans une note de deux pages.  Il n’est plus question d’un retour à l’équilibre budgétaire sur dix ans, mais sur sept ans. Il est précisé que cela doit se faire uniquement en travaillant sur les dépenses. Un important chapitre sur la sécurité demande le renforcement de l’action bruxelloise, mais ne dit plus rien de ce qu’on attend du fédéral, si ce n’est qu’il faudra activer toutes les opportunités venant de ce niveau de pouvoir. Et puis surtout, il y a un virage important en matière de logement.

Le document demande l’abandon de la construction de logements sociaux pour tous les projets pouvant être arrêtés à moindre frais, la vente d’une partie du parc de logements pour financer des opérations de rénovation, ainsi que le retrait des projets prévus sur la friche Josaphat et au Bois des Cailles. Le MR demande également l’abandon de tout mécanisme d’encadrement des loyers ainsi que la révision des règles en cas de loyers impayés, afin de permettre l’expulsion des locataires indélicats dans un délai de trois mois après le dépôt d’une plainte. Bref, un vrai durcissement en matière de logement.  Et c’est justement sur ces questions de logement que les négociations ont fini par déraper. MR et PS n’ont pas pu s’entendre. Le MR est donc resté sur sa position et a continué de réclamer la présence de l’Open VLD et de la N-VA à bord de la majorité. La mission des informateurs a échoué, et on est maintenant à la recherche d’un gouvernement minoritaire.

On relativisera l’importance de ces notes, surtout de la deuxième : il s’agit d’une position en cours de négociation, où l’on bombe volontairement le torse, pour forcer les concessions dans le camp d’en face. Il n’empêche qu’elle indiquait une forme de durcissement du MR par rapport à l’accord du mois de juillet.

Ce gouvernement minoritaire dans le Collège francophone qui est donc la nouvelle piste suivie est loin d’être acquis. PS, Ecolo et maintenant DéFI refusent de faciliter son investiture. Sans leur apport, le tandem MR-Engagés risque de se retrouver bloqué, dans l’incapacité de faire nommer des ministres et d’installer ce gouvernement qu’on doit qualifier d’hypothétique.

Ces derniers jours, Georges-Louis Bouchez a donc entrepris d’autres démarches. Il ne s’adresse plus seulement aux partis, mais a commencé à contacter les députés un par un. Il tente d’obtenir d’un côté une signature, de l’autre une promesse de vote. Il en faudrait au moins sept ou huit, rien que du côté francophone, pour que son projet de gouvernement minoritaire puisse avoir une chance de devenir réalité. Ce n’est vraiment pas gagné d’avance.

Demain, un dispositif sur l’encadrement des loyers devrait être voté au Parlement bruxellois, avec une majorité gauche contre droite. Cela risque d’envenimer encore un peu plus la situation et d’accentuer les clivages.

Autre indice de tension : les négociations tournent également au vinaigre à Schaerbeek. Là, ce qui est en cause, c’est le refus d’un des élus de la Liste du Bourgmestre de soutenir l’accord. Emin Ozkara, c’est de lui qu’il s’agit, exige un poste d’échevin. S’il sort de la majorité envisagée, théoriquement, la Liste du Bourgmestre n’aurait plus droit qu’à un seul échevin, selon la clé D’Hondt habituellement utilisée pour la répartition des postes. “Pas question”, dit cette Liste du Bourgmestre emmenée par Bernard Clerfayt, soutenue dans son refus de revoir la répartition par le Mouvement Réformateur, alors qu’en face, Ecolo et le PS s’étranglent.

Vous connaissez le principe des vases communicants : depuis quelques mois, quand la fièvre monte à la Région, c’est la commune de Schaerbeek qui tousse. Pour l’instant, il n’y a donc d’accord nulle part. C’est la guerre des tranchées, et le chaos n’est (vraiment)  plus très loin.

Fabrice Grosfilley

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03 avril 2025 - 10h46
Modifié le 03 avril 2025 - 10h46