L’édito de Fabrice Grosfilley : comment convaincre les réticents ?

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Ce jeudi, dans son édito, Fabrice Grosfilley revient sur la formation du futur gouvernement et les difficultés à négocier.

Comment amener un partenaire qui ne souhaite pas négocier à entrer quand même en négociation ? C’est l’équation qu’essayent actuellement de résoudre les deux formateurs bruxellois : David Leisterh du côté francophone et Elke Van den Brandt du côté néerlandophone. Tous deux se retrouvent face à un nœud complexe, celui d’une majorité qui n’est pas évidente et qui, pour voir le jour, a besoin du soutien d’un partenaire qui n’est pas pressé de donner son feu vert.

Commençons par les francophones. David Leisterh a rencontré Ahmed Laaouej. Une première séance de travail formelle qui, en réalité, fait suite à des rendez-vous ou des conversations informelles qui avaient déjà eu lieu auparavant. Du contenu de cette rencontre, on ne sait presque rien. Les deux hommes cultivent une certaine discrétion ces derniers jours. Mais le fait que la rencontre ait eu lieu est un premier pas. D’après nos informations, c’est un document budgétaire qui était sur la table. Le PS, qui réclamait un document écrit, en a obtenu un. Les négociateurs peuvent ainsi commencer à parler de chiffres. Mais ce n’est pas encore un projet d’accord de gouvernement, loin de là, et on sent bien que la discussion pourrait être assez longue. La technique de David Leisterh est une technique de petits pas : on commence par parler budget, c’est une manière de faire entrer le PS dans la discussion. Si cette discussion-là n’est pas trop compliquée, on pourra envisager de parler de programme politique dans un second temps. Du côté du PS, on avance tout aussi prudemment. On se donne le temps d’analyser ce qui a été dit hier. On a accepté de parler chiffres, on attend probablement que le duo MR-Engagés dévoile son programme avant d’aller plus loin. Et on sait bien que sur le logement ou le social, le PS aura des exigences qui sont très éloignées du programme électoral de ses éventuels partenaires.

Du côté néerlandophone, les choses sont tout autant compliquées. Hier, la formatrice Elke Van den Brandt a annoncé son choix de coalition. Un choix qui se dirige vers une formule à quatre partis avec Groen, l’Open VLD, Vooruit et le CD&V. Exit ainsi la N-VA et Team Ahidar qui ne rentreraient pas dans la majorité bruxelloise. “Nous avons entendu l’ensemble des partis flamands. La N-VA, l’Open VLD et Vooruit ont fait savoir, dans ce contexte, que pour eux, il n’est pas possible de collaborer avec la liste Team Fouad Ahidar. De ce fait, il n’y a pas de possibilité de coalition à trois”, a expliqué l’actuelle ministre de la Mobilité. Sur le fond, la formatrice néerlandophone note des points de convergence entre ces partis, tels que “l’ambition de mettre de l’ordre à Bruxelles, à la fois en termes budgétaires et de simplification des institutions ” ou une préoccupation autour de l’accès au logement. Elle n’élude pas un problème qui n’est pas anodin : le nombre de ministres néerlandophones au sein du gouvernement bruxellois, fixé par la loi spéciale. Deux ministres et un secrétaire d’État, cela fait donc trois postes à répartir pour quatre partis, et là, évidemment, ça coince. On peut imaginer des présidences ou vice-présidences de Parlement, l’un ou l’autre commissariat, mais ce n’est pas la même chose. “Nous avons toujours entretenu de bonnes relations avec Benjamin Dalle, qui dirige les négociations pour le CD&V. Cela nous rend optimistes quant à l’évolution constructive des discussions”, concluait Elke Van den Brandt dans son communiqué.

Quelques heures plus tard, patatras, le CD&V faisait savoir qu’il n’était pas question pour l’instant pour lui de négocier.Avec un seul siège, ce n’est pas à nous de former un gouvernement bruxellois“, a expliqué Benjamin Dalle. “Pour le CD&V, il n’y a pas de base aujourd’hui pour entamer des négociations en vue de dépanner la coalition existante, qui a perdu sa majorité lors des élections. Les Bruxellois ont clairement choisi le changement le 9 juin“, a-t-il poursuivi. C’est donc à ce stade une fin de non-recevoir. Elke Van den Brandt a tenté de mettre le CD&V sous pression en annonçant publiquement qu’il était invité aux négociations. Le CD&V n’a pas cédé à la pression et vient de lui mettre un vent. La formatrice va donc devoir insister. Dans le cas contraire, elle devra se tourner vers Fouad Ahidar, mais au risque de perdre l’Open VLD ou Vooruit. Pour l’instant, c’est donc un blocage. On peut souligner une différence de méthode entre les formateurs francophone et néerlandophone. David Leisterh avance en silence, avec une technique de l’entonnoir : on ne met pas grand-chose sur la table au début, on ajoute des ingrédients au fur et à mesure. Elke Van den Brandt était plus dans une logique de bras de fer, tentant de faire pression en prenant l’opinion publique à témoin. C’est aujourd’hui le CD&V qui doit assumer un relatif blocage, et qui pourrait porter la responsabilité d’un rappel de Team Ahidar à la table des négociations.

Dans les deux cas, on n’est pas au bout du processus, loin de là. Officiellement, les négociations ne sont pas réellement lancées côté francophone ; le PS bruxellois n’a toujours pas convoqué son bureau de fédération pour dire officiellement oui. Côté néerlandophone, on est officiellement dans un blocage, mais on se doute bien que les discussions vont se poursuivre. Il y a une certitude : c’est que les choses ne seront pas simples. Que le contraste avec le turbo mis en route en Flandre, en Wallonie et même au fédéral avec la nomination de Bart De Wever comme préformateur, est flagrant. Les électeurs ont mis la région bruxelloise dans une impasse. C’est un argument en or massif pour ceux qui souhaitent la réformer.

▶ Un édito de Fabrice Grosfilley