L’édito de Fabrice Grosfilley : 353 jours après, l’accélération qu’on attendait plus
Une surprise et une soudaine accélération. C’est le sentiment qui prévalait hier soir après la réunion de six partis de gauche, capables de former une majorité progressiste en Région bruxelloise. Une surprise, car rien ne laissait présager qu’une telle réunion pouvait avoir lieu dans les jours précédents. Au contraire même : les déclarations des uns et des autres n’étaient certes pas complètement hostiles à ce scénario, mais pas farouchement enthousiastes non plus. Le PTB indiquait à plusieurs reprises qu’il ne participerait pas à une majorité qui mènerait des politiques d’austérité. Ecolo martelait qu’il ne rentrerait pas dans un gouvernement minoritaire. L’accueil semblait donc tiède.
Pourtant, cette réunion a bel et bien eu lieu. Tous ceux qui y étaient invités ont accepté de venir. La discussion a duré un peu plus d’une heure, dans une atmosphère qualifiée de sereine et constructive. Et les négociateurs ont pu repartir avec deux documents : une note de cadrage, qui devrait pouvoir servir de base à la négociation, et une trajectoire budgétaire qui explicite les efforts envisagés par le Parti socialiste en termes d’assainissement des finances bruxelloises — et surtout le rythme auquel il entend les mener.
Ça n’a l’air de rien, mais c’est quand même un événement majeur, cette réunion. D’abord, parce que, quasiment un an après les élections du 9 juin, on a enfin autour de la table six partis qui, ensemble, peuvent mathématiquement proposer une majorité parlementaire qui tient la route. 48 sièges au total — il en faut 45 pour une majorité. L’attelage proposé ici a même une majorité dans chacun des deux collèges linguistiques.
Si l’on excepte le moment où Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer, à la fin de leur mission de formation, avaient réussi à réunir sept partis autour de la table — avant que l’Open VLD ne claque finalement la porte à la réunion suivante —, c’est la première fois en onze mois qu’une formule franchissant la barre des 45 sièges parvient à se réunir. Événement majeur aussi, car des documents ont donc été remis, et qu’ils ne se retrouvent, pour l’instant, pas sur la place publique.
Malgré cette avancée, on va rester extrêmement prudent. Il ne s’agissait hier soir que d’une prise de contact. La plupart des participants sont venus pour écouter ce que le Parti socialiste avait à leur proposer. Il va maintenant falloir que chacun des partis contactés dise s’il accepte ou pas d’entrer en négociation sur la base proposée par Ahmed Laaouej. Le PTB va devoir dire, par exemple, s’il accepte d’entrer dans une logique de prudence budgétaire et de ne pas dépenser l’argent qu’on n’a pas. Ecolo et Groen vont devoir dire si la note de cadrage leur convient en matière de mobilité et d’environnement. Vooruit va devoir se poser la question de savoir s’il accepte de négocier avec le PTB et la team Fouad Ahidar. Chaque parti pourrait évidemment trouver de bonnes raisons de refuser d’aller plus loin.
Attention quand même : refuser de négocier, c’est prendre la responsabilité de renvoyer les négociations à la case départ, se mettre à dos le secteur associatif qui avait appelé à mettre sur pied cette coalition progressiste, et prendre le risque aussi que la politique finalement mise en place penche plus à droite. On notera qu’Ahmed Laaouej n’a pas donné de date limite, ni fixé de calendrier hier soir. Le négociateur socialiste veille à ne pas mettre trop de pression sur ses partenaires potentiels.
Cette concrétisation d’une négociation à gauche vient évidemment en réponse au dépôt d’un texte à droite. Ce matin, David Leisterh et Georges-Louis Bouchez vont enfin dévoiler leur projet de déclaration de politique générale. Une initiative qu’ils avaient lancée le 1er mai. On nous annonce un texte qui contiendra une série de recommandations sur ce qu’il conviendrait de faire en matière de finances, de sécurité et d’économie.
L’idée des libéraux, c’est donc de partir d’un texte — et pas d’une majorité — et de voir qui, à partir de ce texte, accepte de discuter. À ce stade, l’initiative libérale ne réunit qu’une poignée de partis. Côté francophone, le MR et Les Engagés : cela ne fait que 28 sièges. Si DéFI rejoint l’attelage, cela en fera 32. Même en imaginant que quatre partis néerlandophones, dont la N-VA, acceptent d’entrer en négociation, cela ne ferait toujours pas une majorité.
Si la note présentée ce matin se révélait excessivement libérale, ce serait un argument de plus pour certains d’aller voir ailleurs. Il va falloir que Georges-Louis Bouchez et David Leisterh se montrent extrêmement convaincants ce matin — ou qu’ils sortent un lapin de leur chapeau — pour que la donne mathématique évolue en leur faveur. Le fait que certains partis aient reçu ces derniers jours la note en primeur, et d’autres pas, a crispé quelques états-majors.
Dans les prochains jours, nous allons donc entrer dans une phase de clarification. Face à ces deux initiatives — celle d’Ahmed Laaouej ou celle de David Leisterh —, chaque parti va devoir dire dans quelle dynamique il décide de s’inscrire. Ce sera, a priori, soit l’une, soit l’autre. On ne peut pas exclure que certains partis acceptent de discuter des deux côtés, pour voir. Mais dans quelques jours — une ou deux semaines au plus —, on finira par avoir une idée claire de ce qui est possible d’un côté ou de l’autre.
Ces deux propositions ne sont pas la coalition qu’on avait imaginée au départ. Elles présentent, l’une comme l’autre, des avantages et des inconvénients. Mais puisqu’on doit bien acter que MR et PS ne veulent plus travailler ensemble, il est temps, 353 jours après les élections, qu’on essaye enfin autre chose.
►Ecouter l’édito de France Grosfilley dans Bonjour Bruxelles