Le déménagement de la sculpture “La Maturité” crée des remous : “Il faut cesser d’agiter le ‘wokisme’ comme un grand fantôme”
Accusé de “cancel culture” ou encore de “wokisme”, le gouvernement bruxellois se défend et assure que le déplacement de cette statue s’inscrit dans le nouvel aménagement des lieux.
Ces derniers jours, la statue “La Maturité”, située entre le Parc Royal et la Gare centrale, agite le monde politique et culturel bruxellois. Et pour cause, le gouvernement régional – toujours en affaires courantes – a décidé en décembre dernier de ne pas suivre l’avis de la Commission royale des Monuments et Sites qui proposait de classer la totalité du square qui abrite cette sculpture de l’artiste belge Victor Rousseau.
■ Reportage de Charlotte Verbruggen, Frédéric De Heneau et Manu Carpiaux
Parmi les raisons évoquées par la majorité : le réaménagement des lieux qui ne permet pas son maintien, mais aussi “la vision patriarcale des rapports sociaux et familiaux de ce monument (qui) n’est plus en phase avec la société actuelle“. La statue, datant de 1922, représente un triptyque composé de six figures en marbre blanc. Au centre, un homme âgé incarne la maturité ou la sagesse, tandis que la femme à ses côtés symbolise la fertilité et l’abondance. Ensemble, ils regardent leurs enfants, qui représentent la jeunesse.
La conséquence de cette non reconnaissance par l’exécutif bruxellois est que l’œuvre pourra être déplacée et ne retrouvera pas sa place dans le nouveau projet d’aménagement du square, qui doit laisser la place à un nouveau “parc urbain”.
Sauvegarde et non classement
En septembre 2024, la Commission royale des Monuments et Sites (CRMS) a proposé que le square abritant “La Maturité” soit totalement classé. L’organisation bruxelloise voulait par là mettre un terme à l’état de délabrement avancé de la statue ainsi que réagir au projet de réaménagement du square prévu par la Ville de Bruxelles. Un réaménagement qui s’inscrit dans le cadre plus large du projet de réaménagement des abords de la Gare centrale, nommé “les Coteaux du Pentagone”, confié à l’architecte belge Bas Smet.
Fin décembre, le gouvernement bruxellois a décidé non pas de classer cette œuvre, mais de l’inscrire sur la liste de sauvegarde du patrimoine, une forme de protection un peu plus souple qui permet le déplacement des statues. Selon l’arrêté régional, “un déplacement et une recontextualisation de l’œuvre pourraient être une réponse opportune pour ajuster sa signification au XXIe siècle”.
Si aucun nouvel emplacement n’a encore été tranché, l’accord de majorité de la Ville de Bruxelles prévoit notamment “d’étudier le déplacement de « La Maturité », par exemple dans le square
Gutenberg“.
Réactions indignées
Cette décision a immédiatement provoqué une levée de boucliers dans certains milieux culturels et politiques. “Enlever une statue c’est brûler un livre. Cette décision est incorrecte, mauvaise et non légitime“, a réagi le chef de file du MR bruxellois, David Leisterh, sur X.
De son côté, l’Union Professionnelle des Guides et Médiateurs Culturels de Belgique (GMCB-GCBB) a décidé de lancer une pétition, qui a déjà récolté plus de 1000 signatures ce mercredi. Cette ASBL reproche notamment aux autorités politiques de ne pas avoir interrogé les acteurs du secteur. “Les guides-médiateurs auraient pu témoigner que l’œuvre n’a jamais suscité aucun débat, ni aucune polémique auprès des visiteurs belges ou étrangers. La mise en perspective de valeurs sous le prisme d’idéaux contemporains nous apparaît donc totalement superflus au regard de la réalité rapportée du terrain“, pointe l’ASBL, qui ne se montre néanmoins pas contraire à une recontextualisation du monument.
Les auteurs de la pétition s’inquiètent du sort de l’œuvre si aucun lieu précis d’exposition n’est déterminé. “Nous savons tous, hélas, comment cela se termine pour les œuvres démontées et stockées ‘en vue de’, alors voulons-nous que cette œuvre finisse comme la Maison du Peuple ?“, s’interrogent-ils, en faisant référence à la destruction de la Maison du Peuple de Victor Horta, qui se trouvait au Sablon, rasée dans les années 60.
“Le wokisme brandi comme un grand fantôme”
Invitée ce mercredi dans Bonjour Bruxelles, la secrétaire d’État bruxelloise à l’Urbanisme, Ans Persoons (Vooruit), assume sa décision et estime que la statue ne conviendra plus au nouvel agencement des lieux. “Ce qu’il se passe, c’est que toute cette place – de Bozar à la Gare centrale – va être réaménagée. Il s’agit d’un projet, en collaboration avec la Ville de Bruxelles, qui vise à repenser la jonction Nord-Midi et refaire de cet espace une vraie place, avec des arbres. Or, dans le projet de l’architecte paysagiste Bas Smet, cette œuvre n’a plus sa place.”
La secrétaire d’État se dit surprise des proportions que cette affaire a prises et dénonce le wokisme brandi par certains “comme un grand fantôme”. “Déplacer des œuvres se fait très régulièrement dans cette Région. Or, il y a toute une série d’arguments qui expliquent pourquoi cette œuvre ne doit pas rester à cet emplacement : son auteur Victor Rousseau est déjà surreprésenté dans la Ville de Bruxelles, elle n’a pas été conçue spécifiquement pour cette place et, en effet, parmi ces arguments, elle est aussi considérée comme patriarcale. Je pense que toutes ces réactions sont un peu hystériques”, conclut-elle.
V.d.T. – Photo en tête d’article : © Arter architect