La lutte contre la radicalisation est passée de l’urgence à la prévention

Depuis le début du mois de février, l’ASBL Bravvo a lancé une campagne choc pour sensibiliser à la lutte contre la radicalisation des jeunes. Sur l’agora devant la gare Centrale, une vingtaine d’affiches reprennent des phrases dites par des jeunes. Certains de ces propos ont choqué le grand public ou attiré la curiosité. Si depuis 2015 le travail de lutte contre la radicalisation a changé, la prévention et la formation sont aujourd’hui les axes centraux.

Au lendemain de l’attentat contre le Musée juif de Bruxelles, la capitale et la Belgique se réveillent sonnées. Avant cet événement, la lutte contre le radicalisme n’était pas une priorité ni des services de police ni des communes. Pourtant, les événements s’enchaînent et il est urgent d’agir. Au fédéral, c’est la mise en place du Plan canal. Près de 94.000 contrôles à domicile sont alors effectués à Molenbeek, Anderlecht et Schaerbeek. Dans toutes les communes, on met en place un référent radicalisme ainsi qu’une cellule de sécurité intégrée locale. Le but est d’abord d’identifier les personnes potentiellement radicalisées, d’empêcher les départs vers les zones de combat, de répondre aux appels inquiets des familles qui voient leurs enfants se couper d’eux, de la société.

Cinq ans après, la problématique est différente. Le travail des référents radicalisme a considérablement évolué. “Depuis 2016, nous n’avons plus enregistré de départ vers la Syrie, explique Olivier Vanderhaegen, référent pour Molenbeek. Aujourd’hui, nous sommes dans la prévention primaire et nous parlons plus de polarisation de la société plutôt que de radicalisation violente, concept qui n’a toujours pas été réellement défini. Il est important que les jeunes soient écoutés pour qu’ils ne ressentent plus un sentiment d’injustice qui peut ensuite conduire à une coupure avec la société démocratique.”

A Molenbeek, on a donc décidé de travailler avec les écoles, les éducateurs, les centres sportifs, tous professionnels en contact avec des jeunes. Des groupes ont été constitués pour travailler aussi avec la police. Des projets sont menés avec des leaders charismatiques auprès des enfants ou d’anciens djihadistes reconvertis. “Nous mettons en parallèle la rupture sociale et le radicalisme. Il faut éviter l’isolement et le travail en réseau est indispensable.”

Une coordination entre les communes

Tous les mois, une réunion a lieu entre les 19 communes en présence des référents radicalisme, de la police, des CPAS, du centre Bruxelles prévention sécurité afin d’échanger sur les projets, les bonnes pratiques pour une prévention de première ligne. A Bravvo, comme à Molenbeek, on a aussi décidé de s’orienter vers la prévention. Quatre personnes travaillent à temps plein dans la cellule afin de mettre en place une approche globale du phénomène. “La radicalisation est un processus graduel. Il n’existe pas de profil type ou de checklist qui permette de l’anticiper. La personne entre peu à peu en rupture avec les valeurs démocratiques, son environnement, ses proches, à mesure qu’elle adhère à une idéologie violente, commente Hadelin Feront, responsable de la cellule Pré-rad chez Bravvo. Aujourd’hui, nous avons beaucoup moins d’appels concernant des inquiétudes de radicalisation vers la violence, mais surtout les familles nous contactent plus tôt, ce qui nous permet d’intervenir à un stade où il n’y a pas encore une fermeture idéologique. Nous travaillons également au désengagement des personnes condamnées pour des infractions terroristes. Ce travail ne vise pas à changer leur vision du monde mais les accompagner dans leur réinsertion. Ce qui implique de créer une réflexion et de comprendre en quoi adhérer à la violence constitue un obstacle à la réinsertion. Le comportement d’un individu doit s’inscrire dans le respect de la loi et s’inscrire dans un cadre de vie.”

Dans les communes, le but est aussi de déjouer les pièges de la victimisation. Pour cela, il faut expliquer clairement les attentes de la société envers les individus. Il n’y a un pas un bourreau et une victime. “C’est aussi le but de la campagne que nous avons mis en place. Nous partons du discours des jeunes, de phrases qu’ils ont entendues ou de leur réflexion. Le but est de déconstruire les stéréotypes. Les jeunes ont aussi été les témoins d’actes violents qu’ils ne comprennent pas. Une jeune fille nous rappelle que “Allahu Akbar” est une invocation sacrée dans l’islam, mais que malheureusement elle a été détournée par des groupes terroristes. Partager ce témoignage sur une affiche vise à interpeller et à déconstruire les stéréotypes.”

En effet, sur les réseaux sociaux comme au conseil communal de la Ville de Bruxelles, la campagne interpelle. Cet affichage n’est en réalité qu’une première étape qui va durer un mois. Ensuite, un travail de sensibilisation et de déconstruction des stéréotypes sera mené dans les écoles secondaires de la Ville de Bruxelles. “La première étape est le dialogue”, répète Hadelin Feront.

Un travail par projet

Sensibiliser, apprendre à connaître l’autre, montrer aux jeunes qu’ils ne sont pas des victimes est aussi le choix de la politique schaerbeekoise en matière de prévention de la polarisation. “Je préfère employer ce terme, précise la bourgmestre faisant fonction, Cécile Jodogne (DéFi). Le rôle de la commune est un rôle de première ligne, de proximité. Nous travaillons donc en ce sens avec les jeunes, les scolaires et  les acteurs locaux que nous formons. Le but est de tisser un lien que cela soit via la culture ou les projets multiconfessionnels. Chacun apporte sa pierre à l’édifice.”

Evidemment, à Schaerbeek comme dans les autres communes, il reste des personnes qui doivent être surveillées car les services de l’Ocam ou de la police les considèrent comme des radicaux violents. A Schaerbeek, cela représenterait une cinquantaine de dossiers. A Anderlecht, une bonne dizaine. “Nous avons eu des moyens policiers supplémentaires via le Plan canal, reconnaît Didier Noltincx, chef de cabinet du bourgmestre d’Anderlecht, Eric Tomas (PS). Cependant, notre cadre reste insuffisant. Nous devons concentrer les moyens tout en mettant aussi en place de la prévention envers les plus jeunes.”

Une polarisation et une radicalisation multiple

Si le mot d’ordre actuel est donc la prévention de première ligne pour éviter une fragmentation plus grande de la société, tous les acteurs de terrain attirent l’attention sur la radicalisation d’extrême-droite. De plus en plus de rapports de l’Ocam pointe cette problématique. “On constate que ce discours passe de plus en plus dans la société”, reconnaît Cécile Jodogne. “Nous y sommes extrêmement attentifs, ajoute Olivier Vanderhaegen. Quand il y a des organisations de “safaris islam” à Molenbeek, nous savons que cela peut poser problème. Des messages de Génération identitaires sont aussi très préoccupants. Il faut gérer des événements qui sont parfois très complexe et aujourd’hui, le risque d’attaque est présent.”

Afin d’avoir une vue d’ensemble, communes, Région et Fédération Wallonie Bruxelles ne cessent de se rencontrer pour échanger mais “il n’existe pas de modèle éprouvé” conclut Hadelin Feront de Bravvo.

Vanessa Lhuillier – Photo: Bravvo